21. Fascination
Réalisant la folie de ce qu’il venait de faire, Armand quitta Orion comme un voleur. Il ne s’accorda qu’un regard vers le corps endormi du vampire, détaillant subrepticement les muscles saillants de ses pectoraux puis chassa violemment les pensées obscènes qui lui traversaient l’esprit. Il avait cédé à son envie dans un moment de faiblesse. Il n’aurait jamais dû. Il rentra chez lui en longeant les murs, tentant de se fondre comme il le pouvait dans le décor. Faire comme si cette journée n’avait jamais existé.
Cependant, à peine eut-il franchi la porte de la maison, la voix de Klaus le fit sursauter :
- Mais où étais-tu passé ?
Le cœur de l’albinos s’accéléra. Vivant chez son patron, il lui était difficile de masquer une sortie nocturne. Il s’empourpra sous son masque tentant vainement de dissimuler sa gêne dans un babillage inaudible. Le vieux gardien éclata de rire :
- Inutile d’en dire plus, annonça-t-il. J’ai tout compris. Toi tu as fait quelque chose dont tu es à la fois horrifié et fier.
Toute pigmentation quitta brusquement le visage d’Armand. Comment pouvait-il savoir ? Il se sentit peu à peu défaillir jusqu’à ce que Klaus énonce tout haut ses pensées :
- Ce n’est pas si grave, annonça-t-il. J’ai été jeune avant toi. Et il est vrai que vous faites un bien joli couple : toi et cette petite rouquine.
L’albinos poussa un soupir de soulagement qui amplifia l’amusement de son chef. Il avait quitté la ville hier soir en compagnie de la demoiselle, difficile de ne pas fantasmer sur la raison. Il se sentit d’ailleurs un peu ennuyé pour Angelina qu’il avait traité de façon peu orthodoxe. Se disant qu’il serait bon d’aller lui présenter ses excuses, il écouta d’une oreille distraite ce que lui déclara Klaus.
***
Armand fut étonné par l’accueil que la jeune femme lui fit. Il s’attendait à ce qu’Angelina soit froide et distante, il fut surpris lorsqu’elle lui sauta dans les bras. Trop oppressée par ses émotions, elle ne s’excusa même pas pour son comportement singulier. Visiblement, quelque chose la bouleversait et quand elle parla, sa voix était chevrotante menaçant de déverser des torrents de larmes à chacun de ses mots :
- Il faut m’aider ! Implora-t-elle. Je ne sais pas quoi faire. Ma mère est malade. J’ai fait le tour de la ville pour trouver un médecin, mais tous me ferment la porte au nez dès que je leur décris les symptômes. Connaissez-vous quelqu’un aux Havres Gris qui pourrait m’aider ?
Le prénom d’Orion s’imposa dans l’esprit. Il savait que le vampire avait une connaissance poussée en remèdes de toute sorte, mais il hésitait à le proposer après ce qu’il venait de se passer entre eux. Cependant, face à la panique d’Angelina, il céda. Il conduisit la jeune femme chez l’apothicaire, appréhendant la réaction du déviant à sa venue.
***
Armand avait les mains moites et le cœur qui battait à tout rompre, lorsqu’il introduisit son passe-partout dans la serrure. Orion pouvait faire arrêter l’albinos avec une facilité presque déconcertante. Le crime qu’il avait commis était bien plus grave qu’un meurtre ou un vol. Les conséquences pouvaient être désastreuses. Il se sentait une nouvelle fois prisonnier de cet homme, prisonnier de ses sentiments qu’il ne pouvait avouer au grand jour. Cependant, au-delà de l’angoisse, cette situation avait quelque chose d’électrisant. Il se savait à la merci de la créature, incapable de se sortir de son piège dans lequel il s’était empêtré.
Orion les reçut avec déférence. Comme si ce qui s’était passé quelques heures auparavant n’avait été que le fruit de l’imagination de l’albinos. Armand ne se sentait pas à l’aise dans ce lieu qui suintait de fantasmes. Tout lui rappelait son crime : la maison pauvrement décorée où la table servant au repas côtoyait un lit qui l’incitait de nouveau à la débauche, la voix chaude et suave du vampire qui assaillait Angelina de questions afin de pouvoir poser un diagnostic et son regard envoûtant, vert émeraude, qui s’arrêtait par moment sur le chasseur comme lui murmurer silencieusement qu’il n’avait pas rêvé. Le cœur d’Armand s’accélérait à chaque fois que leurs yeux se croisaient. Jamais il n’avait ressenti une telle fascination.
Il comprit qu’il avait manqué quelque chose d’important lorsque le visage de la créature s’assombrit. Une étrange tristesse qui le rendait subitement, presque humain.
- Je suis désolé, déclara-t-il, je ne peux rien pour vous.
Et le prédateur reprit son rôle lorsqu’il énonça froidement :
- Votre mère souffre d’une forme sévère de peste. Elle est condamnée à une mort rapide et inéluctable.
Angelina reçut la nouvelle comme une violente gifle, elle fondit en larmes et quitta précipitamment les lieux. Armand fut choqué par le manque d’empathie d’Orion.
- C’est monstrueux ce que tu viens de faire, déclara l’albinos.
Le vampire lui lança un regard empreint de défi et juste après un petit rire amusé répliqua :
- Regarde au fond de ton cœur. Lequel de nous deux est le plus horrible ?
***
Aussi horrible et froide fut sa révélation, Orion n’avait pas menti. La mère d’Angelina succomba quelques heures plus tard et, pire que tout ça, la jeune femme fut également frappée par ce mal. L’albinos l’apprit au détour d’une conversation entre deux membres de l’Ordre qui venaient de mettre la malade en quarantaine aux Havres Gris. Une épidémie ne pouvait se déclencher au milieu des habitants, les déviants n’étaient pas considérés comme tels. Cela servit de parfait prétexte pour boucler tout le quartier. Impossible d’y entrer ou d’en sortir. Mais Armand ne fut pas dupe. Cette décision soudaine ne cachait qu’une chose : la Purge était imminente.
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