24.    Face au passé

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Orion ne cherchait rien de plus qu’un compagnon, un ami loyal avec lequel voyager et parcourir le monde. Les mois qui suivirent furent pour Armand les plus indolents et les plus doux de son existence. Ils avaient rapidement quitté le groupe pour se diriger vers l’est. Leurs pas les menèrent jusqu’à Perlé. Le port avait clairement profité de l’influence elfique et avait gardé de ces siècles passé une magnificence toute particulière. Les deux hommes s’étaient trouvé une chambre dans une auberge assez cossue toute proche de la bibliothèque. Armand fut soufflé par le charme de cet édifice. D’un point de vue architectural, des colonnes se mêlaient aux sculptures témoignant d’un savoir-faire aujourd’hui disparu. Une colossale tour d’astronomie dominait le tout. L’intérieur était encore plus époustouflant. Des milliers de rayonnages regroupaient tout le savoir qu’il était possible de stocker. Le sol était recouvert de mosaïques finement travaillées et le plafond offrait une immense fresque qui menaçait de s’animer dès qu’Armand levait les yeux au ciel tant elle était détaillée. Les deux hommes nourrissaient une soif de savoir commune et ils erraient des heures durant en ces lieux. Le soir, ils parlaient de leurs découvertes autour d’un verre à la taverne où ils logeaient.

Puis, régulièrement, Orion s’absentait pour le restant de la nuit. Armand brûlait de le suivre afin de percer le mystère de ses escapades nocturnes Où allait-il ? Que faisait-il ? Malgré ses questions qui le taraudaient, Armand craignait ce qu’il découvrirait. Ce n’était pas tant surprendre son ami traquant une proie qui l’angoissait, mais plutôt de lui savoir une liaison. Avec quelqu’un d’autre. Cette simple pensée le détruisait jour après jour, absence après absence.

Par moment, l’albinos brûlait de lui proposer de le mordre. Cette envie folle provoquait en lui autant de fascination que de dégoût. Aussi se taisait-il. Tolérant stoïquement les sorties nocturnes de son acolyte. Il tentait alors de combler ce manque par un sommeil chargé de rêve équivoque ou si ses pensées l’assaillaient trop pour fermer l’œil, il fourbissait ses armes pour ne plus y penser. Il devait accepter l’évidence : Orion ne nourrissait pas les mêmes sentiments que lui. Le vampire était un bloc de marbre froid et calculateur. Il ne laissait jamais parler ses émotions. Armand avait donc peu à peu appris à se murer dans son silence. Hormis pour échanger avec ferveur sur leurs découvertes littéraires, les seules interactions qu’il avait avec son compagnon se résumaient à des banalités. Mais c’était mieux que rien. Il se trouvait dans une cité merveilleuse avec un homme fascinant qui le traitait comme un ami en faisant fi de son teint lunaire et de son ancienne condition de chasseur.

***

Armand était passablement inquiet ce matin-là. Orion n’était toujours pas revenu de sa balade nocturne. L’aube colorait peu à peu la cité en rose et le soleil n’allait pas tarder à poindre à l’horizon. Il aiguisait une épée déjà bien tranchante, l’oreille aux aguets, guettant le pas léger annonçant le retour du vampire. Le silence, entrecoupé du son régulier de sa lame sur la pierre, devenait oppressant, mais il ne fut rien comparé au bond que le cœur de l’albinos fit dans sa poitrine lorsqu’il entendit une détonation.

Armand se précipita à la fenêtre et l’ouvrit. La rue était vide. La cité dormait encore.

Une silhouette jaillit brusquement à quelques mètres de là. La forme sombre marchait comme un ivrogne, titubant à chacun de ses pas. Le cœur de l’albinos manqua un battement lorsqu’un second personnage entra dans son champ de vision. L’homme arborait le long manteau noir avec lequel les chasseurs masquaient leur uniforme. Il l’ouvrit théâtralement, extirpant de ses replis une épée. Armand n’eut aucun doute sur l’identité de sa proie : Orion. La panique le submergea et machinalement, il sortit son propre fusil pour tirer sur la menace. L’heure n’était pas à la réflexion, il bondit par la fenêtre.

Guidé par la volonté de sauver son ami, l’albinos combla les mètres qui le séparaient du combat. Il se surprit de son agilité et de la facilité avec laquelle il parvint à se placer entre le chasseur et sa proie. Il ne se demanda pas s’il était à la hauteur de ce duel, protéger Orion était la seule chose qui importait. Il comprit son erreur lorsqu’il reconnut le visage de son assaillant…

Rien n’avait changé : ni ses cheveux en bataille ni la barbe de trois jours qui grignotait ses tempes couvertes de cicatrices, ni même son regard porcin clairement irrité par cette intervention impromptue. Il brandit son fusil et le pointa sur Armand.

  • Il est stupide de se mettre en travers de la route d’un chasseur, tonna-t-il.

L’albinos resta impassible.

  • Tu ne tireras pas, Wilhem, déclara-t-il d’une voix ne laissant transparaître ni peur ni doute. Primo, tu gâcherais une balle consacrée et je sais le temps que tu passes à les préparer. Secundo, ça te priverait d’un combat comme tu n’en as pas eu depuis bien longtemps.

Armand ne put refréner un sourire moqueur lorsqu’il vit le visage de son ancien mentor se décomposer, cherchant frénétiquement l’identité de celui qui lui faisait face. Il profita de cet instant d’hésitation pour porter le premier coup. Ce dernier fut si puissant que le chasseur recula de trois pas avant de se ressaisir. Dans un cri de rage, il se rua sur son opposant, prêt à la pourfendre. Dans une esquive parfaite, l’albinos évita l’attaque qui aurait pu lui être fatale et répliqua en lui infligeant une petite blessure sans conséquence. Il avait une envie folle de l’humilier, de se venger de tout ce que ce pauvre type lui avait fait subir. C’était peut-être orgueilleux de sa part de se croire plus fort que son ancien maître, mais après tout, il n’était plus l’adolescent impressionné par cet homme. Il avait grandi, mûri, parachevé sa technique à l’épée auprès des plus grands formateurs de l’Ordre. Ce matin-là, il ne combattait pas un simple chasseur afin de protéger son ami, il affrontait son passé.

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