31. Les ailes d'Icare
Au bout de quelques semaines, Fred, m'invita à dîner chez lui, un samedi soir.
Je prends mon téléphone et sans scrupule, je dis à mon homme, que ce week-end là je ne pourrais pas rentrer. La gestion des serres, l'arrosage, etc et bien sûr que la plupart des collègues ne seraient pas là.
Apparemment, cette excuse a suffit.
Et, psychologiquement, je me préparais à me rendre à ce rendez-vous, ce premier rendez-vous.
Je me suis habillée plutôt jolie, pour changer du boulot. Petite jupe légère, débardeur, mes baskets en toile blanche et bien maquillée.
Je prends le temps, quelques jours avant, de me rendre non pas à la pharmacie du village mais à celle du supermarché un peu plus loin, histoire d'acheter des préservatifs, juste au cas où. Jusqu'ici j'étais toujours tombée sur des gars responsables et prévoyants mais, là je ne sais pas, j'ai voulu me prémunir.
Le samedi arriva, donc, je me rends à l'adresse indiquée.
C'était un petit appartement en rez de jardin avec vue sur la montagne d'en face.
Il vivait dans son studio de célibataire, rien de grandiloquent, ce n'était pas non plus le foutoir.
Il me fait rentrer, je pose mon sac à main sur la banque de la kitchenette et je m'installe sur le canapé.
J'ai l'impression de revenir quelques années en arrière, avant mon couple qui durait depuis presque 6 ans. Le sentiment d'être jeune et fraîche.
C'est fou, non ?
On a discuté de choses et d'autres. Il m'a offert un verre et a roulé un joint que nous avons fumé en silence tranquillement.
Et puis comme deux adolescents nous nous sommes rapprochés et il m'a embrassée.
Un long baiser, interrompu par la sonnerie de mon téléphone portable. Avant de décrocher :
- Excuse-moi.
- C'est pas grave.
Je me lève prend mon téléphone et une cigarette et je sors par la porte-fenêtre.
Je décroche.
- Allô ?
- Oui c'est moi.
Christophe ?? Il me téléphonait, là maintenant tout de suite ? Mais pourquoi ?
Christophe , avait cette façon bien à lui de mettre les pieds dans le plat, soit à apparaitre comme là au plus mauvais moment, soit à poser la question pertinente, gênante, qui appelle à la vérité... quand il ne faut pas, quand celle-ci n'est pas bonne à dire.
- Ça va ?
Je le reçois un peu froidement.
- Ça va et toi ?
- bien merci, je venais aux nouvelles...
Encore un peu plus froide :
- Ben tout va bien, tu as besoin de quelque chose ?
- Je te dérange peut-être ?
- Oui, là, c'est clair tu me déranges.
Sa voix change de ton. Une voix pleine de gravité et plus froide.
- Bon ben je te laisse alors.
- ok c'est ça.
Il ne me dit même pas au-revoir, il raccroche.
Je raccroche, putain, qu'est-ce qu'il me fait chier à m'appeler au mauvais moment !!
J'étais en colère. Je finis ma cigarette et je rentre.
- Bon. On en était où ?
La sensation était bizarre. J'avais l'impression de m'être fait prendre la main dans le sac et je forçais un peu le trait pour replonger dans ce que je faisais et, un peu plus, m'enfoncer dans ma bêtise.
J'avais une boule dans le ventre qui se battait avec les papillons.
C'est la première fois, au regard de tout ce que j'avais vécu les mois précédents, c'est la première fois que j'avais vraiment le sentiment de le tromper.
Ambivalence.
Fred se lève et prépare la table sur la banque, et nous sert à manger. Petit repas frugal mais sympa. On discute de choses et d'autres. Fred me fait rire ça me fait du bien.
Après le café et la cigarette digestive, nous sommes sur le canapé, et nous nous rapprochons à nouveau. Le baiser, les baisers, l'étreinte.
Les mains de Fred deviennent caressantes, il en glisse une sous mon débardeur pour venir prendre mon sein droit.
Je me laisse faire, puis lève les bras afin qu'il puisse retirer mon haut.
Ceci fait, il plonge littéralement la tête entre mes seins. Il semble empressé.
Il me fait basculer le dos sur le canapé, retire son t-shirt rapidement et l'envoie valdinguer au travers de la pièce.
Il se penche sur moi, et m'embrasse le ventre, il tire sur les bretelles de mon soutien-gorge pour faire sortir mes seins de leurs bonnets.
Il est brusque, dans ses gestes il n'y a pas beaucoup de douceur.
Mais j'ai envie de lui.
Il se relève, j'en profite pour dégrafer mon soutien-gorge. Il glisse ses mains sous ma jupe et vient presque arracher ma culotte.
Il se redresse et tombe pantalon et caleçon.
Il est debout, fier en érection. Pendant que je retire ma jupe :
- Fred, tu as ce qu'il faut pour te protéger ?
- quoi ?
- tu as un préservatif ?
- ah ? Oui...Tu veux que ? Bon ok...
Il en sort un, de ce qu'il lui sert de table de chevet, et il s'apprête avec.
Je n'ai même pas le temps de finir de me déshabiller qu'il revient déjà à la charge.
J'écarte bien les jambes pour mieux l'accueillir.
Il joue à peine à l'entrée de mon corps et rentre d'un trait au fond de moi. Sincèrement, j'aurais apprécié un peu plus de préliminaires.
Le plaisir ne vient pas de suite. Car l'excitation monte doucement.
Lui me baise littéralement, comme s'il avait un train à prendre. Et Il me malaxe les seins.
Sur le coup ça m'amuse, je me dis qu'il m'a attendue quelques semaines avant de m'avoir dans ses draps, et qu'il n'en peut plus d'attendre.
Je vous avouerai que ce soir là, j'ai un peu simulé.
Ce n'était pas vraiment le Fred que je connaissais, mais bon, on est pas toujours bon tous les jours.
Il attrape mes fesses et les soulève. Je fais le petit effort dans le mouvement suivant pour me retrouver assise sur lui et le chevaucher, j'essaie de maîtriser le mouvement, de prendre le temps et le tempo mais il montre comme des signes d'impatience en forçant les coups de rein ça et là de manière un peu désordonnée, ce qui casse un peu la synchro.
Notre corps à corps ne dure pas très longtemps, car il vient rapidement, dans un grognement.
Je fais mine d'avoir pris mon pied.
Des fois ça arrive, non ?
Il fera mieux la prochaine fois. Je sens au fond de moi son corps se rétracter, je me dégage de lui.
Il se lève, et je vois son sexe pendouiller avec le préservatif réserve pleine.
Il jette le bout de latex dans sa poubelle, enfile son caleçon et revient s'asseoir pour rouler un nouveau joint.
Ok, moi je me rhabille aussi un peu, je remets mon débardeur, ma culotte et ma jupe. Peut-être que plus tard cela va de nouveau voler dans la soirée.
Il n'en est rien, on repart en discussion et fumage de joints, un peu de bisous, peu de câlin. Je crois que nous avons un peu trop fumé ce soir là, les envies se sont taries..
Il commence à se faire tard, je fais mine de vouloir partir, il ne semble pas vouloir me retenir.
Je l'embrasse, et quitte son appartement.
Un peu ours quand même le type, ça doit être les vieilles habitudes de célibataire endurci. Qu'à cela ne tienne, on verra plus tard.
Voilà je rentre dans mon petit appartement situé à l'étage de notre petite entreprise.
Une douche passée à ruminer le coup de téléphone comme une adolescente.
Oui, la culpabilité est là mais pas trop, en fait je savais que ce n'était pas bien, que ce que j'avais fait c'était mal. Mais je me trouvais tout un tas d'excuses, j'avais réponse à tout dans ce dialogue interne.
Et comme je l'ai dit, c'était particulier pour moi car c'était la première fois que je le trompais vraiment... oui, l'aventure avec Jean a découlé de nos délires libertins, donc ce n'est pas vraiment le tromper. Audrey ça ne comptait pas, c'est une fille.
Là c'était, donc, vraiment la première fois que j'avais le sentiment de l'avoir trompé.
Le lendemain, je le passe tranquille à l'appartement à faire mon petit ménage.
Voilà, le week-end se termine, quand Caroline revient le soir, elle me trouve bizarre mais pas plus.
Nous nous sommes parlés deux fois au téléphone avec Christophe en début de semaine, et je le trouvais un peu bizarre, distant, froid.
Oui froid, en tout cas plus que je ne pouvais l'être.
Ce début de semaine s'est passé comme si de rien n'était avec Fred.
Une fin d'après-midi, j'ai de nouveau Christophe au téléphone. Je sens qu'il semble prendre sur lui, je ne sais pas ce qui me fait dire cela, un ressenti. Moi, ce soir là je n'ai pas envie de lui parler et franchement, je crois que j'ai été odieuse avec lui.
Un blanc au téléphone.
Puis :
- Tu sais Carole, je crois que la comédie a assez duré. Je vois bien que tu n'as plus de sentiments pour moi, tu viens encore de me le prouver.
Il parle sur un ton d'une froideur, que je ne lui connaissais pas. Pas un mot plus haut que l'autre, d'une clarté limpide.
Donc il vaut mieux qu'on en reste là. Ecoute, quand tu repasses dans le coin tu me ramènes mes affaires et tu récupères les tiennes. Ce sera plus simple comme ça.
- Quoi ? J'étais abasourdie sous le choc... une gifle sèche venait de s'abattre sur moi.
- Au revoir Carole, je te souhaite le meilleur.
Et il raccroche.
Je suis debout, hébétée, je regarde mon téléphone, il a bien raccroché, je vois la durée de l'appel 2min36... et je suis seule dans ma chambre.
J'ai d'un coup un grand vide. Un pan de ma vie venait de s'écrouler. Un mur solide sur lequel je m'étais tant de fois appuyée... réduit en poussière.
Je me regarde dans le miroir, ce sont bien des larmes qui coulent sur mes joues.
Il vient de me quitter... il vient de me quitter !! IL VIENT DE ME QUITTER ??
Je n'aurais jamais cru cela de lui.
Je ne sais combien de temps je tourne cela dans ma tête, j'en avais marre c'est vrai, je n'ai rien fait pour améliorer les choses, vraiment rien fait...
Je ne sais plus quoi faire, alors je prends mes affaires, je sors de ma chambre. Je manque de bousculer Caro, qui me demande ce qui ne va pas. Je ne réponds rien et quitte l'appartement.
Je m'installe dans ma voiture, je me regarde dans le rétroviseur. J'essuie mes larmes et je démarre le moteur.
Très conne, trop fière, plutôt que de prendre la route en direction de Lyon, je me rends chez Fred. Histoire de trouver un peu de réconfort auprès de celui dont j'étais le plus proche dans cette vallée qui est devenue tout à coup si oppressante avec ces nuages gris foncés accrochés aux montagnes environnantes.
Je sonne à la porte, Fred est là, il m'ouvre, je vais pour l'embrasser, il a un mouvement de recul. Je pense la surprise et.. le manque d'habitude.
- Christophe vient de me quitter...
- oui ? Et ?
- Ben je pensais que toi et moi...
- Carole tu es gentille, c'est vrai c'était sympa mais je ne t'ai rien promis, je pensais que tu l'avais compris...
- Mais, il m'a quittée et..
- Et qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? Tu t'en foutais, de toute façon ! Et puis nous deux, c'était pour un soir, tu comprends ça ?
J'étais décomposée, mon monde s'était vraiment écroulé.
Je fais demi-tour, il ferme la porte.
Toute ma semaine déroule devant mes yeux. Oui c'est vrai, il n'a jamais montré de changement ou d'ambiguïté suite à notre aventure.
Mais, quand même, il avait été odieux le type, il ne m'a même pas réconfortée.
Christophe n'avait jamais, au grand jamais, verrouillé la cage de l'oiseau que j'étais. Oiseau épris de liberté, je me suis envolée. Pas très loin, certes, car avant de m'élever bien haut, mes ailes avaient bel et bien commencé à s'embraser....
Nous nous sommes effectivement revus. La fière Carole n'a rien montré, ni à lui, ni à elle-même.
Il avait un regard éteint. Il ne semblait pas triste. Il était éteint. Il avait un bandage imposant autour de la main.
J'ai récupéré mes affaires, il a récupéré les siennes.
Un échange de silences, des regards, un peu fuyants, posés à la dérobée sur l'autre.
Voilà... une histoire semble se terminer. Qui aurait cru, au regard de tout ce que l'on a vécu que cela se termine comme cela.
C'est triste une séparation. Même sans heurts. Officiellement, il m'avait quitté. Pour tous les autres c'était lui qui était parti. Dans les faits, c'était bien moi, pourtant, oui c'est moi qui lui avais planté le couteau dans le coeur.
Lui, il avait eu le courage, de s'arracher ce couteau que je remuais dans la plaie depuis quelques temps. Il avait sorti cette lame empoisonnée avant que la plaie ne s'infecte plus qu'elle ne l'était déjà et qui lui rongeait l'âme depuis quelques temps.
Oui c'est triste une séparation.
Prendre ses affaires, une dernière fois, dans cette chambre où tant de souvenirs commençaient déjà à mourir.
Nous avions repeint, ensemble, les murs. Ce poster, acheté ensemble. Cette vieille armoire dans laquelle, il y avait encore la lingerie olé olé qu'il m'avait achetée. Et puis, ce chevalet, devant lequel j'ai posé tant de fois. Cette pochette à dessins, dans laquelle, mon corps, drapé, nu, habillé de lumière ou de clair obscur et même de vêtements était couché au crayon de papier, au fusain, à la sanguine. Cette pochette à dessins qu'il allait certainement vider, un soir d'amertume alcoolique ou de profonde tristesse, pour déchirer ces représentations de ce corps tant aimé et si souvent étreint mais qui l'avait maintes fois trahis.
Je quitte donc cet endroit, si familier, sans me rendre compte que c'est peut être la dernière fois que je le vois.
Je me rends chez ma tante qui n'habite pas trop loin.
Je ne suis pas légère, non mais plutôt comme un boxeur encore étourdi après un combat intense.
Elle me propose du café, son si bon café, celui qui réconforte ou réchauffe selon ses besoins.
On se met à discuter de tout cela.
Et là j'apprends qu'il se doutait depuis un moment que je le trompais, il avait tenté de surmonter ça en faisant des efforts, des tentatives de reséduction. Il avait bien senti que je lui échappais.
Et puis est arrivé le fameux jour où, au télephone, il m'avait "dérangée".
Ce jour là, il a pris sa décision.
Il était passé chez ma tante après, ils avaient bu le café, et elle lui avait fait un tirage de cartes. Il avait carrément posé la question... et la réponse avait été limpide. Tellement limpide que ma tante n'avait pas pu lui répondre, elle l'a simplement regardé dans les yeux en lui disant :
- Tu le sais déjà, non ?
Il avait pleuré et répondu par l'affirmative, en disant, qu'il voulait être sûr, et espérait avoir, peut-être, une réponse négative pour le rassurer. Mais non, bien sûr, c'était tellement gros...
J'ai retenu mes larmes ce soir là, du mal que je lui avais fait. Mais j'avais encore bien trop de fierté, je n'avais pas le coeur assez grand pour le reconnaître.
Le pire c'est que j'étais même vexée de m'être fait déceler. Je ne l'ai pas montré à ma tante. Elle était devenue trop proche de lui.
Elle m'a aussi expliqué pour son bandage. Le jour, où il m'a quitté, il était à son boulot.
Une fois qu'il a raccroché, il était descendu dans le parking souterrain et avait hurlé sa peine et sa rage. Il avait, alors, donné un gros coup de poing sur une gaine d'aération. Vous savez, de celles qui sont toutes enrubannées dans de l'isolant qui ressemble à du papier métallique et rembourré.
Il avait frappé sans retenue.
Une pointe.
Il est remonté au labo la main en sang, et, penaud, a montré sa blessure à une de ses collègues. Celle-ci avait nettoyé la plaie avec l'alcool qu'on utilise pour tout désinfecter dans les labos. Puis elle lui a fait un pansement de fortune et il était reparti, les yeux rougis et la main pansée, finir son boulot de la journée.
Quand j'ai quitté ma tante ce jour là, j'avais quelques réponses, mais pas toutes.
J'avais sous-estimé cet homme et ce qu'il pouvait ressentir et pressentir. Mais, bon, le besoin de rattraper le temps perdu par ces années de couple était trop fort...
J'ai donc continué mon bonhomme de chemin... en célibataire.
C'était vraiment particulier comme sensation. J'en avais eu marre de cette relation. J'étais enfin libre.
Mais tout au fond de moi j'avais une abîme qui s'était creusée. Elle était là, imperceptible.
Ça je le dis maintenant avec le recul.
Mais je me souviens quand même de cette petite boule au ventre que je chassais comme je pouvais en me plongeant dans ma nouvelle vie, mes nouvelles fêtes, mes nouvelles relations.
Ma vie de patachon a alors vraiment démarré.
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