Chapitre 1 : Dommage collatéral
« Allez, avance ! » s'exclama le geôlier, agacé par le comportement du prisonnier qui marchait avec une lenteur exaspérante.
« Hé ! J'ai bien le droit d'admirer l'architecture de cette magnifique prison, non ? Vous ne vous êtes jamais attardé sur les exceptionnelles fondations, sur votre gauche ? Je suis certain, pourtant, qu'elles mériteraient une attention toute particulière de votre part. Regardez, si jamais, par malheur, quelqu'un venait à y mettre le feu, tout le bâtiment s'écroulerait. »
Le garde tourna la tête vers les fameuses fondations en les détaillant du regard. C'était vrai, si par malheur quelque chose se produisait, toute la prison s'écroulerait. Mais il n'y avait jamais eu de problèmes, et il n'y en aurait jamais. D'une part, ici, tous les prisonniers étaient enfermés à double tour, et d'autre part personne ne s'inquiétait jamais de leur sort. Il s'agissait de quelques voleurs de poule, ou tueurs de chèvres. Rien d'exceptionnel dans une petit bourgade aussi tranquille qu'Eauvive.
« Allez, avance, je n'ai pas que ça à faire et tu m'as déjà fait perdre suffisamment de temps. »
Le garde poussa son prisonnier dans sa petite cellule avant de refermer la lourde grille. Il tourna trois fois la clé dans la serrure puis tira un petit bout de parchemin de sa besace.
« Alors voyons... Lucian Orm... Âge : vingt-neuf ans. Recherché pour vols de rue, vols à l'étalage, vol des bijoux de la baronne de Terredure, et pour avoir arnaqué le comte de Lacdoré. Eh ben, mon cochon, toi on t'as pas mis derrière les barreaux pour rien. Je me demande si on me donnerait pas un p'tit quelque chose si je te livrais au roi pour qu'il t'enferme aux mines... » marmonna le garde dans sa barbe.
Lucian s'adossa contre le mur de sa cellule.
« J'imagine qu'il vous donnerait une forte récompense, en effet. Et vous n'imaginez même pas tous les autres larcins que j'ai pu commettre en l'espace de quinze ans de service ! »
Le garde se perdit alors dans des comptes imaginaires en songeant à la belle somme qu'il pourrait récolter en vendant Lucian à la garde royale. Le jeune homme leva les yeux au ciel et s'assit en tailleur sur le sol. Le garde repartit lentement, les yeux baissés sur ses doigts alors qu'il continuait de compter ses pièces fictives à voix basse. Une ombre se glissa derrière lui, dérobant habilement ses clés à sa ceinture.
« Ah, Yrcen, tu es foutrement en retard. Cinq minutes de plus, et j'allais devoir croupir dans ma cellule jusqu'à ce que mort s'en suive. Heureusement que la Créatrice t'a invoqué à temps. Allez sors-moi de là, qu'on se tire en vitesse. »
Yrcen ne pipa mot, se contentant de déverrouiller la porte le plus silencieusement possible. Lucian sortit aussitôt et, fièrement, se dirigea vers les fondations dont il parlait au garde quelques instants plus tôt.
« Cet idiot ne sait pas ce qui l'attend... Peut-être que la mort le rendra moins cupide ! »
« Pourquoi tu le tues ? La Créatrice n'est pas en peine d'imagination, tu peux le laisser vivre. »
« Je pourrais... Mais ce n'est pas un protagoniste. Ca s'appelle donc un dommage collatéral ! »
« Et comment comptes-tu mettre le feu ? La poutre est peut-être en bois, mais un brasier ça ne prend pas si facilement. »
« Oh tu m'emmerdes avec ta rationalité ! C'est une fiction fantasy, on a pas besoin de donner tous les détails. Et si on traîne trop longtemps, c'est nous qui allons finir brûlé vifs. »
Yrcen soupira et recula de quelques pas, laissant à Lucian l'immense plaisir de mettre le feu aux fondations. Dès que les premières flammes s'élevèrent entre les quatre murs, ils s'élancèrent dans les escaliers à la recherche d'une sortie potentielle.
« T'es entré par où ? Et ne me réponds pas par la porte ou je t'étrangle. »
« En fait, je suis entré par le toit. » précisa Yrcen, imperturbable.
Tandis que les prisonniers commençaient à hurler dans leurs cellules, étouffés par la fumée qui se propageait aussi rapidement que les flammes, Lucian et Yrcen sortirent rapidement par une fenêtre laissée ouverte au rez-de-chaussée. Ils ne perdirent pas de temps pour sauter à terre et détaler à toutes jambes jusqu'à la forêt qui bordait la ville. Lucian se cacha alors derrière un buisson, entraînant Yrcen à sa suite. Applatis sur le sol, ils observèrent les flammes s'élever au-dessus de la prison d'Eauvive et le bâtiment s'effondrer sur lui-même, pierre après pierre.
« Les prisonniers et tous les autres gardes aussi, c'est un dommage collatéral ? »
Lucian haussa les épaules.
« C'est pas mon problème ! »
Il se redressa et épousseta ses habits plein de terre pendant qu'Yrcen lui demandait :
« Que fait-on maintenant ? Eauvive est loin de notre Quartier Général. Statistiquement parlant, nous avons quatre vingt-neuf pour cent de chance de mourir au cours de l'histoire si nous ne trouvons pas rapidement une idée. Et encore, je suis optimiste. »
« Ne t'en fais pas. Je n'ai pas pris vie il y a cinq ans pour mourir stupidement dans un défi auquel la Créatrice a souhaité répondre, elle n'oserait pas me faire ça à moi ! La preuve, nous en sommes déjà à la page deux et regarde : nous sommes en vie ! »
« Oui, mais le scénario n'avance pas, et ça fait déjà cinq minutes que nous parlons. Je suis presque sûr qu'il y a une embuscade, par ici. A ce rythme, nous allons mourir sous une nuée de flèches. »
« Tu te fais trop de soucis. Fort heureusement : je suis là. Et avec moi, tu sais bien qu'on ne s'ennuie jamais. D'ailleurs, avant que j'oublie, et maintenant que les gardes sont morts dans d'atroces souffrances, nous devrions aller récupérer mes affaires personnelles dans les décombres. J'avais sur moi un saphir qu'il me serait pénible de perdre. »
« Un saphir ? Et tu crois que les gardes ne l'ont pas gardé pour eux, ou rendu à leur propriétaire quand ils t'ont fouillé ? »
« Yrcen... Allons ! Les gardes sont universellement connus pour être stupides. Surtout ceux qui, autrefois, étaient des aventuriers et puis qui se sont pris une flèche dans le genou. »
« Paye ta référence, Lucian. Personne ne va rien piger. »
« C'est pas ma faute, la Créatrice adore jouer à Skyrim. Oh merde, ça va faire dix minutes qu'on cause dans le vide, allez bouge ton cul sinon l'embuscade va nous tomber sur la gueule ! »
Lucian s'élança vers les décombres, suivi d'Yrcen qui l'aida à fouiller les ruines encore brûlantes de la prison décimée. Finalement, le jeune voleur trouva le fruit de son larcin.
« Bon, il est un peu poussiéreux mais tu admettras qu'il en jette. »
« Que comptes-tu en faire ? » s'enquit Yrcen en regardant la pierre avec admiration.
« Je ne sais pas encore... Le garder... Me payer une villa... Le jeter ? »
« Le jeter ? T'as perdu la tête ! A ta place, je m’achèterais une jolie maison à Aigueclair avec quelques gardes du corps. Au moins tu serais tranquille. Personne ne vient jamais à Aigueclair, c'est tellement perdu dans les montagnes... »
Lucian joua un moment avec sa pierre avant de la ranger dans sa sacoche.
« Avant toute chose, il faut voler des chevaux. On rentrera plus vite au QG, et nous réduirons les chances de nous faire tuer en chemin. » reprit Yrcen en fixant le chemin qui s'étendait à l'Est.
« Pour une fois, tu as une brillante idée ! »
Les deux protagonistes s'enfuirent alors en direction de l'enclos à chevaux et en détachèrent deux avant de prendre la poudre d'escampette à travers la nuit. Leur mort n'était pas prévue pour aujourd'hui, mais qui sait ce qui peut arriver, au fil des chapitres, surtout si la Créatrice continue à les faire parler dans le vide. Heureusement qu'elle tape vite !
A SUIVRE.
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