Le Chat et le Rat
Un rat vit un drôl’ de chat.
Sous les crocs blancs, un vif tourment.
Le rat mondain s’approcha
Prudemment, précautionneus’ment,
Quoique le chat ne parut
Ni famélique ni sadique.
Ses perles affilées à nu
Chantaient des ronrons sympathiques.
Une menace muette
Une supplique silencieuse.
« Viens ici, grise crevette.
Ne t’avise pas, prétentieuse,
De m’aider. Prends l’escampette.
Viens ici rir’, jouer, t’amuser. »
Le rat retroussa le nez.
Là, il flaira les os brisés,
Les griffes incarnées,
Les yeux infectés,
Les châsses cernées,
Le doigt amputé,
Cuir ecchymosée,
La fourrure éparse,
L’allure épuisée.
Sidéré, s’assit le comparse,
Ses petits yeux noirs soucieux.
« Qui vous a ainsi estropié ? »
Le chat leva suspicieux
Le menton, tâté de se fier
À la petit’ créature
Au pelage crème et duveteux.
Il appréciait sa nature,
Voir’ l’aimait de son cœur piteux.
Dans sa carcass’, un heurtoir.
« Ce que tu vois », dit-il au rat,
« N’est qu’une part de l’histoire.
Je vis dans un grand embarras.
Vois-tu, je suis maladroit,
Donc j’ai des muscles déchirés,
Des poumons étroits,
Un’ brûlant’ urée,
Les artèr’s gonflées,
Des croût’s dans les yeux,
Les pattes éraflées,
Le poil broussailleux,
La langue jaunie,
Le crâne ébréché,
L’âme à l’agonie,
Et le nez bouché.
Le pire de tous est la migraine,
Ou bien l’intense douleur,
Ou plutôt la tumeur soudaine.
Mais surtout, cher cajoleur,
Ne t’avise pas de m’aider.
Ni mes allergies,
Ni mes noir’s idées,
Ni ma léthargie,
Ni mes foll’s lubies,
Ni mon grand côlon,
Ni l’acrophobie. »
De la rosée coula le long
Des joues du rat crissant.
Il cacha son rose museau
Dans ses doigts compatissants.
« Cette vie à vif, en biseau,
Comment la supportez-vous ? »
« Simple », fit le chat d’un ton doux.
« Je n’y parviens pas, j’avoue. »
Il clôt son regard amadou.
Petit poing sur petit’ main :
« Alors j’aiderai ! Mes amis
Sav’nt bannir d’obscurs demains. »
« Oh, mais il ne t’est pas permis »,
Grinça le chat abîmé,
« De l’éventer aux indiscrets.
Mon seul confident, aimé,
C’est toi : garde bien mon secret. »
Le rat sourit tout gêné,
Monta manches métaphoriques :
« Des sorts m’ont été donnés,
Mais ils sont bien trop erratiques.
J’ai besoin d’ingrédients rares.
Prièr’ : endure mon absence. »
Chat lécha un’ patt’ sans art,
Résigné à son impuissance.
Le rat fouilla contrées
Lointain’s, inexplorées ;
Rapporta les onguents
Que l’ami chat tanguant
Refusait chaque fois :
« Çui-ci broie mes reins,
Çui-ci brûl’ le foie.
Çui-là ne fait rien.
Çui-là me ravage. »
Voyage après voyage,
Les remèdes capotaient.
« Çui-ci se gâtait,
Çui-là, je connais. »
Ils n’étaient pas damnés,
Tous ces efforts peut-être
Aux résultats bien piètres.
Sa fourrure était-elle
Un peu moins sale et frêle ?
Le rat n’aurait su dire
Derrièr’ ses yeux martyrs.
Le sourire du chat s’effaça alors.
Il griffa, mordit l’aspirant soigneur,
Le projeta crûment dans la rivière.
« Je t’avais dit de me laisser pour mort. »
Le rat réveilla ses instincts baigneurs,
S’extirpa gelé vers la lisière ;
Ratatiné, ensanglanté, chétif,
Il peinait à concevoir la furie
Soudain’ de son ami bouleversé :
Il avait sans dout’ quelque just’ motif.
Un’ charité bourrue, a priori,
Mais null’ volonté de vraiment blesser.
Alors le rat retourna près du chat.
Il y traîna sa petite carcasse,
Approcha sa tête griffée, infectée.
Les oreilles baissées, le chat cracha,
Gronda. Le rat fit un soupir fugace.
« Pardon, je ne vous ai pas respecté.
J’espérais seul’ment vous porter secours.
Désolé d’avoir déçu, mal œuvré.
Je reste ravi de votre accointance. »
En réponse à ce fraternel discours,
Le chat haussa une babin’ balafrée,
Empli de fiel et d’un dégoût intense :
« Et qui es-tu ? »
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