Tous me regardent avec surprise, puis Gwenn fronce les sourcils pour répliquer avec sévérité :

- Que crois-tu ? Qu'il suffit de demander gentiment pour entrer dans notre sainte armée ? Nous n'engageons pas n'importe qui !

Je reste interdite, déstabilisée par cette soudaine hostilité. Même si elle ne s'est jamais montrée spécialement aimable, conservant toujours une expression calme et sérieuse, je ne m'attendais pas à ce comportement de la part de celle qui m'a sauvé la vie. L'évêque le remarque, car il dit d'une voix douce à la capitaine :

- Calme-toi, ma fille.

Il se tourne ensuite vers moi pour m'expliquer :

- Entrer dans notre armée n'est en effet pas aussi simple. En plus de recevoir un entraînement militaire, il faut être diplômé en catéchisme, en théologie et en démonologie, mais avant tout cela, il faut être un bon catholique. L'es-tu ?

- Euh. . . À vrai dire. . . Pas du tout. Je suis parfaitement athée.

- Tu comprends donc que l'entrée dans notre armée ne t'est pas possible. . .

- Oui, fais-je en baissant la tête, déçue.

- Quelque chose m'intrigue. . . avoue Enzo. Si tu ne crois même pas en Dieu, qu'est-ce qui te donne envie d'intégrer nos forces ?

- Je vous avais dit le soir de notre rencontre que je tuerai l'assassin de ma mère et je n'ai pas changé d'avis, affirmé-je d'une voix déterminée. J'espérais pouvoir le retrouver plus facilement en intégrant votre armée, mais je constate que je vais devoir me débrouiller sans votre aide.

- Laisse le temps à cette haine de quitter ton coeur avant de prendre la moindre décision, me conseille le religieux. Les actes motivés par la rancoeur ne sont que des péchés.

- Je viens de vous dire que je ne crois pas en votre religion ! m'énervé-je. Votre avertissement n'a donc aucun effet sur moi !

- Ça suffit ! me réprimande la grande brune. Que tu crois en notre religion ou pas, tu dois le respect à tes aînés ! Je te rappelle que tu n'as que treize ans !

Je suis sur le point de rétorquer lorsque Noëmie m'interrompt en posant sa main sur mon bras :

- Calme-toi, je t'en prie, me demande-t-elle d'une voix douce. Nous ne devons surtout pas nous diviser maintenant ou nos ennemis en profiteront.

- Tu es toujours aussi sage, mon enfant, la complimente l'évêque avec un sourire bienveillant. C'est dans ces moments-là que tout le monde peut comprendre pourquoi nous t'avons recruté de bon coeur malgré ton jeune âge.

- Merci, Monseigneur, répond-elle tandis que ces joues s'empourprent sous le compliment.

- Bien, poursuit-il en jetant un coup d'oeil à l'horloge. Les portes de la cathédrale ont fermé. Je vais demander qu'on vous installe les matelas. Pendant ce temps, je vous invite à ma table.

Nous quittons tous nos chaises pour suivre l'homme d'Église en dehors de son bureau. Sur le chemin, je demande à la gentille blonde :

- Quel âge as-tu ?

- Je viens d'avoir dix-huit ans.

- Tu parais plus matûre, remarqué-je avec surprise et une certaine admiration.

- Merci !

- Quand as-tu intégré l'ASC ?

- Il y a deux ans.

- C'est un cas exceptionnel, commente son camarade. D'ordinaire, les plus jeunes recrues ont au moins dix-huit ans, et encore. . . Même eux sont rares !

- Tu es donc un cas rare, affirme la jeune femme.

- Tu as intégré l'armée à dix-huit ans ? demandé-je au jeune homme.

- Oui. Mes compétences en combat ont joué en ma faveur. Je pratique les arts martiaux depuis mon plus jeune âge et je me suis engagé dans l'armée française à dix-sept ans. Au bout de cette année, j'étais déjà considéré comme le meilleur soldat de ma promotion. Je maîtrisais le maniement de toutes les armes. C'est ainsi qu'à dix-huit ans, j'ai été remarqué par des membres de l'ASC qui m'ont proposé de les rejoindre. En apprenant l'objectif de cette armée, je n'ai pas hésité une seconde. Comment hésiter à protéger mes semblables d'une menace dont ils n'ont pour la plupart même pas conscience ? Et puis, il faut avouer que combattre des démons est de loin plus excitant que d'affronter de simples humains, même si nous sommes parfois contraints à le faire, comme tu as pu le voir.

- Qu'en est-il des diplômes religieux ?

- Nous sommes tous deux catholiques de naissance, m'explique Noëmie. Nous avons commencé à étudier le catéchisme à l'âge de trois ans et avons donc reçu notre diplôme à huit ans. À partir de là, nos parents, qui tenaient à nous offrir une excellente éducation religieuse, nous ont initiés à la théologie, mais même si c'est au début difficile pour des enfants, nous aimions étudier les textes sacrés grâce à la foi qui animait déjà nos coeurs. Pour ma part, j'ai continué à étudier la théologie jusqu'à mes treize ans. C'est là que mon don s'est révélé. Quand l'ASC a pris conscience que j'étais une thaumaturge, elle m'a proposé de s'occuper elle-même de ma formation jusqu'à ce que je devienne apte à l'intégrer. C'est ainsi que j'ai commencé à étudier la démonologie et que je me suis formée au combat.

- Quant à moi, j'ai continué à étudier la théologie jusqu'à mon entrée dans l'armée française, reprend Enzo. Quand j'ai accepté de rejoindre l'ASC, ils m'ont enseigné la démonologie et au bout de quelques mois, j'étais déjà prêt à devenir un soldat de Dieu.

- Quel âge as-tu, maintenant ?

- Vingt ans.

- Vous êtes donc tous deux entrés dans l'ASC il y a deux ans, remarqué-je.

- Oui. Nous l'avons intégrée ensemble. C'est pourquoi nous avons été mis dans la même équipe et nous entendons aussi bien, ajoute-t-il en passant un bras autour des épaules de sa camarade.

Ils partagent ensuite un rire complice, auquel je ne me joins pas. À la place, je reporte mon attention sur la capitaine de l'ASC en France. En parlant d'âge, une question s'est imposée à moi : comment a-t-elle su le mien ?