Quand la vérité éclate - partie deux
- Capitaine ! Il faut tout m'expliquer ! exigé-je.
- Je ne pense pas que ce soit le moment, ni le lieu pour une telle conversation, rétorque-t-elle. Regarde donc autour de nous. Un puissant démon nous fait face alors que nous sommes affaiblis par l'enchaînement de nos précédents combats et des gens sont blessés ou peut-être même morts à cause de lui !
Je tourne mon regard en direction des accidentés. Enzo et Noëmie aident les survivants à s'extirper de leurs véhicules endommagés, puis la jeune femme les soigne à l'aide de son don. Les personnes valides observent tour à tour les dégâts et notre altercation avec le démon. L'incompréhension et l'inquiétude se lit sur leurs visages.
Je reporte mon attention sur notre ennemi, dont le large sourire inique qu'il semble bien amusé par la situation, ce qui ne fait qu'accroître ma rancoeur à son égard. C'est alors qu'il soupire, sans abandonner son sourire :
- Franchement, Jessica. . . Comment peux-tu faire confiance à une personne qui n'accepte même pas de te raconter son passé et de te confier ce qu'elle a sur le coeur ? Cela prouve bien qu'elle n'a aucune confiance en toi. Comment peux-tu faire confiance à quelqu'un qui n'a même pas confiance en toi ?
- Tais-toi ! lui ordonné-je, comprenant qu'il cherche à semer le doute dans mon esprit et la discorde au sein de notre groupe. Je peux leur faire confiance parce qu'ils m'ont sauvé la vie et défenu face à toi et tes sbires !
Il éclate de rire, du même rire qu'on lâche lorsqu'on entend une absurdité.
- Bien, dit-il quand il se calme enfin. Tu m'amuses, tu sais ? C'est pourquoi je vais te laisser tranquille une ultime fois afin de profiter encore un peu du spectacle, mais notre prochaine rencontre marquera la fin. . .
Sur ces mots, il tourne sur lui-même et disparaît dans un tourbillon de flammes. Je me laisse tomber à genoux, suivie dans mon mouvement par la capitaine de l'ASC, qui tient toujours mes poignets, même si elle desserre son emprise.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire, maintenant ? insisté-je.
Elle n'a pas le temps de me donner une réponse : ses subordonnés reviennent et le jeune homme nous informe :
- Nous avons sécurisé l'endroit et Noëmie a soigné tous ceux qu'elle a pu.
- Ça veut dire que. . . comprend la brune.
- Oui. Certains n'ont pas eu la même chance que d'autres, même s'ils sont plus rares.
- Que Dieu ait l'âme des innocents, parmi eux.
- Amen, disent les deux autres en se signant.
- Bien, reprend leur supérieure d'un ton calme et résigné. Laissons les autorités s'occuper du reste et allons rejoindre Sa Sainteté.
Nous remontons dans la voiture et c'est Enzo qui prend le volant, cette fois. Pendant qu'il démarre et s'engouffre dans la ville, Gwenn brise le silence qui s'était installé :
- Je suis née dans une famille athée. Enfant, je ne me préoccupais nullement de la religion, jusqu'au jour où ma mère a changé. Ça a commencé par un terrible hurlement au milieu de la nuit. Mon père et moi nous sommes précipités dans la cuisine où elle s'était rendue pour boire. Elle affirmait en tremblant avoir vu un homme au visage difforme dans notre maison. Pensant au début à une intrusion, mon paternel a fouillé toutes les pièces, un couteau à la main, mais n'a rien trouvé. Tout était bien fermé et à sa place. Nous avons donc tous pensé que ma mère avait vu des choses parce qu'elle était mal réveillée. Elle-même s'en est d'abord persuadé, mais ça devenait de plus en plus fréquent, même en pleine journée et en dehors de la maison. Elle dormait mal, aussi, les cauchemars se multipliant, ne lui laissant presque aucun répit. Cela empirait ses hallucinations, qu'elles soient visuelles ou auditives. À tout ça s'est ajouté des moments d'absence. . . C'est avec moi que ça s'est produit, la première fois. Nous plaisantions entre nous et, au moment où je lui ai dit quelque chose de pas gentil pour la taquiner, elle m'a hurlé dessus avec une voix qui n'était pas la sienne. . . Une voix d'homme, grave et profonde. Ses yeux étaient injectés de sang et si exhorbités que j'ai cru qu'ils allaient tomber. J'ai eu tellement peur que j'ai éclaté en sanglots. Jamais ma mère ne m'avait parlé aussi agressivement. Mes pleurs l'ont ramenée à son était ordinaire, mais elle semblait ne plus se souvenir de ce qui s'était passé, car elle m'a demandé pourquoi je pleurais d'une fois confuse. C'est là que nous avons fait appel à des professionnels de santé. Ils l'ont diagnostiquée schizophrène à cause des nombreuses hallucinations qui lui semblaient si réelles, en expliquant que son attitude inhabituelle était dûe aux troubles et à la fatigue provoqués par cette maladie. Ils lui ont administré des traitements, mais ils n'ont jamais fonctionné. . .
Elle prend une grande inspiration, suivie d'une longue pause. Je comprends aussitôt que la partie la plus importante est à venir. Je l'écoute donc plus attentivement que jamais lorsqu'elle reprend enfin :
- Un soir, j'étais couchée dans mon lit, attendant de m'endormir, lorsque j'ai entendu le ton monter dans la cuisine où mes parents étaient restés pour faire la vaisselle ensemble. On aurait dit qu'ils se disputaient. Ça m'a tout de suite choquée, parce qu'ils ne s'étaient jamais disputés à mon souvenir. J'ai donc tendu l'oreille pour tenter de comprendre la raison du conflit et je me suis rendu compte que, contrairement à ma mère, mon père ne semblait pas furieux. Sa voix n'exprimait que peur et inquiétude. Je l'entendais lui demander de se calmer, pendant que sa voix devenait de plus en plus grave, jusqu'à devenir celle qui m'avait traumatisée quelques semaines plus tôt. Elle l'insultait et le menaçait, usant même de mots qui m'étaient inconnus, que ce soit pour leur vulgarité et leur violence, ou parce qu'ils étaient dans une langue que je ne connaissais pas. Elle commençait en effet depuis quelques jours à parler subitement dans des langues inconnues, mais nous n'avions pas encore eu l'occasion d'en parler aux médecins. Quoiqu'il en soit, je me suis levée de mon lit pour aller voir ce qui se passait et, surtout, supplier ma mère d'arrêter. À peine suis-je arrivée sur le seuil de la cuisine que je l'ai vue prendre un énorme couteau pour le brandir en direction de mon père !
Elle s'interrompt encore pour prendre de grandes inspirations. Sa voix est de plus en plus tremblante, mais elle poursuit son récit :
- Celui-ci s'est bien sûr défendu en attrapant sa main juste à temps, mais elle était d'une telle force. . . C'en était anormal ! Elle a réussi à le faire tomber au sol et à se mettre à califourchon sur lui pour mieux le maîtriser. Papa continuait à se débattre, tout en la suppliant. Il était en larmes, lui demandait de ne pas lui faire ça, que si ce n'était pas pour lui, elle devait s'arrêter au moins pour moi, mais elle ne semblait plus l'entendre. Elle riait de sa terrifiante voix grave. Ses yeux étaient à nouveaux rouges de sang et exhorbités. Finalement, elle a réussi à l'avoir. . . Le couteau s'est planté en plein dans son coeur, le tuant sur le coup, mais elle a continué à le poignarder frénétiquement. J'étais si choquée, si désemparée face à la situation, que je n'ai même pas hurlé. Je suis juste restée bouche bée, fixant les yeux vides de mon père tournés vers moi. Les larmes ont commencé à couler toutes seules, sans que je ne m'en rende compte. Finalement, je suis tombée à genoux et j'ai pris mon visage dans mes mains pour pleurer. Mes sanglots ont attiré l'attention de ma mère. Elle a cessé de poignarder mon père pour se précipiter dans ma direction. Heureusement, au même moment, des policiers sont entrés et l'ont maîtrisée au moment où elle me plaquait sur le sol pour me faire subir le même sort.
Elle essuie une larme en reniflant. Je suis partagée entre le frisson de plaisir que me provoque l'imagination de ces moments sanglants et la peine que je ressens face à la détresse de cette femme. Je passe donc un bras autour de ses épaules en même temps que Noëmie, assise à sa droite. Elle nous adresse un petit sourire de gratitude en retour et finit :
- Les policiers ont été surpris par la force surhumaine se dégageant d'elle. Ils ont dû se mettre à plusieurs pour la menotter et l'emmener. Elle n'a pas été jugée coupable en raison de sa santé mentale, mais a été placée sous haute surveillance en hôpital psychiatrique pour éviter qu'elle ne blesse ou tue quelqu'un d'autre. Quant à moi, j'ai été placée en famille d'accueil car je n'étais encore qu'une enfant, mais en faisant des recherches sur l'état de ma mère, j'ai réalisé qu'elle n'était atteinte d'aucune maladie mentale, contrairement à ce que la plupart pensaient. Tous ses symptômes correspondaient à ceux d'une possession démoniaque. . . Ça ne pouvait être une coïncidence ! Je n'avais plus qu'une seule idée en tête : me venger en exterminant autant de démons que possible, puisque je n'avais aucune idée duquel l'avait possédée. . . C'est alors que je me suis convertie à la religion catholique. Quand j'ai enfin obtenu mes diplômes en théologie et en démonologie, on m'a révélé l'existence de l'ASC en me proposant de la rejoindre. J'ai aussitôt accepté. Ma détermination et mes compétences m'ont permis de rapidement monter les échelons jusqu'à devenir la capitaine de cette armée sainte en France.
- Qu'en est-il de ta mère ? lui demandé-je. Tu es diplômée en démonologie, tu as donc pu l'exorciser.
Elle secoue tristement la tête :
- Non. Malheureusement, je n'en ai pas eu le temps. Elle et morte avant que je ne termine mes études en démonologie. Quand un démon possède un être humain, en plus de pouvoir se servir de son corps pour faire du mal à son entourage, il peut le détruire de l'intérieur. C'est ce qui s'est passé avec elle. J'étais encore adolescente quand la nouvelle de sa mort m'est parvenue.
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