Quand la vérité éclate - partie trois ou la lance de Longin
L'ambiance dans la voiture est pesante. Je vois du coin de l'oeil qu'Enzo retient difficilement ses larmes pour éviter tout accident lors de la conduite.
Nous arrivons quelques minutes plus tard devant un imposant bâtiment au sommet duquel trône un dome. C'est la plus grande construction qu'il m'ait été donné de voir ! La façade claire est richement ornée d'élégantes sculptures. Ces quelques minutes de trajet suffisent à Gwenn pour retrouver son sang-froid habituel. Pourtant, lorsque nous quittons le véhicule, je ne peux m'empêcher de glisser ma main dans la sienne. Elle se crispe d'abord un peu en me lançant un regard surpris, mais finit rapidement par se détendre face à mon sourire. Je me sens en effet plus proche d'elle que jamais : nous avons toutes deux perdu notre famille à cause d'un démon, peut-être le même, et sommes motivées depuis par notre désir de vengeance. En somme, nous sommes pareilles, malgré nos nombreuses différences. La capitaine de l'ASC n'acceptera certainement pas que j'intègre son armée en raison de mon absence de foi, mais elle trouvera peut-être un autre moyen de m'aider à atteindre mon objectif. Cet espoir semble cependant contradictoire avec le fait qu'elle ne cesse de me rappeler les paroles de l'évêque de Gap, mais peut-être est-ce simplement pour me protéger. Il faut que j'ai une nouvelle discussion avec elle pour mettre tout ceci au clair.
En attendant, nous grimpons les marches et, arrivés devant la porte, les trois soldats montrent leurs papiers aux agents chargés de la sécurité. Ces derniers nous laissent aussitôt passer sans poser plus de questions. Nous foulons le sol en marbre coloré au milieu des visiteurs pour nous rendre jusqu'à la nef. Là, mes trois compagnons touchent ce qui se trouve être la statue de saint Pierre. Noëmie me glisse à l'oreille :
- Il est le fondateur de cette basilique. C'est pourquoi elle porte son nom. C'est un devoir pour tout catholique passant à Rome de venir toucher sa statue pour acquérir sa bénédiction.
Je me contente de hocher la tête, n'accordant pas plus d'importance à ces croyances, et demande aussitôt :
- Où se trouve le Pape ? C'est lui que nous étions censés rencontrer, pas ce saint enterré depuis des siècles. . .
- Un peu de patience, m'intime Gwenn. Il viendra nous rencontrer à la tombée de la nuit, lorsque les touristes s'en iront.
En attendant son arrivée, ils s'agenouillent pour prier, mains jointes, remerciant certainement Dieu et toutes les autres figures saintes de nous avoir permis d'atteindre cet endroit entiers. Pendant ce temps, je m'assieds sur l'un des bancs et pose mon menton sur mes paumes. J'observes les riches ornements de la Renaissance, les touristes venant prier, toucher la sainte statue, ou simplement prendre des photos. Bientôt, sans même que je ne m'en rende compte, le brouhaha de la foule devient de plus en plus lointoin, ma vision de plus en plus trouble, jusqu'à ce que je tombe dans le sommeil.
*
- Jessica, m'appelle la douce voix de Noëmie. Jessica, réveille-toi.
J'ouvre les yeux. La jeune femme est penchée sur moi. Elle m'observe avec un mélange de tristesse et de tendresse. Je me redresse lentement et m'étire en déclarant :
- Décidémment, ces bancs ne sont pas confortables du tout ! Je crois que j'ai des courbatures. . .
Elle étouffe un rire en s'écartant pour me permettre de me lever. Les trois soldats sont là, revêtant à nouveau leurs uniformes militaires. L'intérieur de la basilique me semble soudainement plus calme et plus sombre. Je comprends rapidement pourquoi en regardant autour de moi : l'endroit est désert, excepté nous quatre et. . .
Un homme âgé se tient non loin de nous. Il a de courts cheveux blancs, seule forme de pilosité visible, et des petits yeux sombres. Il porte une soutane claire, une croix dorée autour du cou et la fameuse tiare pontificale, qui m'informe aussitôt sur son statut et, surtout, son identité.
Il approche lentement pour venir se placer face à moi, m'observe de haut en bas, puis me dit avec un sourire :
- Te voilà enfin, me dit-il avec un accent, qui confirme que le français n'est pas sa langue maternelle.
- Bonsoir, me contenté-je de répondre.
- Bonsoir, répond-il poliment. Suis-moi.
Je lui emboîte le pas, intriguée. Il ne s'est même pas présenté. Peut-être compte-il le faire dans un lieu plus adapté ?
Nous marchons jusqu'à l'autel, situé sous le dôme. Là, Enzo vient me faire face pour m'annoncer d'une voix triste, mais solonnel :
- Il est grand temps de nous faire nos adieux.
- Quoi ? ! Déjà ? ! m'exclamé-je spontanément, sans même réfléchir.
La simple idée de devoir être séparée d'eux me serre le coeur.
- Oui, malheureusement. . . murmure-t-il en baissant la tête. Je regrette que l'on doive se quitter, mais nous n'avons pas d'autre choix.
Sur ces mots, il me tend sa main, accompagnée d'un large sourire, qui illumine son visage malgré sa tristesse apparente :
- Je suis enchanté d'avoir fait ta connaissance.
- Tout le plaisir était pour moi, avoué-je en la serrant chaleureusement.
Noëmie est la suivante à se placer face à moi. Elle semble au bord des larmes. Elle me fixe das les yeux pendant de longues secondes, avant de finalement se jeter à mon cou en sanglotant :
- Tu vas nous manquer !
- Vous aussi, dis-je en la serrant dans mes bras.
- Merci de m'avoir fait prendre conscience de la face cachée de mon don. Je te dois beaucoup. . .
Elle dit ces mots en s'écartant de moi pour essuyer ses yeux du revers de la main. Elle est si touchante que j'en pleurerais presque avec elle.
Son camarade l'attrape délicatement par le bras pour la faire reculer, permettant ainsi à Gwenn de venir me parler. La grande brune m'observe aussi en silence pendant un long moment, durant lequel je lui souris. Elle finit par me le rendre et s'approche de moi pour me serrer contre elle.
Je suis un peu surprise par sa soudaine marque d'affection, mais le plaisir qu'elle me procure prend vite le dessus et je lui rends son étreinte de bon coeur en lui disant :
- Merci pour tout, capitaine.
Elle me serre un peu plus fort et me promet :
- Je comprends ton désir de vengeance et le partage. C'est pourquoi. . . je te fais le serment de l'accomplir pour nous deux et toute l'Humanité, finit-elle en m'attrapant par les épaules pour plonger son regard marron dans le mien.
Je suis sur le point de lui demander ce qu'elle entend par là, lorsque le Pape se râcle la gorge, attirant notre attention. Il me fait signe de m'avancer et, une fois que je suis à ses côtés, il me montre une longue boîte cylindrique reposant sur l'autel. Elle est en argent et ornée de motifs religieux, telles des croix et la colombe représentant le Saint-Esprit. Le religieux fait signe à la capitaine de l'ouvrir. Celle-ci s'exécute et en sort une longue lance, qui semble extrêmement ancienne, mais étonnemment en bon état. Je ressens aussitôt l'aura unique qu'elle dégage. Une aura qui me fascine et me met mal à l'aise en même temps.
- Qu'est-ce que c'est ? demandé-je.
- C'est la lance de Longin, l'arme qui a percé le flanc droit de notre Seigneur Jésus lors de sa crucifixion, me répond le Pape.
Mes yeux s'écarquillent malgré moi. Comment est-ce possible de conserver un objet aussi ancien en aussi bon état ?
Le vieil homme ne prête pas attention à mon étonnement. Il échange un regard avec la femme qui nous fait face. Les mains de celle-ci tremblent. Elle ferme les yeux, prend une grande inspiration, puis me lance un regard impassible et me dit d'une voix si froide qu'elle me glace le sang :
- Pardonne-moi, Jessica. . .
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