Chapitre 1
- Mmmmhhh… Ma langue… Ça fait un mal de chien !
Ma va certainement me tuer quand elle verra ça…
Bon, peut-être pas devant le petit nouveau…
Cette pensée me fait sourire. Ma peut se révéler être une tigresse quand elle est en colère mais si j’ai bien compris, elle doit amadouer le petit nouveau. Donc elle ne s’énervera pas.
Du moins… pas tout de suite.
Je suis dans la clairière, à quelques rues de chez moi. Il commence à pleuvoir des cordes. J’aime bien ce temps-là… L’orage… mmmh… m’apaise…
Tiens ? C’est qui ?
Une ombre encapuchonnée vient de sortir du bois. Je me sens comme… attiré. Elle passe à deux pas de moi sans même me voir. Je ne sais pas pourquoi mais je la suis, comme un pervers poursuivrait sa cible. Je rigole tout bas. Cette personne ne remarque même pas ma présence et pourtant je la talonne de près.
Elle prend le chemin de la maison… Ah… mais c’est peut-être… lui.
L’ombre passe le portillon et s’avance vers le porche où une serviette l’attend. Je reconnais bien là les petites attentions de Ma. Je ne peux m’empêcher de sourire. Il la décroche et commence à s’essuyer. Je ne sais pas pourquoi mais ce spectacle… me fascine. Il enlève son sweat complètement détrempé et…
Baboum.
C’était quoi ça ?
Mon cœur a fait un saut dans ma poitrine. Il bat tellement fort que j’ai presque l’impression qu’on pourrait l’entendre malgré le bruit de la pluie torrentielle. Ses longs cheveux blond descendent en cascade jusqu’à ses épaules : il les secoue pour tenter d’en évacuer l’eau. Sa peau est blanche presque diaphane… Il est si maigre que j’ai l’impression que si je le serre un peu trop fort contre moi, je risquerai de le briser.
J’ai bien envie d’essayer.
Je m’avance doucement, tel un papillon attiré par la lumière. À chaque pas que je fais pour me rapprocher de lui, mon palpitant accélère la cadence. Arrivé près de son corps, je ne peux m'empêcher d’être un peu brutal. Je place mes bras sous ses aisselles et le plaque contre moi. Stupéfait, il lâche la serviette et penche légèrement la tête. J’en profite pour rapprocher mon visage de ce cou si frêle.
Il sent divinement bon…
Une odeur sucrée comme si l’on débouchait un bocal de bonbons… J’aime. Je ne sais pas ce qui me prend mais je resserre mon étreinte autour de ce corps frêle. Mes lèvres proches de son oreille, je lui susurre tout bas…
- Mmh… Oui. Tu es bien un mec… De dos, avec ta petite taille gracile, je t'ai pris pour une fille…
Il se met à se débattre dans mes bras pour tenter de me faire lâcher prise. Il est si faible que s’en est presque risible.
- Doucement, petit lion !
- Lâche-moi !
Sa voix… Je ne m’attendais pas à ça. Il a une voix douce, chaleureuse malgré la colère qui y a perçée. J’en ai eu des frissons. Oups, voilà Ma qui arrive…
Cela fait un peu plus d’un mois. Un mois que Tristan est entré dans ma vie. Mon petit lion. Il a tout chamboulé. Absolument tout. Je n’arrive plus à dormir si je ne suis pas près de lui et je refuse d’analyser ce que je ressens. J’adore le son de sa voix d’une incroyable douceur, même quand il est en colère, et son odeur… je ne m’en lasse pas… Cette odeur de bonbons sucrés…
Apprécier chaque moment.
C’est devenu ma devise. Oui, je suis un lâche. Et je m’en fiche. Je veux juste, juste être auprès de lui. Le protéger. Je sais qu’il a besoin de moi. Et je veux être là pour lui.
Je suis à demi réveillé, placé dans ses bras maigres, la tête posée sur son torse. Je me sens bien. Je fais mine de ronfler et le sens pouffer de rire. Il resserre son étreinte autour de moi et me pose un baiser sur le front.
J’adore. J’adore ce simple contact de ses lèvres sur ma peau.
Puis je l’entends murmurer :
- Oui… Oui, je suis jaloux. Tout ça parce que je t’aime.
Il… quoi ?
Sans m’en rendre compte, mon œil s’est ouvert. Je sens comme un liquide glacé parcourir mes veines. Mon coeur… Mon cœur a cessé de battre… ce qui expliquerait la douleur que je ressens dans la poitrine. Une douleur atroce et douce à la fois. Ma tête et mon cœur se lancent dans un combat fou. Un combat dont je serais le perdant quel que soit le vainqueur.
Son visage. Ses yeux. Sa bou… Je dois les regarder. Il faut que je les vois. Que je m’imprègne de son image. Mon petit lion semble partagé : ses traits sont la douceur incarnée mais en même temps une ombre voile son regard. Comme s’il… s’il avait peur.
De quoi ?
- Bonjour mon petit lion… je m’entends lui dire, d’une voix incertaine.
Le soulagement se dessine alors sur son visage et ses yeux s’adoucissent. Et moi… Moi, j’ai comme l’impression de me noyer. Je… suffoque. Comme si mes poumons refusaient l’air pourtant indispensable à la survie de mon corps.
- Bon…bonjour mon démon angélique… me murmure-t-il, un sourire timide sur les lèvres..
Sa voix… Sa voix est chargée… de… de quoi ? Son doux sourire sonne le glas. Comme si quelque chose se brisait. Une vitre épaisse vient de se briser en moi. Je ne peux m’empêcher de l’embrasser. Je veux sentir ses lèvres, sa chaleur, son corps contre le mien.
J’ai presque l’impression de forcer ce baiser comme s’il ne voulait pas que ma langue pénètre dans sa bouche. Pourtant… c’est si bon. Sa langue contre la mienne. Ses mains qui se baladent sur mon torse sans même qu’il ne s’en rende compte. J’adore ça. J’aime l’embrasser. Le toucher. M’endormir près de lui. J’aime son odeur, son sourire. Je…
NON ! Je… Je ne peux pas… C’est… C’est… interdit…
- Je… Whaou… me dit-il à bout de souffle.
Le mien aussi est erratique mais pas pour les mêmes raisons. Mon cœur bat à tout rompre. L’air me manque. Je dois partir. J’ai peur. Je suis terrifié par mes propres pensées. Il faut que je sorte d’ici. Mes mains tremblent. C’est un cauchemar. Je ne pourrai jamais…
- Mon petit lion… Je… Je ne serai pas capable de… Non… je ne… pour moi c’est… c’est… Enfin, voilà quoi.
Je m’enfuis, sans un regard en arrière. Je n’ai pas su m’exprimer correctement. Mais exprimer quoi au juste ? Qu’ai-je à dire en réalité ? Je n’en sais rien.
Comment un garçon peut-il en aimer un autre ? Ce n’est pas possible. C’est… Incorrect. Je tremble. J’ai une douleur à la poitrine et le souffle coupé. Mais je sais, je sens que ce n’est pas… médical.
Qu’est-ce qui m’arrive ?
Je donne un coup de poing rageur dans le mur et prend mon casque. Rouler m’a toujours fait du bien. Ça m’aidera à éclaircir mes idées.
J’ai roulé de long en large, jusqu’à que ce soit l’heure d’aller travailler. Mais rien. Je n’ai pas trouvé de réponses à mes questions et je ne vais pas mieux. J’arrive au bureau, la mort dans l’âme.
Mme Villepin, ma patronne, me regarde, semble vouloir dire quelque chose mais se ravise.
- Ta liste de tâches est sur ta boîte mail, Rey.
Je la regarde à mon tour et hoche simplement la tête. Elle dépose une tasse de café chaud devant moi et me scrute d’une manière… bizarre. Comme si elle avait compris quelque chose d’évident.
Peut-être que bosser me permettra d’oublier un instant ses délicieuses prunelles noisettes…
- TOC ! TOC ! Eh, oh ! Il y a quelqu’un ?
Mme Villepin me tire de ma rêverie.
Merde.
- Bon, qu’est-ce qui se passe Rey ? me questionne-t-elle de but en blanc.
- Je… Je suis désolé Mme Villepin, je… bégayais-je lamentablement.
- Rey, stop. Écoute, cela fait trois semaines que tu bosses avec moi et tu as abattu plus de boulot que mon ancien assistant en deux mois. Je vois bien que quelque chose te tracasse. Tu veux en parler ?
Si je veux en parler ? Je ne sais pas. Y a quoi à dire de toute façon ? Je ferme les yeux, bascule en arrière sur ma chaise de bureau et pose ma tête sur le coussin prévu à cet effet.
- Je… J’ai eu… Une déclaration d’amour totalement inattendue ce matin…
- C’est ça qui te tracasse ? Tu dois en avoir beaucoup vu ta frimousse d’ange.
Non. Je suis un démon angélique.
Cette pensée me fait piquer un fard. J’en ai presque les larmes aux yeux.
- Ouh là… Ça m’a l’air plutôt sérieux ton histoire là… Viens, je t’emmène déjeuner.
Le ton maternel de ma patronne me surprend un peu. Mme Villepin est une femme d’une soixantaine d’années, célibataire endurcie, sans enfant. Elle a tout sacrifié pour sa réussite professionnelle. Et celle-ci est parfaite selon ses propres dires.
Elle m’emmène dans un petit restaurant, pas loin du bureau, que je ne connaissais absolument pas. Nous nous asseyons en terrasse et Mme Villepin a changé de posture : en ce moment, elle n’est plus ma patronne. Elle commande deux plats du jour puis me regarde droit dans les yeux, en appuyant son menton sur ses mains jointes.
- Vas-y, raconte. Je suis toute ouïe.
Je la regarde et un je ne sais quoi dans ses prunelles noires m’incite à me confier.
- Que dire ? En fait, on se connait depuis plus d’un mois et… et c’est vrai qu’on est devenu vite très proche. Jusqu’à dormir ensemble… Presque tout le temps… Mais... Mais je… hésitai-je.
- Tu quoi ? Imbécile ! Si tu es bien avec elle, fonce un point c’est tout.
- Avec lui.
C’est sorti tout seul. Je me plaque une main sur la bouche. Les yeux de ma patronne s’arrondissent un instant de surprise avant de s’attendrir.
- C’est donc ça le problème. Parce que c’est “lui”, me répond-elle, en mimant les guillemets.
Je ne sais pas quoi répondre. Je me cache… Est-ce vraiment ça le problème ? Oui. Non. Je ne sais pas. Mme Villepin me donne une tape sur la tête avec son poing.
- Idiot ! Que ce soit lui ou elle, quelle importance ? Pose-toi simplement la question : est-ce que je suis bien avec lui ? Et surtout… Surtout… S’il partait… Que ressentirai-je ?
Rien que d’évoquer la possibilité de ne plus le voir et mon coeur s’est refroidi. Mme Villepin éclate de rire.
- Je vois que tu as ta réponse. Je vais te faire une confidence mon petit Rey. Si aujourd’hui j’ai la réputation d’une célibataire endurcie, c’est parce que j’ai laissé filé l’amour de ma vie. Je m’en suis rendue compte trop tard : seulement lorsqu’elle s’est enfuie avec une autre.
Elle me fait un clin d’oeil avant de commencer à manger.
- Mange ça va être froid ! Et en plus tu as du travail à rattraper !
Finalement, lui parler m’a fait du bien. Il va falloir que je discute avec Trist d’une manière ou d’une autre. Peut-être ce soir, sur le toit ? Ça a bien marché la dernière fois que j’ai merdé. Je ne sais pas encore quoi lui dire mais ce qui est sûr, c’est que je ne veux pas le perdre. Je viens de le réaliser grâce à Mme Villepin.
Nous retournons au bureau il est presque 14h00. Notre pause déjeuner aura été plus longue que prévu mais je me sens plus serein à présent.
L’après-midi passe sans que je ne m’en aperçoive. J’avais énormément de travail et pas une seconde pour penser à comment je vais rattraper le coup avec mon petit lion. Je passe la tête dans le bureau de Mme Villepin pour lui souhaiter bonne soirée.
- Quoi ? Déjà ? Mon dieu que le temps passe vite ! Bonne soirée à toi aussi ! Oh… Et embrasse-le de ma part…
Je me sens rougir sous son regard avant qu’elle n’éclate de rire. Je sors mon téléphone de mon sac et m’aperçois que Ma m’a appelé cinq fois en début d’après-midi. Je commence à m’inquiéter et compose son numéro, les doigts tremblants. Une boule d’inquiétude se forme dans ma poitrine. C’est grave. Je le sens.
- Allô ? Rey ? me dit-elle d’une voix incertaine. Tu… Tu as été au boulot ?
- Oui Ma, depuis ce matin, pourquoi cette question ? répondis-je, presque sur la défensive.
Qu’est-ce qui se passe ?
- Je… Mon dieu Rey…
- Ma ? Qu’est-ce qui se passe ?
- C’est Tristan. Il ne s’est pas présenté ni au lycée ce matin ni au boulot. Il est introuvable.
Mon cœur s’est fait la malle. Tristan est… introuvable. C’est de ma faute. Je n’aurai pas dû lui dire ça ce matin. Je sais pourtant qu’il est fragile et qu’il est capable de…
- Ma ! Ses pilules?
- … Plus là…
Non… Pas ça… Pitié ! Pas ça.
- Rey…
Je raccroche et prends mon casque. Je ne prends même pas la peine d’expliquer ce qui se passe à Mme Villepin et fonce à la recherche de mon petit lion. Je commence par aller vers son arbre, je sais qu’il y trouve souvent refuge. J’arrive à la clairière, stationne la moto et court vers le cyprès aux feuilles vert tendre. J’y grimpe… Personne.
Je fais le tour de la ville. J’arpente chaque rue, chaque ruelle. Je suis même allé à l’Akuma mais Érika m’a seulement dit que ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vu. Vers 18h00, je croise Lydia qui rentre chez elle. Je m’arrête.
- Salut Bib… Ouh là… Qu’est-ce qui se passe ?
- Tristan… Tristan a disparu…
- Comment ça, disparu ? C’est vrai qu’il n’est pas allé au lycée mais il a sûrement dû se rendre chez Hannah non ? Il adore ce boulot !
- Même pas… Je…
Je sens une énorme bouffée d’inquiétude s’emparer de moi. C’est insupportable. Lydia me prend dans ses bras.
- Rey… Que s’est-il passé ? me chuchote-t-elle, en tentant vainement de me réconforter.
- Je… Il… Il… m’a avoué ses sentiments… Ce matin…
Je sens les larmes monter et mon cœur s’alourdit un peu plus.
- Il a fini par te le dire finalement. Et ?
- Quoi ? Tu le savais ? fais-je, complètement étonné qu’il ait pu se confier à elle.
- Il faut être stupide pour ne pas l’avoir remarqué. Rey ! Ne me dis pas que… Tu ne l’as vraiment pas remarqué ? Tristan est fou amoureux de toi ! Et depuis un moment…
- Non… S’il te plaît… Non… Ne me dis pas ça… Pas maintenant qu’il est parti… Je… Je n’ai pas…
- Tu n’as pas… Non… me fait-elle, en secouant ses boucles rousses. Ne me dis pas que… - et là, elle me regarde droit dans les yeux - Tu n’as pas assumé tes propres sentiments, c’est ça ? Putain… Fait chier ! J’ai vraiment perdu contre lui ??
Je reste sans voix. Comment ça, perdu contre lui ? C’est quoi encore cette histoire ?
Et… Quoi ? Assumer mes… mes… propres… sentiments …? Ça a fait tilt dans ma tête. Et dans mon… Je me suis raidi dans ses bras. Ce que je ressens pour lui. Pour Trist. Pour mon petit lion.
- Ça y est ? Tu as compris ou pas ? Peut-être qu’un dessin t’aiderai… Ça a toujours été le cas…
Le ton sarcastique de sa voix ne me dupe pas. Je sais que Liliou est triste, blessée, que son cœur est au bord de l’implosion. Mais je ne peux rien y faire.
Parce que mon cœur à moi est déjà pris.
- File. Va le chercher. Dit-le-lui. Je sais qu’il comprendra.
Je quitte le cocon réconfortant de ses bras. Où peut-il être ?
Mais oui !
La grotte. C’est notre espace. Notre secret. Il y sera. Je le sais. Il ne peut qu’être là-bas. Je roule à une vitesse déraisonnable. Je n’ai plus qu’une envie…
Je prends le sentier escarpé en me rappelant la première fois qu’on y est descendu et la peur bleue qu’il avait. La sensation de sa main dans la mienne. La chaleur de son corps contre le mien. Des larmes commencent à couler sur mon visage.
Il n’y est pas.
Je crie son nom dans la grotte : il n’y a que l’écho pour me répondre. Je sors mon téléphone. L’appelle. Messagerie.
- Mon petit lion, c’est moi… ton… ton démon angélique. Je t’en supplie, rentre à la maison. Ou retrouve moi dans notre cachette… Ne fais pas de conneries. Je t’en prie. Il faut absolument que je te dise quelque chose.
Pourquoi ? Pourquoi je sens que je ne le reverrai pas ? Je m’effondre sur le sable chaud. Il viendra peut-être. Je vais l’attendre. Oui, c’est ça. C’est ici notre point de rendez-vous…
Il viendra.
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