Chapitre 2
Cela fait six mois que ma vie est fade. Sans intérêt. Je n’ai plus goût à rien. J’ai à nouveau perdu le sourire. Je ne mange que pour rester en vie dans l’espoir vain que tu me reviennes enfin.
Mon seul réconfort reste cette chambre et cet oreiller où ton odeur persiste encore. Ou alors peut-être que je me l’imagine ? Je ne sais plus où j’en suis. Je n’ai que cette douleur profonde, ce vide abyssal qui engloutit mon cœur, mon corps, mon âme.
Pourquoi a-t-il fallu que je comprenne trop tard ?
J’ai l’impression de n’être plus qu’une loque. J’essaie tout de même de sauver les apparences. Pour Ma. Je passe pratiquement tout mon temps libre à l’Akuma où je jette ma tristesse, ma rage et ma rancœur dans les poids, les machines et surtout - surtout ! - les sacs de boxe. À défaut des troncs d’arbres… Érika est parfois obligée de me mettre à la porte… voire même de m’interdire d’entrer…
Lydia essaie de me dérider, de me sortir de ma léthargie mais rien n’y fait. Tu me manques atrocement. J’en suis arrivé à me dégoûter. Je me hais. Je me hais de t’avoir autant blessé. Blessé si fort que tu ne veuilles plus revenir…
Tu n’es plus là.
Lorsque Ma m’avait annoncé ce jour-là que quelqu’un s’était jeté du haut du pic du Diable, j’ai cru mourir moi-même. Heureusement, ce n’était pas toi. Les plongeurs ont fini par retrouver le corps d’un jeune homme d’une vingtaine d'années quelques jours plus tard, complètement bouffi par l’eau salée.
Les enquêteurs ont fini par clore le dossier : personne n’a trouvé quoique ce soit concernant ta disparition. Pas le moindre indice. Tu t’es purement et simplement volatilisé. Ils ont même conseillé à Ma d’organiser des funérailles. Ils sont persuadés que tu t’es… - je refuse de dire ou de penser à ce mot - étant donné ton état dépressif…
Je ne veux pas y croire mais… Il n'y a que Lydia et moi qui savons ce qui s’est passé dans ta chambre ce matin-là… Quand je pense que tout est de ma faute ! Je ne peux plus me regarder en face, ni même regarder Ma. Elle t’aime tellement ! La police est persuadée que tu t’es jeté à la mer… C’est pour cela qu’on ne te retrouve pas. Selon eux, ton corps doit être au large à présent… Surtout après la tempête que l’on a essuyé.
Ma reste persuadée du contraire. Je ne sais pas si elle se fait de faux espoirs ou pas mais je suis tenté de la suivre, quitte à vivre à jamais dans ton souvenir et dans l’espoir que tu me reviennes…
Les journées passent, se suivent et se ressemblent… J’ai finalement repris le travail : Mme Villepin a été d’une gentillesse et d’une compréhension exemplaires. Ma essaie de vivre normalement mais sa tristesse transperce à travers ses prunelles bleues. Même Arnold semble dépassé ! Cela prouve à quel point tu nous as marqué. À quel point nous t’aimons, mon petit lion…
Allongé sur ton lit, je serre ton oreiller contre moi, y enfouis ma tête espérant retrouver une infime particule de ton odeur, de cette odeur de bonbons que j’aime tant.
Mais rien.
Mon parfum préféré a fini par disparaître… Il ne subsiste plus rien de toi dans cette maison, à part le souvenir cuisant de ton passage. Pas même une photo. Encore une fois, je verse des larmes amères, surtout en repensant à ces mots, à peine murmurés ce matin-là...
Oui, je suis jaloux… Tout ça parce que je t’aime…
Serais-tu parti si je ne t’avais pas rejeté ? Si j’avais fait semblant de n’avoir rien entendu pour ensuite réfléchir, tu serais encore là. Je suis trop con. Tout ça à cause d’un reste d’une fichue éducation religieuse débile.
Et de ma lâcheté. Surtout de ma lâcheté.
Je réalise à présent à quel point j’ai pu être stupide. C’était là devant moi. Tous les signes. Mon corps désespérément attiré par le tien. Le manque de ta peau, de tes lèvres. Mon addiction à ton odeur, à ton sourire. Mon désir de protection, que rien ne puisse t'atteindre.
Mon cœur battant la chamade à chaque regard, à chaque frôlement.
Pour la énième fois depuis ce qui me paraît des lustres, je ne peux que pleurer ta disparition. Je pleure mon manque de toi. J’ai envie de hurler mais… Ma est là. Et elle souffre déjà bien assez.
La porte de ta chambre s’ouvre. Ma apparaît dans l’embrasure, des larmes striant son visage fatigué.
Imbécile… Elle t’a entendu…
- Rey… Ils… Ils l’ont retrouvé… Rey… Ils ont retrouvé Tristan !
Mon cerveau s’est déconnecté… je… J'ai mal entendu ? Ils ont… Tristan… Mon petit lion… il a été… retrouvé ?
Respire, Rey… Respire.
Je ne me suis même pas rendu compte mais mon souffle s’est coupé. Tristan. Mon petit lion… Pitié… Dites-moi qu’il est vivant ! Ma s’approche de moi et me serre dans ses bras, me faisant douter du pire.
Pas ça… non… pitié…
Des larmes roulent aussi sur mes joues. Je n’ose pas lui demander… Son étreinte est tellement forte ! Elle tremble… avant de me murmurer :
- Il… Il est vivant… Mais…
Mon dieu ! Merci ! Attends… pourquoi ce mais ?
- Mais… mais quoi Ma ? l’interrogeai-je, pris de panique.
- Rey… Tristan est dans le coma. Depuis plus de quatre mois.
Dans le… coma ? Mais pourquoi ?
Je tremble. De peur. D'excitation. Il est vivant. Je viens moi-même de renaître.
Tristan. Est. Vivant.
Je vais enfin pouvoir revoir mon petit lion.
Tristan se trouve dans une petite ville à plus de deux cents kilomètres d’ici. Il est à l’hôpital depuis plus de quatre mois, dans le coma. De nombreuses zones d’ombres persistent : comment se fait-il qu’il soit aussi loin ? Et pourquoi est-il à l’hôpital ? Et les deux mois entre sa disparition et son retour ?
S’il n’avait tenu qu’à moi, j’aurai fait les deux cent kilomètres qui nous séparent à moto, à la seconde même où j’ai appris la nouvelle. Ma m’a finalement convaincu de les attendre. Le voyage s’est déroulé dans une ambiance assez tendue : il fait nuit noire mais personne n’a voulu attendre le lendemain pour l’effectuer.
Cette ambiance est due à cet inspecteur Hérault : c’est lui qui nous a contacté. Avant que nous puissions revoir - mon ? - notre Tristan, il souhaite s’entretenir avec sa famille d’adoption. Histoire de clarifier les choses, paraît-il.
Nous arrivons dans la petite ville en question, il est presque une heure du matin. Je brûle de revoir mon petit lion mais la curiosité me pousse à savoir ce que cet inspecteur nous veut. Il nous reçoit dans un petit bureau, fleurant bon la poussière. Il pose alors une photo sur la table nous séparant.
- C’est bien lui ?
Ma prend le cliché dans ses doigts tremblants. À nouveau, des larmes coulent le long de son visage. Il s’agit bien de mon petit lion, allongé sur un lit d’hôpital, un bandage autour du crâne. Son visage émacié, la couleur si particulière de ses cheveux…
- Seigneur, oui… C’est bien notre Tristan… Mon dieu… il a encore maigri. J’ose à peine croire que cela est possible. Comment va-t-il ?
- Son corps se remet peu à peu des divers sévices qu’il a subi. Les médecins n'attendent que son réveil.
- Sévices ? murmure Ma, indignée.
- Oui. Sa mère l’a énormément drogué avant d’essayer à nouveau de le tuer.
À… nouveau ? Mais que ?!?
Il nous raconte comment Trist a été retrouvé. Un petit garçon du nom de Thibaut Oric jouait avec ses amis dans une zone désaffectée. Il y a là-bas une vieille maison abandonnée depuis des lustres. Les enfants s’amusaient à cache-cache et le gamin est allée vers le porche de ladite maison.
Elle commençait à prendre feu lorsque Thibaut a vu Tristan sortir, couvert de sang. Il a juste eu le temps de lui demander de l’aide avant de s’évanouir. Le gamin l’a trainé loin des flammes avant de donner l’alerte.
À l’arrivée des pompiers et de la gendarmerie, la maison entière était cernée par les flammes. Il a fallu plus de deux heures pour éteindre l’incendie. Ma peine à masquer son trouble.
Tristan était inconscient et ses vêtements étaient imbibés d’essence. Si Ma est horrifiée, Arnold et moi partageons le même sentiment : la colère. Comment peut-on en arriver à de telles extrémités ?
Plusieurs examens ont quand même été fait : le corps de Tristan était saturé d’antidépresseur, un peu plus et c’était l’overdose assurée. Il présente quelques brûlures ici et là mais rien de bien grave, comparé à sa première cicatrice.
Cela n’a pas été facile de l’identifier : il paraît nettement moins que son âge réel… Il a effectué des recherches dans les hôpitaux voisins : la cicatrice de Tristan est unique et a nécessité une lourde opération. Si cela a pris autant de temps, c’est que son dossier n’était pas prioritaire. Il a pu ainsi remonter jusqu’à nous.
Sinon, il serait resté un inconnu. Et le réinsérer dans la vie active aurait été beaucoup plus compliqué, un vrai casse-tête administratif selon ses propres mots. Nous terminons l’entretien par une prise de rendez-vous pour le lendemain : selon l’inspecteur, la paperasse sera bien fournie.
Je suis resté bloqué sur les mots essayer à nouveau de le tuer. Qu’est-ce que cela signifie ? Sur le chemin qui mène au môtel, je ne peux m’empêcher de questionner Ma.
- Ma… Qu’est-ce que tu me caches ?
- Je… Attendons d’être arrivé d’accord ? Les trois années précédant l’arrivée de Tristan chez nous ont été… affreuses. Je ne vois pas d’autres qualificatifs. Affreuses…
Affreuses ?
Nous récupérons la clé du petit appartement qui nous a été réservé. En entrant, Ma comprend que je n’en puis plus d’attendre : elle s’assoit sur le lit, soupire puis se lance dans le récit du passé de Tristan. Sa mère alcoolique a donc bien essayé de le tuer. D’où cette énorme cicatrice sur sa poitrine. Mon estomac se soulève.
- Cette journée a été riche en émotion… Je propose que nous nous reposions pour attaquer la prochaine qui risque d’être tout aussi intense, déclare Arnold.
Nous nous séparons pour la nuit. Nous n’aurons le droit de le voir que demain après-midi. Je ne pourrai jamais attendre encore aussi longtemps. Je dois le revoir. Maintenant. Ses yeux. Sa bouche. Son nez. Ses cheveux. Ne serait-ce qu’un dixième de seconde. Je m'éclipse aussi discrètement que possible et fonce vers l’hôpital.
Mon dieu… Oui… C’est bien lui…
Je me suis introduit totalement illégalement dans cette petite chambre où repose l’être le plus cher à mon cœur. J’ai fermé la porte et me suis appuyé dessus. Mon cœur se gonfle d’un sentiment que j’ai appris à reconnaître mais là c’est… cent… non… mille fois plus puissant que d'ordinaire.
Je fais un pas puis un autre… C’est comme si le monde avait ralenti… Plus je m’approche, plus mon coeur semble vouloir sortir de ma poitrine.
Je vais finir par le réveiller avec ce tambour !
Cette mâchoire. Ce nez. Je n’aurai peut-être pas l’occasion de voir son délicieux regard noisette ce soir mais le simple fait d’être dans la même pièce que lui apaise toutes les tensions que j’ai accumulées au cours des six derniers mois.
Oserai-je ?
Je suis à quelques pas de son lit. Les battements de mon palpitant semblent si forts que j’ai l’impression qu’il va se réveiller. Doucement, ma main s’élève pour la poser sur son front. Sa peau est devenue un peu rugueuse. Je caresse sa joue et sens une boule oppresser ma poitrine. La douleur, le soulagement… l’amour que je ressens pour lui menace à ce moment-là de me submerger. C’est un chaud/froid saisissant.
Mon pouce s’arrête à la commissure de ses lèvres. Je ne peux m’empêcher de déposer un léger baiser sur celles-ci. Plongé dans son sommeil, il ne me répond pas mais je m’en fiche. Je n’avais pas mesuré à quel point il m’avait manqué jusqu’à ce que je vois enfin son visage, même endormi.
J’enfouis mon visage à la base de son cou et inspire à fond cette odeur de bonbons sucrés, mon odeur favorite. Je suis comme un drogué en manque. Je ne peux m’empêcher de verser quelques larmes. De joie cette fois-ci.
Je prends sa petite main dans la mienne : Ma a raison, il a encore maigri.
- Mon petit lion… murmurai-je, malgré moi. Enfin… enfin… je te retrouve… Je suis tellement, tellement heureux… Si tu savais comme tu m’as manqué… Je ne suis qu’un imbécile. Un imbécile qui t’aime. Du plus profond de son cœur.
Ces mots sont sortis tout seul : c’est comme… une libération. J’espère juste avoir le courage, le cran de les redire quand le moment sera venu.
Avant que l’on se rende compte de ma présence, je m’enfuis de l’hôpital pour retrouver ma solitude au motel. Je n’arrive même pas à définir comment je me sens… Heureux et triste à la fois ? Je crois que j’ai… peur… peur qu’il n’ouvre pas les yeux…
Non. Il reviendra. J’en suis sûr.
Le lendemain, nous passons de bureaux en bureaux afin de prouver notre bonne foi et notre lien avec Tristan. Cette matinée traîne en longueur et met ma patience à rude épreuve. S’apercevant de mon trouble, Ma me prend la main, comme elle le faisait lorsque j’étais plus jeune.
- C’est bientôt fini mon grand.
Notre visite à l’hôpital est prévue pour 15h00. Je tourne en rond. Je suis… nerveux. Pourtant, je l’ai vu hier soir. Je crois que j’ai peur que mes sentiments ne soient trop visibles sur mon visage et que Ma et Arnold ne s’en rendent compte.
Seigneur. Je vais finir par mourir d’une crise cardiaque.
15h00. Enfin. Je suis devant cette même porte qu’il y a quelques heures à peine. Mes mains tremblent. Ma prend une grande inspiration et la pousse.
Il est là. Allongé dans ce grand lit, il me paraît minuscule. Tristan est branché à une multitude de prises et de machines, émettant des bip insupportables. Ma s’approche et lui caresse doucement le visage, comme une mère le ferait avec son enfant chéri, comme elle le fait avec moi quand ça ne va pas.
Je ne vois pas ses larmes mais je sais qu’elle pleure. Arnold s’approche lui aussi et passe un bras autour des épaules de Ma, avec une tendresse infinie.
- Tout va bien se passer ma chérie. Le docteur nous a rassuré sur son état de santé. Il faut juste qu’il ait envie de se réveiller.
- Quatre mois, Arnold. Cela fait quatre mois qu’il est nourri avec une sonde, qu’il n’a pas vu la lumière du jour ni entendu le moindre son…
- Qui sait Ma… murmurai-je. Peut-être qu’il nous entend. Peut-être qu’il nous attendait pour ouvrir les yeux…
Ma perçoit la détresse dans ma voix et m’invite dans ses bras. Je m’y blottis volontiers tout en prenant la main de mon petit lion dans la mienne. Ses doigts fins sont si froids… Je sais à ce moment-là que je ne quitterai pas cette chambre tant que ses yeux ne seront pas ouverts. Ma l’a compris aussi dès que les miens se sont levés vers elle. Elle soupire en secouant la tête.
- Tu veux rester c’est ça ? me demande-t-elle.
- Mina… Ce n’est pas raisonnable…
- Si quelqu’un peut nous ramener notre Tristan, c’est bien lui, Arnold. Je vais faire le nécessaire auprès du médecin.
Je ne peux m’empêcher de sourire. Je vais rester auprès de mon petit lion. Je veux être la première personne qu’il voit lorsque ses prunelles noisettes se rouvriront au monde.
- Elle vous gâte beaucoup trop… marmonne Arnold, souriant malgré tout.
Le médecin n’a pas été facile à convaincre, contrairement à celui de l’hôpital de notre ville. Il a fini par céder face à l’argumentaire de Ma.
Décidemment, cette femme aurait dû être avocate !
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