Chapitre 17
Où suis-je ? J’ai froid… Si froid…
J’essaie en vain de me souvenir de ce qui s’est passé. Pour le moment, j’ai froid. J’ai froid et j’ai mal. Je voudrais bouger, ouvrir les yeux mais impossible… On me porte ? Non… Je… suis… transporté ?
Non ! Laisse-moi ! Laisse-moi partir avec lui ! Je ne peux pas le laisser !
Tristan ? Ah… oui…
Je me suis fait poignardé. Par Albi. Je… me… souviens…
- Il va s’en sortir Trist… Ne t’en fais pas…
- Lydia… S’il ne s’en sort pas…
Lydia ? Mais que fait-elle là ?
Bip… Bip… Bip…
J’inspire un grand coup… La douleur est sourde mais elle est là. Sur tout mon flanc gauche.
Cette odeur…
J’ouvre lentement les yeux. Sa touffe de cheveux blond n’est qu’à quelques centimètres de mon visage. Le sien est levé vers moi, ses joues striées de larmes. Il hoquette encore dans son sommeil.
- Mon démon angélique… Reviens-moi… Je t’en prie… marmonne-t-il dans son sommeil.
Je souris. Surtout en repensant aux derniers mots qu’il m’a adressés. Je t’aime. Je t’aime tellement. Enfin. Enfin, je connais la nature de ses sentiments à mon égard. J’essaie de bouger : je suis agrafé de partout. C’est insupportable. Je réussis tout de même à me placer juste en face de lui. Je pose mes lèvres sur les siennes.
Ses yeux s’ouvrent en grand. Déjà, des larmes en débordent. Sa main se pose sur mon visage dans une caresse immensément tendre. Nos bouches se dévorent lentement. Nous apprécions nos retrouvailles.
- Enfin… Enfin tu ouvres les yeux mon amour… J’ai cru mourir… me souffle-t-il.
Mon amour ?
- Calme ton coeur veux-tu… les bip vont alerter tout l’hôpital… se moque-t-il, pleurant à chaudes larmes tout en souriant.
- Comment veux-tu que je fasse ça si tu m’appelles “mon amour” ? lui répliquai-je, tout en grimaçant de douleur.
Je vois dans ses yeux qu’il panique suite à mon petit cri de souffrance. Il tente de se lever, inquiet, mais je l’attrape avant qu’il ne puisse le faire. Je ne compte pas le laisser partir avant de l’entendre à nouveau. Je le serre contre moi et il me rend mon étreinte, se blottissant contre moi.
- Je… j’ai bien cru que… me murmure-t-il…
- Hey… je suis là… amoché… mais je suis là…
- Mon démon angélique… je t’en prie… ne me refais jamais ça… jamais…
- Et pourquoi ? fais-je moqueur.
Il plonge alors ses prunelles noisettes dans le mien. Ce que j’y lis m’électrise. Je la vois enfin cette lueur, cette lumière que j’espérais tant. Ces joues se teintent non pas de rose mais bien de rouge. Ses lèvres se posent sur les miennes dans un simple baiser.
- Mon grand ! Enfin ! Tu es de retour parmi nous !
Ma fait son entrée au pire moment qui soit. Pas que je ne sois pas heureux de la voir mais bon. Mon petit lion se lève, à contre-cœur semble-t-il, et descend du lit. Ma s’approche et me serre dans ses bras. Son étreinte est forte et me fait mal mais je ne dis rien : j’aime sentir cette chaleur maternelle. Elle pleure doucement et j’essaie de la rassurer au mieux.
Mais je me questionne. Que s’est-il passé après que j’ai perdu connaissance ? Ma m’explique. Paps était furieux : si Trist n’avait pas hurlé pour attirer son attention sur moi, il aurait pu tuer Albi. Finalement, il a préféré s’occuper de moi. Ma blessure était profonde et j’avais perdu beaucoup de sang. J’ai été transféré à l’hôpital d’urgence où je me suis fait opérer.
Lydia m’a donné son sang : j’en avais perdu une quantité non négligeable. Ce qui explique sa présence auprès de moi. Je suis resté inconscient un peu plus de vingt-quatre heures. En ce moment, Paps est à la gendarmerie pour “répondre” de ce qu’il a fait… C’est incroyablement injuste : il a réussi à nous sauver, à nous débarrasser de ce déchet et c’est lui qui doit se justifier…
Albi a été arrêté : il est accusé d’entrée par effraction, de coups et blessures et… de tentative de meurtre. Si je témoigne de tous les sévices endurés, il risque la peine maximale. Je ne compte pas me défiler : j’irai témoigner, je dénoncerai tout ce qu’il nous a fait. Pour maman. Et pour Andy.
Ma vie n’est plus en danger. Je dois seulement me reposer, le temps que mes blessures guérissent. Ma semble soulagée. Son téléphone sonne : Paps a été libéré, elle peut venir le chercher. La joie se lit sur son visage.
- Nous serons bientôt tous réunis, me dit-elle en me serrant dans ses bras affectueusement.
Elle sort de la chambre, un sourire sur les lèvres, après avoir câliner Tristan. Une fois qu’elle est partie, une sorte de gêne s'installe dans la pièce. Mon petit lion n’ose pas me regarder. Je le siffle et lorsqu’il lève les yeux, je tapote la place à côté de moi. Après un instant d’hésitation, il s’installe sur le lit.
La magie opère. Son corps et le mien s’épousent parfaitement. Nous nous blottissons l’un contre l’autre, dans une étreinte comme désespérée. J’inspire à fond son odeur pendant que son nez frotte le carré de chair tendre de ma clavicule. Je le sens sourire plus que je ne le vois. Un sourire insolent. Parce qu’il sait exactement ce que ce geste provoque en moi.
Ah, tu veux jouer à ça…
- Mon petit lion ?
- Mmmh ?
- Tu n’as pas répondu à ma question tout à l’heure…
Il se crispe… Ses mains agrippent ma blouse d’hôpital. Je me sens soudain pudique : je ne porte qu’une blouse d’hôpital et un caleçon. Mes oreilles me brûlent. Il me serre plus fort.
- Qu’est-ce que tu veux savoir ? me murmure-t-il…
- Mon petit lion…
Ma voix est rauque. Je ne peux pas la contrôler. N’importe qui pourrait entrer dans cette chambre. Et je m’en fous. Complètement. C’est comme si une bulle protectrice s’était formée autour de nous. Son corps est contre le mien et son souffle est dans mon cou. Ses lèvres se posent à la base et…
- Je t’aime, mon démon angélique…
Mon coeur jubile.
- Encore… murmurais-je.
- Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Cela te satisfait-il, mon coeur ?
Son ton a légèrement changé sur les deux derniers mots. Il était légèrement moqueur.
- Non.
- Comment ça, non ? fait-il, en faisant semblant d’être outré.
- Non.
Ses sourcils se froncent.
- Non… Je ne m’en lasserais jamais.
- Jamais ?
- Jamais.
- C’est très présomptueux de ta part.
J’attrape son visage pour l’embrasser fougueusement. Nos langues se mêlent.
J’ai dû passer un peu plus de trois jours à l’hôpital : j’ai une nouvelle cicatrice mais celle-là est présente parce que j’ai voulu protéger ceux que j’aime. Je n’en ai pas honte. Par contre, à chaque fois que Trist y pose les yeux, ceux-ci se voilent.
- Quand je pense que j’ai failli te perdre… m’avoue-t-il dans la pénombre de notre chambre.
- Hey… Je suis là. Et je compte bien rester. Quoiqu’il arrive.
- Le grand jour approche…
- Oui…
Albi a été arrêté et inculpé. Ma a fini par m’avouer qu’il est recherché depuis mon adoption : si j’ai pu vivre avec elle, c’est parce qu’il n’avait pas donné signe de vie durant plus d’un an. Je n’avais pas réalisé à l’époque que j’étais resté aussi longtemps au foyer. Il faut dire que je noyais ma tristesse dans la colère, les fugues, les bagarres… et autres substances illicites.
Suite aux témoignages de Ma et d’Arnold, les gendarmes ont voulu m’entendre. Mon courage n’a pas fait long feu. Étais-je prêt à replonger dans mes souvenirs, à revivre cet enfer même par procuration ? À dévoiler la partie la plus intime de ma vie à de parfaits inconnus prêts à me juger ? Mon petit lion m’a été d’une grande aide. Il m’a suivi telle une ombre, m’exprimant son soutien indéfectible.
J’ai pu alors tout leur raconter. Ma et Arnold n’étaient pas loin, je le sais : ils étaient forcément derrière cette fameuse vitre sans teint. Durant presque quatre heures, j’ai replongé dans les affres de ma jeunesse, racontant les bons comme les mauvais moments. J’étais complètement perdu dans mes souvenirs. La seule chose qui me maintenait dans le monde réel était la main de Tristan serrant la mienne et ses sanglots que je percevais parfois.
Lorsque je suis sorti de la salle d’interrogatoire, Ma était là et m’a prise dans ses bras.
- Mon dieu, Rey, je savais que c’était un parfait connard mais à ce point… sanglote-t-elle.
- Je… C’est terminé Ma n’est-ce pas ? Dis-moi que c’est fini…
- Malheureusement, me coupe un gendarme, certains faits… comment dire… se sera ta parole contre la sienne… Il ne cesse de clamer son innocence…
- PARDON ?
La voix de mon petit lion est glaciale. Il exprime ce que nous ne pouvons pas. Une colère froide et une incompréhension totale. Il s’approche de moi et soulève mon sweet.
- Et ça ? fait-il, en désignant mes cicatrices.
Il insiste aussi sur mon oeil perdu, le suicide de mon frère et enfin sur ma dernière blessure. L’inspecteur souligne que oui ce sont pour lui des preuves irréfutables mais tout dépendra du jury.
- En revanche… hésite-t-il.
- En revanche quoi ? questionne Trist.
- Si M. Renaud consent à venir témoigner au tribunal… Ses paroles, ses mots, son… visage ne peuvent que convaincre.
Je reste estomaqué. Seul mon témoignage au tribunal ferait… la différence ? Les parents et Trist restent sans voix. Ils veulent réellement me faire revivre tout cela… qui plus est… devant des inconnus et devant mon bourreau ? Je sens que je m’effondre. C’est mon petit lion qui me rattrape.
- Quelque soit ta décision… je te suivrai. Jusqu’au bout. Je serai là pour toi.
- J’irai. Pour nous. Pour maman. Et pour Andy.
Le jour du procès. Ce matin, je me suis réveillé la boule au ventre. Tristan ne m’a effectivement pas lâché, se montrant tendre et réconfortant avec moi, me murmurant des “je t’aime” encourageants. Je puise ma force dans son amour. Je vais en avoir besoin.
Albi est là, le sourire aux lèvres. J’ai comme l’impression qu’il pense pouvoir s’en sortir. Cette sensation est horrible. Mais… Son visage est creux. Plus que d’habitude. Son avocat, assis à sa gauche, ne paye pas de mine. Le procès commence. Les plaidoiries. La procureure. Les dénonciations. L’annonce des preuves : des photos. De moi. Mon dos. Mon œil. Des photos de maman. Vivante et morte. Des présomptions de ce qu’elle a subi pendant que nous étions à la cave. Et d’Andy. Enfin… de son corps. Les marques de ses meurtrissures. Des viols qu’il a subi. Par ma faute.
S’en est trop. Mon propre corps tremble. Se révulse. Je crois que je perds connaissance. Je sais, je sens que mon petit lion n’est pas loin. Je m’accroche à sa voix. À la chaleur de sa main dans la mienne. À ses larmes sur mon visage. C’est à mon tour. Je suis à la barre. Je témoigne. C’est ma voix. Ce sont mes larmes. Mais je ne suis pas là. Je parle et parle sans m’en rendre compte.
Plus je vais dans mon, dans notre histoire, plus je vois le visage des jurés se tordre certains de dégoût, d’autres de colère. D’autres se murent dans une indifférence. Mais celui d’Albi… son visage… son visage n'exprime que de la fureur. Il finit par prononcer les mots qui le condamnèrent :
- Ta mère… cette sale pute… n’a eu que ce qu’elle méritait pour m’avoir suivi. Et épousé. Elle M’APPARTENAIT ET DEVANT DIEU. VOUS M’ENTENDEZ ? ELLE M’APPARTENAIT DEVANT L’ÉGLISE ! Vous n’allez tout de même pas croire un sale PD ? Parce que c’est qu’il est, un sale homosexuel de mes deux !
Rumeurs dans la salle. Tout le monde est choqué. Le président demande le silence, qu’il obtient. Il n’a pas fallu une heure aux jurés pour délibérer. Le verdict est sans appel : la prison à vie et la déchéance de ses droits parentaux vis-à-vis de moi.
Je suis libre. Enfin. Libéré d’Albi.
- Dommage que la peine de mort n’existe plus dans notre pays, murmure mon petit lion, sa main serrant la mienne plus que nécessaire.
Je le regarde. Ses yeux expriment une colère froide. Je ne le croyais pas si protecteur. Il a lui-même tant souffert… Je pense que c’est le seul à pouvoir comprendre ce que j’ai pu ressentir.
C’est enfin fini.
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