Les Fêlés : Nouveau chemin 3/

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À la fin de l'étreinte, son père le détailla avant de soupirer.

  • Encore en train de penser au feu ?

Honteux, Adelin détourna le regard. Dans un soupir, son père lui enveloppa les épaules du bras.

  • Pourtant, ça a l'air d'aller bien en c'moment. Ça avait l'air de te plaire...
  • Oui père, cela m'a beaucoup plu ! Là n'est pas la question...
  • Mmmh.... j'y crois pas à ces trucs-là... mais tu crois qu'un hypnotiseur pourrait t'aider ?

Adelin sentit que son père désespérait. Combien d'apothicaires, de médecins, de soigneurs, de chercheurs de la psyché humaine avait-il rencontré, déjà ? Des dizaines... rien ni personne ne semblait réussir à l'éloigner de ses pulsions pyromanes. Il devait bien exister un moyen, pourtant... Les épaules basses, le fils répondit sans conviction :

  • Autant essayer, oui...
  • 'fin... j'reste fier de toi, fils. Comme dit Bernard, t'es parti pour devenir quelqu'un de bien et un bon notaire. T'sais, t'es quand même celui dans la famille qui débute le plus tôt. 'fin... on n'a jamais proposé à tes aînés de commencer avant leurs dix-neuf ou vingt ans. J'crois qu'c'est ton principal défaut.
  • Défaut qui empire avec le temps...
  • T'en es conscient. Y'a jamais eu d'incident ingérable... on trouvera fils. On trouvera. Puis tu fais des efforts. J'le sais, j'le vois. T'as bon fond, tu t'laisses pas vaincre par ça.

L'Allumé prit son temps pour relever le regard et croiser celui de son père. L'espoir qu'il y lut le rasséréna. Après tout il disait vrai. Sa fêlure, malgré son importance n'écrasait pas non plus sa vie, il refusait qu'elle le guide. Un jour, il deviendrait un citoyen normal... Manard lui tapa sur l'épaule.

  • Aller, pas tout ça, mais j'crois que c'est l'heure d'grail... de manger.

Ils rejoignirent la famille déjà attablée, auprès de laquelle Adelin put détailler -dans le respect du secret professionnel- son tout premier contrat. Ses aînés prirent un malin plaisir à le mettre à l'épreuve. Bien qu'il tenta de laisser leur place aux plus jeunes, ses premiers pas comme futur assermenté prirent toute la place durant le repas. Même les derniers nés s'y intéressèrent.

La fratrie comptait désormais neuf membres. Eyaëlle, la huitième, allait bientôt fêter son onzième anniversaire, leur neuvième frère allait sur ses six ans et prenait ses brûlures pour des cicatrices de héros. Adelin ne put compter sur Martin pour changer de sujet, ce dernier ayant décrété qu'un premier contrat méritait une grande fête et d'être l'unique sujet. Tout le reste était sans importance pour le moment. Cette déclaration, leurs aînés surent la mettre à profit.

À la fin du repas, Adelin prétexta quelques engagements à Guarrèr pour fuir le harcèlement fraternel. Sur place, il parvint à convaincre le souffleur de verre de parfaire sa découverte du métier. Voir manipuler du verre en fusion le ravissait et l'apaisait, aussi devenait-il doucement un habitué de la verrerie. Depuis un an qu'il s'y essayait, les enseignements de l'artisan commençaient à porter leurs fruits. L'homme estimait qu'avec un an de plus, il pourrait laisser cet apprenti intermittent réaliser quelques commandes pour lui. De là à le prendre comme réel apprenti... tous deux se méfiaient de la réaction des Digitfractor. S'ils toléraient la pratique en loisir, rien ne leur garantissait l'aval nobiliaire comme métier.

À peine sorti des fourneaux, l'envie d'allumer des feux reprit Adelin. Nerveux, il chercha que faire. D'après sa montre, le temps allait lui manquer s'il voulait arriver à l'heure pour des cours juridiques qu'il avait en commun avec Nathanaël. Albin dormirait certainement à cette heure, son service de milicien débutant au coucher du soleil. L'Allumé n'avait guère le choix, il lui fallait rentrer sans plus attendre.

Tout en marchant assez vite pour sentir l'air glisser sur son visage, Adelin maugréa contre sa propre lenteur. Bien sûr, il aurait pu aller au village à cheval... mais il dépréciait fort l'activité. Résultat, le voici filant à pieds entouré de champs, les mains crépitantes ne demandant qu'à effleurer les pieds légèrement secs. Voilà quelques années que la pluie se raréfiait, sans que nul n'en comprenne la raison. Si la disette restait encore un danger lointain, certaines rumeurs l'évoquaient pour les années à venir... et surtout, des incendies commençaient à se déclencher sans raison dans d'autres régions de la Province. Adelin ne voulait pas être à l'origine de ce type d'accident. Quelles splendeurs il se refusait...

L'esprit tourné vers les conséquences d'un feu de champs cernant des maisons de bois aux toits de chaume, Adelin se surprit à déjà se trouver au rez-de-chaussée de son domaine. Il prit alors conscience de la présence de deux personnes devant les escaliers menant aux catacombes, d'une servante nerveuse et de sa soeur Eyaëlle qui le suppliait du regard plus précisément.

  • Que se passe-t-il ?
  • Votre soeur refuse de visiter les catacombes ! Et vos parents insistent pour qu'elle y fasse un premier repérage aujourd'hui même...

Le responsable dévisagea sa protégée. Cette dernière faisait des efforts pour ne pas pleurer. Adelin vint lui faire face, mit un genou à terre et lui proposa :

  • Tu veux que je t'accompagne ?
  • ... oui !
  • Là dans l'immédiat je ne peux pas. Dans deux heures, tu es libre ?
  • Oui !

L'aîné fouilla dans ses poches en quête de mouchoir, avant de se souvenir à temps qu'il n'en avait aucun propre.

  • Si cela vous convient Mathilde, je prends relais dans deux heures.
  • Merci, maître Adelin ! Maîtresse Eyaëlle, souhaitez-vous vous rendre à la bibliothèque ?
  • ... non... je vais voir les Oidor.

Adelin se redressa et laissa sa soeur partir négocier cette sortie. Dès qu'elle le pouvait, elle allait voir leur famille paternelle et ne perdait pas l'habitude d'y passer des heures. Quelque part, il l'enviait. Là-bas, ils étaient plus libres, les travaux étaient bien plus physiques. De plus, la taille des terres exploitées et le nombre de granges, d'enclos, donnaient une intimité à laquelle ils goûtaient peu dans leur manoir.

Le précepteur, un ancien légiste, sursauta en voyant l'Allumé pour la première fois. Adelin grogna intérieurement. Encore un nouveau que nul n'avait prévenu de son apparence peu avenante. Il prit sur lui encore une fois pour tendre la main, se présenter et espérer apaiser son interlocuteur.

  • Bonjour monsieur Perrouge, je suis votre deuxième étudiant, Adelin Digitfractor.
  • Bonjour maître Adelin... nous vous attendions.

Trente secondes d'avance. Les deux hommes s'échangèrent une poignée de main ferme, puis tous trois purent commencer. Bien vite, les regards dégoûtés s'espacèrent, redevinrent professionnels. Au terme des deux heures, Adelin se sentit normal, chose dont il remercia l'enseignant.

Cette visite s'avéra très instructive pour les deux frères, qui purent même mettre leurs rivalités fraternelles de côté le temps de s'allier dans la compréhension.

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