Nouveau chemin 9/
La semaine s'acheva sans évènement notable, le lundi suivant Adelin revit Bernard Fresne père pour poursuivre le testament et le reniement. Le futur notaire fit mine d'ignorer la boiterie et les grimaces de douleur de son client, même s'il prit soin de lui offrir un thé aux propriété analgésiques. Goûtant par politesse, son client ne tarda pas à demander à en siroter durant leur échange.
Toujours avec son père veillant au grain, Adelin se sentit décontenacé par le désintérêt de son interlocuteur pour le détail des lois. Il se laissait guider sans chercher à comprendre. Seul le résultat lui importait, ainsi que la manière dont les coûts l'impacteraient. Avec l'assentiment paternel, Adelin effectua son premier abus de confiance on ne pouvait plus légal, grugeant d'un bon quart la somme totale à payer.
Cet entretien dura deux heures, au terme desquelles il obtint de nouveau un petit supplément pour le remercier de ses conseils et de son investissement. L'argent transféré à son coffre personnel, il mangea sur le pouce avant d'aller réveiller son mentor.
Somnolent, Albin prépara son cheval sans un mot, avant de suivre rênes longues son puîné. Dans un silence reposant, ils prirent la route de la forêt. Tous deux soupirèrent d'aise au chant des oiseaux, aux bruissements d'un fourmillement de vies qu'ils connaissaient peu.
Il leur fallut une bonne demi-heure avant d'atteindre la caverne où Bernard fils dirigeait les intronisés. Réveillé par un peu de galop et d'obstacles, Albin observait avec insistance l'environnement, imprimant chaque détail dans sa mémoire. Quand ils mirent pied à terre, Adelin tint les rênes, tandis que le milicien détaillait la topographie des alentours.
- Alors, aurais-tu songé à enquêter par ici ? s'enquit Adelin.
Un grognement négatif lui répondit. Le milicien prit son temps, ainsi que des notes avant de pénétrer dans le souterrain exhalant la putréfaction, plutôt que le musc ou toute autre odeur qui aurait pu témoigner de la présence d'un animal vivant.
Pendant ce temps, Adelin laissait paître les chevaux, assis en retrait, dissimulé derrière un bosquet. Son attente dura, il en profita pour somnoler.
Quand Albin sortit, son puîné releva qu'il portait son masque professionnel, fermé et insondable.
- Qu'as-tu trouvé ?
- Des lambeaux. De la charogne. Des... je le surveillerais de plus près. Si cela ne te gène pas...
- Je te laisse déterminer où tes compétences sont le plus utiles. Et j'imagine que je peux me gratter...
- Surveille ton langage.
- Tu me tairas tes découvertes, je suppose.
Grognement affirmatif. Albin remonta en selle et repartit sans attendre l'Allumé. Ce dernier veilla sur le chemin du retour à ce que leur passage demeure discret, ramassant le crottin, les branches brisées et effaçant les traces de sabots.
Comme le Fêlé s'y attendait, le milicien refusa de parler de la caverne, préférant ruminer en silence. Perturbé dans son cycle de sommeil,son frère manqua de peu de se perdre dans leur propre maison, son puîné le guida jusqu'à son lit où il s'effondra en chaussures. Adelin fit mine de ne pas relever la symétrie absolument parfaite de la pièce, du plancher retravaillé aux marques de coups dans les murs. Ablin avait poussé le vice jusqu'à mettre deux poignées à la porte située pile au centre du mur, trouvé le moyen de posséder deux armoires identiques... chaque détail était parfaitement symétrique, instaurant un sentiment de malaise chez quiconque se trouvant dans cette pièce. Certaines choses ne changeraient jamais. Même effondré, Albin était parvenu à viser précisément le centre du lit fait au carré d'où seule la moitié de ses mollets dépassait.
Le voir dormir aussi avait quelque chose qui inspirait le malaise. Statique, symétrique, comparable à un gisant de pierre.
Adelin s'empressa de quitter les lieux, reprenant sa routine. Il sillonna son domaine, alterna entre leçons, exercices, assistance à sa fratrie et tentatives de suivre les négociations entre sa mère et sa tante.
Au soir, alors qu'il rejoignait les Fêlés, ses tripes glacées le prévinrent d'un danger. La peur s'accrut quand il arriva aux deux tiers du chemin, juste avant qu'un éclat argenté ne se plante à ses pieds. D'un geste, il émit son champ magnétique qui repoussa quelques feuilles tout en se tournant vers l'origine du couteau vibrant.
- 'lors, qu'est-ce t'as dit à mon père ? siffla dans les ombres la voix du Dépeceur.
- C'est confidentiel, bordel !
- Pas pour longtemps l'Allumé...
Un second couteau se planta dans l'arbre derrière Adelin, à hauteur de sa gorge. Déglutissant, Adelin le chercha. Un troisième couteau évita son pied de peu.
- Me fais pas chier, Bernard...
- Y va m'déshériter, pas vrai ? C'ton idée ça, avoue, fils de pute !
- Je n'ai pas le droit de te répondre.
- Quitte tes grands airs !
Trois nouvelles lames sifflèrent autour du fêlé, sans l'atteindre. Ceci fit pester son agresseur, qui approcha assez pour devenir visible. Dès l'instant où il put le repérer, Adelin prit la tangeante. Dans un premier temps, il voulait égarer le Dépeceur dans un chaos de ronces et de roches, avant de se raviser. Il ne pourrait se servir de son feu sans risquer de réduire la fôret en cendres... malgré l'aspect séduisant, il jugea préférable de trouver refuge auprès des Fêlés.
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