Hors des sentiers battus 10/

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Adelin se sentit libéré d'un poids. Avec reconnaissance, il souffla :

  • Merci.
  • Nous verrons ce qu'en di...
  • Nos parents savent que je suis adulte, et que mes décisions m'appartiennent. J'ai bien assez de côté pour assumer seul les conséquences de mes erreurs.
  • Avec ton renoncement...

Albin perdit patience :

  • Nathanaël, sa décision n'est pas arrêtée, inutile de nous y attarder plus. Qu'y a-t-il de trop complexe pour tes capacités hors du commun dans cette situation ? Laisse-le vivre. Et lâche-le.

Nathanaël pinça les lèvres, blême de rage. Il détailla Albin, puis Adelin. Eyaëlle attira son attention d'un grognement difficile à décrypter, mais son regard témoignait de son soutien indéfectible à Adelin. Comprenant que l'on se liguait contre lui, le Fayot chercha du soutien auprès d'Hermione, mais cette dernière baissa les yeux. Alors il rejeta en arrière l'indiscipliné qui menaçait de quitter leurs rangs, puis partit sans un mot de plus.

Eyaëlle parvint à rattraper son frère, lui épargnant la chute et beugla :

  • T'es rien qu'un connard, le Fayot !

L'incriminé l'ignora, il daigna juste toiser Albin avant de le bousculer d'un coup d'épaule. Hermione prit le temps de s'imprégner de l'ambiance générale, avant de s'excuser et de prendre congé à son tour.

Le calme revint dans la pièce, Adelin prit le temps de s'épousseter et de se recoiffer.

  • Merci... à vous deux... souffla-t-il.
  • Mais tu veux vraiment partir ? geignit Eyaëlle.

Adelin soupira, et s'intéressa à son aîné. Ce dernier s'empara d'une chaise, avant de s'installer pour lui faire face à table. Le cinquième enfant l'y rejoignit, la huitième s'accouda auprès d'eux. Adelin préféra ne pas lui mentir.

  • Tout dépendra de Bathilde...
  • Que peux-tu bien trouver à cette femme ?
  • Voyons voir... je ne la dégoûte pas, déjà. Elle m'écoute, et de toute évidence ne me craint pas. Elle sait ce qu'elle veut, selon quelles conditions...
  • Des bases pour un couple, l'interrompit Albin avant d'insister ; comment t'a-t-elle séduit ?
  • ... Ma foi...
  • Expression malheureuse dont tu devrais t'abstenir.
  • C'est elle qui est venue me déclarer sa flamme... et je me sens bien avec elle. J'ignore ce qui a bien pu l'attirer, mais le fait est qu'elle m'aime...
  • Tu pleures ? s'inquiéta Eyaëlle.

Adelin ne pouvait nier qu'il avait les larmes aux yeux. Pour une fois dans sa vie qu'il connaissait quelque chose de normal ! L'amour d'une femme !

  • De toute façon je ne vois pas pour quelle raison je devrais me justifier, les faits sont là ! se hérissa-t-il.

Ce revirement déplut sensiblement à son mentor, qui s'abstint néanmoins de tout commentaire.

  • Tu es donc bien épris d'elle ; conclut-il sobrement. Je fais partie des moins bien placés pour émettre le moindre commentaire à ce sujet.

Adelin devait bien admettre qu'en termes de couples bancals, le Roc faisait fort. Tantôt, il donnait son cœur aveuglément, tantôt il délaissait son aimée et n'osait pas lui faire confiance. Tout ou rien. L'Allumé en avait retenu qu'il importait d'entretenir la relation, et de donner des signes de vie à sa dulcinée... sous peine de la voir un soir débouler au domaine l'esprit plein de racontards et décidée à cesser la relation le plus tôt possible. Du moins, pour les plus courageuses, autrement la rupture s'apprenait par le biais de courrier ou de serviteurs un peu trop ravis de cette information croustillante. Il en avait édité, des lettres de licenciement pour non-respect du secret d'ordre privé...

  • Cependant, j'espère que tu y réfléchiras longuement avant d'entreprendre ces démarches, quelles que soient les raisons qui te motivent. Et que nos erreurs à tous te servent.
  • Je n'agirais pas à la légère, promit l'Allumé.

Grognement dubitatif. Albin se leva, et partit se coucher.

Ne resta qu'Eyaëlle, qui prit la place ainsi libérée, battit des jambes dans le vide et scrutait son aîné, une foule de questions dans le regard.

  • Tu es déjà en retard pour tes cours, la Teigne.
  • T'façon c'est l'Histoire, c'est chiant y sont tous morts de toute façon. Mais comment on sait quand on est n'amoureeeuuux ?
  • Eya... t'as quel âge ?
  • Douze ans !
  • Et tu as déjà eu un copain, le p'tit Baptiste, là...
  • Oui mais j'suis pas sûre que j'l'aimais. Puis toi, quand tu parles de ta Bathilde t'as l'air plus vivant que d'habitude où t'as l'air plus mort. Plus vivant et même pas plus fou...
  • Euh... ben écoute... avec cette femme... en sa présence, je me sens bien. Elle a clairement un pouvoir sur mon cœur, elle le fait battre avec plus de force quand je pense à elle, quand je sais que son attention est tournée vers moi... Plus je la vois, plus je la trouve belle...
  • Elle ? Belle ?

Adelin émit un profond soupir.

  • Il existe une multitude de beautés, la Teigne. Regarde-toi. Les cheveux courts coupés d'une certaine manière te vont, mais ton arrangement actuel avec les cheveux longs te va aussi. Rien qu'avec les cheveux, tu as plusieurs manières de plaire à l'œil. Nathanaël, Naïa, Zoé, Garance savent plaire à l'oreille, chacun à leur manière. J'ai cru comprendre qu'Albin séduisait et inspirait confiance par son calme, sa droiture... enfin voilà.
  • Hermione aussi elle plaît à l'œil.
  • Oui, elle s'habille bien.
  • Et e's'p'arfume.
  • ... Tu devrais aller apprendre des erreurs des gens morts la Teigne, il est plus que temps. Tu m'en as bien assez accordé.

Elle râla, pesta, mais obtempéra. Enfin seul, en retard pour la première fois de sa vie, Adelin n'en demeura pas moins un moment à sa table. Il éprouvait le besoin de solitude et de calme, au moins pour quelques instants encore. Ses pulsions se rappelèrent à son bon souvenir.

Dans un nouveau soupir, il se prit le front d'une main, tandis qu'une armée de fourmis lui parcourait les veines des mains, des avant-bras, de la tête. Les oreilles lui sifflèrent. Viscéralement, il éprouva le besoin d'allumer un grand feu, d'y plonger les mains, de se tenir au centre de cette beauté enchanteresse.

Qu'il y serait bien, seul au cœur d'un sublime brasier, isolé de tous, pris dans le chant du feu, ne faisant qu'un avec sa danse... Qu'il serait doux d'y fondre et devenir cendre... douce cendre humaine...

Dans un effort de volonté, Adelin s'arracha à cette plaisante rêverie. On l'attendait pour une affaire de divorce, où un Fêlé s'efforçait non seulement de conserver la boutique dont il avait hérité et qu'il avait partagée dans son contrat de mariage, mais également d'accaparer certains biens de son ex. Adelin n'était pas avocat, mais il pouvait devancer certaines demandes et déjà établir divers documents. Viendraient ensuite toute une série de questions sur les contrats de travail, de mariage, de reconnaissance d'enfant à venir et les préparatifs pour ajouter un nouveau nom au registre de Guarrèr... beaucoup de clients devaient défiler à son bureau.

C'est en traînant des pieds qu'il arriva avec cinq minutes de retard à son premier rendez-vous, s'excusant brièvement avant d'ouvrir la porte. Bien que concentré sur ses tâches, il passa la journée à se sentir l'esprit ailleurs, et à revérifier des informations qu'il connaissait par cœur dans les divers textes de lois. Ceux parmi les Fêlés qui commençaient à le connaître comme notaire surent que quelque chose clochait, mais ne parvinrent pas à obtenir la moindre information de sa part.

Au repas du soir, comme il le craignait, le harcèlement reprit, avec en témoins leurs parents. Tout le temps des entrées, la femme qu'il aimait fut traînée dans la boue, sa généalogie désavouée. Il rétorqua comme il put en attaquant ses propres ancêtres, ce qui valut simplement le renvoi des serviteurs présents, tandis qu'une bonne partie de sa fratrie participait à la curée.

Quand vint l'heure de débarrasser pour laisser place au plat principal, Adelin bouillait en silence, avant de reprendre avec véhémence.

  • Pour autant que je sache, vos parents ont fortement désapprouvé votre union, Mère ! Père n'était qu'un gueux à la limite de l'analphabétisme ! Et aujourd'hui, Père, vous êtes un notaire réputé ! Hermione a bien pu épouser l'apprenti de l'apothicaire...
  • Suffit, fils, trancha Dame Irène. Justement, il est plus que temps de pratiquer les mariages de raison. Isolés maritalement comme nous le sommes, notre nom risque de ne pas traverser le temps. Il devient impératif de pérenniser notre situation avec un mariage avantageux. Votre projet tient bien plus du péril que de l'avantage, d'autant plus que rien n'interdit un homme de votre rang d'entretenir une maîtresse. Songez à cela, vous plus que n'importe qui parmi nous, pouvez oser cette solution sans trop de risques.

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