Hors des sentiers battus 14/
Grognement las. Voyant son frère frémir de froid, Adelin lui rendit sa veste. Au bout d'un moment, son aîné s'engagea vers un sous-bois qui les ferait arriver au nord-ouest de leur domaine.
- On ne rentre pas directement ? s'enquit l'Allumé.
Grognement négatif. Adelin bâilla. Le contrecoup des émotions arrivait, et s'avérait terrible. Ainsi donc, même l'euphorie fatiguait...
- Je ne peux pas te faire rentrer couvert de sang chez nous. Nous allons rentrer par mon entrée de service.
- Mmmh... le passage sous les écuries ? Puis qui amène aux catacombes ?
Grognement affirmatif. Cotonneux, Adelin se laissa guider. Il avait la sensation de subir les effets de la fumette, sans rien avoir consommé. Comme dans un rêve, il suivit son frère dans les passages secrets, parvint sans qu'il ne s'y intéresse à une petite salle d'eau où du savon et des nécessaires de soins l'attendaient, rangés dans une parfaite symétrie.
Sans protester ni même s'en soucier, Adelin fit une toilette de chat, se débarrassa d'une bonne quantité de sang, se laissa recoudre le cou... Des sensations agréables prenaient toute la place dans son esprit.
Le pouvoir. La puissance parcourait ses veines, illuminait ses mains, métamorphosait ce qu'il touchait. Tout prenait une merveilleuse couleur calcinée, grésillait à son contact. La chair vivante pulsait et se racornissait sous ses doigts, se resserrant sur sa peau incandescente.
Ils montaient des escaliers.
Libre, enfin, de suivre ses envies. Finie, la lutte. L'abandon. Le lâcher-prise, le vrai ! Les infimes désagréments réglés en une imposition des mains. Le gras des cendres, tandis qu'il plongeait tout son avant-bras dans la matière douce, chaude et malléable. Et le parfum que tout ceci dégageait... naturel, plaisant. Enivrant, si enivrant !
On s'agitait autour d'eux, leur père parlait à Albin. Si Albin parlait, alors tout irait bien. Deux servantes blêmes s'élançaient, chacune dans une direction différente, tandis que deux gardes en retrait suivaient la conversation avec une tension croissante.
Une lueur rouge, merveilleuse, arracha Adelin à ses douces rêveries. Le soleil se levait. Apaisé de revoir des couleurs ignées, le fêlé se laissa absorbé par la contemplation. Quelques taches sombres dansèrent dans son champ de vision, nuisant au spectacle.
Un évanouissement imminent. Il soupira. Cela ne l'intéressait pas, il voulait poursuivre sa contemplation du lever de soleil.
En un battement de cils, Adelin s'éveilla dans sa chambre.
Fronçant les sourcils, il s'efforça de remettre de l'ordre dans ses pensées. Tout devenait incompréhensible à partir des catacombes. De la nuit passée, il avait une idée assez claire des évènements, bien qu'éparse. Cependant, passé l'accès à la salle de bain de service d'Albin, tout se mélangeait au douceureux souvenir des sensations offertes par sa folie.
À force d'efforts et de concentration, il parvint toutefois à réassembler les évènements, même si cela demandait confirmation. Alors qu'il s'abîmait dans la contemplation des feux célestes, Albin l'avait fait s'évanouir en le faisant pivoter trop vite. Tout simplement...
Adelin se rendit compte que si la sensation de vide persistait, il n'éprouvait plus le bonheur sans borne d'il y avait quelques heures. Il en profita pour tenter d'éprouver l'horreur, l'épouvante qu'il se savait de devoir ressentir quant au fait d'avoir torturé quelqu'un à mort.
Rien.
Cela ne changeait pas, il s'en foutait. Dans un soupir dépité, il ouvrit les yeux. Seul dans sa chambre... Au moins n'encombrait-il pas les brancards des herboristes. Son état ne devait pas être si grave. Songeant à cela, il mesura l'étendue de sa faiblesse. Le simple fait de s'asseoir au bord de son lit le rendit flageolant et transpirant. Tenir ses divers engagements allait s'avérer complexe...
L'odeur de propre l'intrigua. Tout, dans sa chambre avait été déplacé.
Après plusieurs essais chancelants, il parvint à se mettre debout, puis à avancer jusqu'à la porte. À peine ouverte, un serviteur s'empressa à sa rencontre.
- Maître Adelin, vos parents vous somment de vous reposer...
- Oh... soit... que s'est-il passé ?
L'homme d'âge mûr face à lui prit le temps de mesurer ses propos, ainsi que l'étendue des dégâts sur son jeune maître.
Selon votre frère, Monsieur Albin Digitfractor, des ennemis de votre famille ont tenté de vous enlever en usant de drogues. Ainsi craignons-nous tous le pire quant aux effets durables sur votre esprit, et vos parents désirent vous savoir au repos.
Adelin acquiesça, avant d'obtempérer en retenant un baîllement. Bien. Libéré de ses obligations par ses parents... ne restait... qu'à attendre d'aller mieux.
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