Hors des sentiers battus 17/
Adelin en demeura bouche bée. Plusieurs émotions, plusieurs pensées explosèrent sous son crâne brûlé. Quelque part, il avait espéré qu'elle lui demande de renoncer à son nom. Il se projetait plus aisément libéré de la noblesse que toujours lié à cette charge... Cependant, qu'elle l'aime assez pour renoncer à ses principes selon lesquels le monde devait se plier à sa façon d'être et non l'inverse le touchait. Cela contredisait sa mauvaise réputation.
Le temps s'étira, tandis qu'il continuait de préserver un semblant d'ordre dans ses pensées. À tout ce magma bouillonnant s'ajoutaient des idées sans queue ni tête, issues de sa fatigue plus intense que d'habitude. Un fou, elle voulait bien faire des efforts pour un fou...
Un crépitement suspect, dont l'Allumé était incertain de l'origine, se fit entendre. Par réflexe, il surveilla ses mains pourtant innocentes, qui ne généraient aucune étincelle. Commençait-il, comme Porte, à subir des hallucinations auditives ? En sus de ses hallucinations visuelles ?
Cette perturbation lui permit toutefois d'enfin répondre à Bathilde, qu'il voyait tendue, repliée sur elle-même et inquiétée par son silence. Il lui sourit avec chaleur, voulut prendre un ton rassurant et ne parvint qu'à buter sur ses mots :
- Cela me touche, Bathilde... je t'aime. Tu verras, ensemble nous pourrons faire face à n'importe quelle situation. Nous serons forts.
Pour toute réponse, il entendit un long soupir de soulagement, suivi d'un hoquet. Interpelé, il la scruta, la vision parasitée d'ondulations imaginaires de l'air. Oui, un pas de plus dans la folie...
Sa belle Bathilde baissait les yeux, fuyait son regard.
- Tout va bien ?
- Ou... ouais... t'inquiète... 'fin c'pas vraiment toi qui d'vrait poser la question... On m'a dit qu'un fils de chienne avait essayé d'te buter...
- Oh, ça. Oui.
- Z'en savez plus ?
- Assez peu au final. Cet homme devait m'assassiner dans le cadre d'un échange de bons procédés entre malfrats, pas de chance pour lui, j'encaisse mieux qu'il n'y paraît. Et malheureusement, je serais bien en peine de t'en dire plus.
Bathilde s'agita. Bien qu'épuisé, Adelin sentait que quelque chose la tracassait, aussi tenta-t-il de creuser à son tour.
- Ben j'sais pô... 'fin on a essayé d'te buter quoi ! C'est... c'grav' ! En plus t'as pas d'gard'rapprochée, que dalle... merde quoi Ad'lin...
- Devrais-je cesser de vivre au prétexte d'une tentative d'assassinat tenue en échec ?
- Nan mais... je... j'sais pô... tu m'parais trop calme en fait...
- Epuisé surtout. Et je n'ai aucune prise sur ce type d'évènement. Cela fait partie des dangers de la noblesse, j'aurais toujours des ennemis, parmi lesquels des assez déterminés et fortunés pour m'envoyer des assassins ; il s'interrompit le temps d'un baîllement ; me cacher en réaction serait un aveu de faiblesse dramatique. Et puisque finalement, tu fais le choix de vouloir t'élever... sache que tu risques également de devenir une cible. Aussi bien d'assassinat, qu'en tant qu'objet de chantage. Cela fait partie des raisons pour lesquelles je te demande régulièrement si tu te sens à la hauteur. Plus nous allons nous élever, moins nous manquerons d'adversaires puissants et retors.
Comprenant à la mine perdue de sa belle que ce dernier terme posait problème, il détailla :
- Rusés et fourbes. Sache que ton bonheur m'est précieux, et que pour rien au monde je ne voudrais que tu regrettes un jour de changer de vie comme tu t'apprêtes à le faire.
De nouveau, il releva qu'elle avait les larmes aux yeux.
- Je vois bien que quelque chose te perturbe.
- ... nan, t'façon c'b'en moins grave que c'que t'a...
- Bathilde, j'ai toute la milice à mon service, l'un de mes propres frères fait partie des meilleurs combattants de la région, nous avons des moyens concrets de stopper ceux qui veulent nous nuire... mes soucis sont sous contrôle. Toi en revanche, je sens que quelque chose te ronge. Et j'aimerais savoir quoi, ne serait-ce que pour te permettre d'alléger ton esprit. Nous sommes un couple, il me paraît normal de faire front ensemble devant toutes les difficultés que nous pouvons rencontrer.
Empourprée, elle secoua la tête. Malgré les efforts d'Adelin, elle refusa catégoriquement d'aborder l'objet de ses tracas, puis dévia leur échange sur les effets du niveau de langage.
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