Hors des sentiers battus 20/

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Perdu dans ses pensées brumeuses, l'Allumé obtempéra. Au cours de la semaine, il ne visita les Fêlés que deux nuits, mettant à son tour son peu de présence sur le dos de la tentative d'assassinat. Il suivit scrupuleusement les recommandations du médecin, sentit les effets de la science améliorer son état et parvint à reprendre un léger entraînement avec Albin.

Aucun des deux n'aborda le sujet de Bathilde. Ils se contentèrent des affaires courantes, et Adelin ne sentit pas les jours passer. Aussi le dimanche le surprit quelque peu. Dès la fin de la messe, il rejoignit sa dulcinée, toujours aussi confus quant à sa découverte.

Tout le long du trajet, il hésita. Lui dire qu'il savait... ou la laisser se dévoiler ? Tous deux pris dans leurs pensées, ils échangèrent à peine quelques politesses sur le trajet. Installé dans la chambre de Bathilde, Adelin avait pris sa décision. Si elle lui faisait confiance, elle lui raconterait tout. Autrement... il n'y avait pas d'autre possibilité, ils s'aimaient, la confiance allait de paire avec l'amour, non ?

  • T'as toujours ton bandage ? s'enquit Bathilde.

Avec une moue, Adelin tira sur son col et lui dévoila le pansement toujours aussi épais qu'au premier jour, d'une blancheur qui ne rosissait plus depuis peu. Sa belle siffla.

  • Y t'ô pas raté.

L'Allumé grimaça.

  • Ça, je ne te le fais pas dire... Tu souhaites toujours travailler ton niveau de langage ?
  • Euh, oui.

Il lui sourit.

  • Tu permets que je te reprenne, en ce cas ?

Elle acquiesça, aussi reprirent-ils l'amélioration de sa façon de s'exprimer. Adelin attendit qu'elle soit concentrée sur la forme, pour creuser son passé. Prise dans l'exercice, elle se dévoila quelque peu.

  • Je viens du village de Vert-Pont... p'i... enfin je veux dire, mes parents aussi en viennent, on est bouchers... c'est p'têt mieux "nous sommes bouchers"...

Adelin l'encouragea d'un sourire. Bathilde s'en redressa légèrement, galvanisée.

  • Bouchers-charcutiers même, j'y vivais bien...
  • Qu'est-ce qui t'a amenée à Guarrèr, si tu te plaisait à Vert-Pont ?
  • Comment t'dire... euy... comment... ouais c'est ça, dire... Y'a un... comment ils insultent les nobles ?
  • Tout dépend du type d'injure que tu souhaites proférer.
  • Fils de pute ?
  • Mmmh... l'on va plutôt se tourner vers une référence aux autres races. Donc si ton fils de pute a fait preuve de violence, tu peux le comparer à un goliath, s'il était laid et fourbe ou manipulateur, tu peux parler de gnoll, pour la stupidité et l'inculture tu as les drakéides qui font référence... Tu as également les nains de fer réputés pour leur cupidité. Dans le thème de l'impulsivité dévastatrice, les ursidas incarnent une excellente référence.
  • Sont pas hérétiques aussi, les goliaths ?
  • La Matriarche a su leur montrer la Lumière... même s'il est vrai qu'ils sont arrivés sur nos terres en hérétiques, Elle a su les libérer de l'emprise du dieu du Feu. Ils devinrent de précieux alliés lors de la Guerre des Flammes... bien que peu civilisés.
  • OK... donc, je disais, un goliath m'a pourri la vie.
  • Etant donné qu'il ne s'agissait pas véritablement d'un individu de cette espèce, mieux vaut que tu te serves du terme à titre de comparaison. Tout le monde te rétorquera qu'un tel comportement est normal, venant de ces butors. En revanche, dès qu'il est clair que tu parles d'un humain, l'opprobre lui tombera dessus.

Bathilde prit le temps de réfléchir à sa phrase. Son futur conjoint éprouva beaucoup de fierté à la voir déployer de tels efforts. Si elle persistait, elle pourrait bien se montrer digne de son futur rang.

  • Un homme au comportement de goliath m'a pourri la vie. C'ça ?
  • Oui, c'est très bien Bathilde ! Et ce serait cet homme, seul, qui est parvenu à te faire quitter ton foyer, ton village... pour venir ici ?
  • Ouais... euh j'veux dire, oui.
  • Ce niveau de langage deviendra une habitude, tu n'auras même plus à y réfléchir, la rassura Adelin.
  • Il ét... n'était pas seul, participait à... je sais pas comment dire... y vendait des trucs pas légaux...
  • Il participait à du marché noir ? Du trafic illégal ?
  • Ces choses-là, oui, et voulait que j'le... que je le couvre, que toute ma famille plonge dedans.

Adelin la rejoignit sur le lit sans qu'elle n'y oppose d'objection, et l'enlaça. Désireux de la réconforter, de la rassurer il poussa jusqu'à l'embrasser dans le cou. Elle se pétrifia, mais ne lui demanda pas de partir. Alors, transporté de joie dans cette nouvelle avancée, il l'enlaça pour de bon, la tête sur sa large épaule. Incertaine, elle n'osa plus parler, aussi lui murmura-t-il :

  • Je t'écoute toujours... je serais toujours là pour toi, tu n'es plus seule pour faire face à ce poids... la garde n'osait rien contre lui ?
  • Pfff... la garde à Vert-Pont, c'est pas la même qu'ici...
  • En quoi diffèrent-elles ?
  • Vous, là, à Guarrèr, queu'qu'un... quelqu'un qui veut les arroser de pognon se fait arrêter, et vous cherchez d'où vient son fric. Pas à Vert-Pont. Là-bas, ils prennent et font ce que tu leur demandes. D'ailleurs, y... il paraît que vous allez étendre votre protection jusque là-bas ?
  • C'est vrai.

Elle opina du chef.

  • Vous faites bien. Et z'... vous aurez beaucoup de travail. C'est corrompu de partout.
  • La corruption y est pregnante, je te remercie pour cette information.

Ils devisèrent longuement, sans qu'Adelin ne parvienne à en apprendre plus sur son passé... ni ses activités nocturnes. Il préféra ne pas insister pour le moment, de crainte d'éveiller ses soupçons. L'Allumé ne tenait pas à paraître intéressé.

Il rentra plus tôt ce jour-là, désireux de chasser sa fatigue par le sommeil et de reprendre pleinement son notariat. Pour le moment, ses clients venaient tous de Guarrèr, il espérait pouvoir étendre sa clientèle et accroître ses connaissances. Pour cela, si d'aventure il souhaitait mettre la main sur des législations propres à des corps de métiers qu'il ne connaîtrait pas, il lui faudrait le justifier par des impératifs professionnels. Par conséquent, que des clients atteignent les limites de ses connaissances. Ses aînés parvenaient à faire rayonner leur nom par-delà leurs terres, et à faire se déplacer des personnes d'importances depuis le centre, l'Est et le Nord de la Province. Ils ne parvenaient pas encore à se faire connaître à l'Ouest, concurrencés par des nobles locaux.

Pour cela, puisqu'il n'avait aucune chance de capitaliser sur son image, il lui fallait tout miser sur ses compétences. Pour cela, accomplir des exploits administratifs s'imposait. Confiant en l'avenir, Adelin mit son temps à profit pour préparer ses rendez-vous du lendemain, puis s'amusa à assister des petits frères et sœurs dans leurs devoirs.

Cette bulle de calme lui fit constater qu'avec ses mille et un déplacements, ses multitudes d'occupations, il s'éloignait d'eux sans y prendre garde. S'il gardait un lien solide avec ses aînés via le travail, il manquait à ses devoirs d'aîné avec les plus jeunes.

Cela devint sa préoccupation du soir, vite balayée par Albin. Ce dernier avait vingt-et-un ans de plus que le dernier-né de la famille, aussi l'éloignement lui paraissait normal. Ils devisèrent, jusqu'à ce que le devoir appelle le milicien.

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