Hors des sentiers battus 25/

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De retour à leur site de chimie, ils nettoyèrent et rangèrent consciencieusement en discutant.

  • Tu vas vraiment te faire chier à nous faire signer notre engagement à pas se saboter les uns les autres ?
  • Ouais.
  • Comme ça, gratos ?

Adelin lui lança un sourire carnassier.

  • Au besoin, cela pourrait servir.

Déçu, François baissa les yeux.

  • Ah... t'fais d'la magouille politique ?
  • Si fait... j'espère ne jamais avoir à m'en servir. Sincèrement. Mais je n'ai aucune confiance en Bernard, et je sais à quel point il peut se montrer convainquant. Rhamée ne vous empêchera pas de vous parjurer, mes papiers non plus. Cependant, en sus de la justice divine, vous aurez également celle des hommes à respecter.
  • Moi j'ai rien juré, souligna Souffreux.
  • Moi non plus. Cependant, toi, je te fais confiance, bien plus qu'à quiconque en ce bas monde.

Touché, François verrouilla le tiroir où ils rangeaient leurs lectures du moment, et vint prendre l'Allumé dans ses bras. Ce dernier lui rendit son étreinte. Il savait bien qu'il ne pourrait jamais rendre la pareille à François, en termes de dévotion, d'abnégation. Encore moins au sujet des sentiments. Mais il pouvait au moins lui avouer cela. Adelin s'esquiva quand il pressentit que leur pause dans le rangement évoluait vers autre chose, et laissa son ami s'égarer dans ses pensées.

En rentrant chez lui, savourer deux heures de sommeil, Adelin réfléchit aux tournures qu'il pourrait donner à l'engagement des Fêlés. Tous ne s'y étaient pas encore pliés, mais il ne doutait pas que la majorité non seulement influencerait les réfractaires, mais en plus saurait mettre ces derniers de côté en quelques semaines. Si, par la suite cela pouvait fragiliser l'influence de Bernard, leur offrir à tous l'occasion de remettre son autorité en doute... peut-être qu'ils sauraient s'arrêter avant de s'adonner au crime. Avant de devenir ses pantins, assujettis par la peur. Et si cela devait advenir - de toutes façons vu leur nombre, certains sombreraient - que ceux qui s'en sortiraient arrachent les retardataires de l'influence mortifère du Dépeceur.

Adelin espérait sincèrement ne jamais le recroiser. Il craignait que la peur ne le soumette d'office. Plus il en apprenait sur les arcanes du pouvoir, mieux il mesurait les possibilités qui s'offraient à cet ennemi. Peut-être que laisser les Fêlés libres de le rejoindre constituait une erreur.

Ruminant, il s'empressa d'éloigner ces réflexions. Il devait absolument préserver ses deux petites heures de sommeil, partir sur ce sujet le tiendrait éveillé.

Le lendemain, Adelin sentit qu'il résistait de moins en moins au manque de sommeil. Il profita donc du temps gagné en ne retournant pas voir les Fêlés pour éditer autant d'engagements que de membres du groupe, en cinq exemplaires comme de coutume. Il prit plaisir à enquêter sur les divers textes de lois encadrant les engagements possibles, et put s'adonner à quelques jeux de réthorique avec ses aînés pour parfaire ses formulations. L'Allumé pensait déjà au cas où il devrait user de ces preuves à conviction pour se retourner contre un Fêlé, et malgré les apparences ne pas donner une impression d'organisation de malfaiteurs. En trois jours, il obtint un serment de non-agression entre partenaires d'un groupe de soutien, s'appuyant à la fois sur des textes propres au milieu associatif et quelques lois du domaine du commerce. L'absence de lois liées aux mercenaires le rassurait. Cela écartait d'office les soupçons de groupuscule armé, ce qui les enfoncerait inévitablement. Enfin, le professionnalisme correspondait à la réputation qu'il souhaitait se forger.

Nathanaël et Naïa l'époustouflèrent avec leur sagacité et leur aisance à jouer avec les mots, Zoé s'avéra la plus sensible aux sous-entendus. Eux trois lui permirent d'éviter bien des écueils, et ce défi leur plut. Albin apporta ses connaissances et réflexes d'enquêteur, milicien et bourreau.

L'Allumé jugea préférable d'attendre d'autres serments avant de passer aux signatures.

Le samedi, un voisin de Bathilde profita de son rendez-vous notarial pour lui remettre une missive de la part de cette dernière, qu'Adelin se garda bien de lire dans la journée. Au soir, enfin seul, il put prendre connaissance de l'invitation de sa douce à une nouvelle session de dépenses intensives. Le jeune notaire pesta dans son duvet de barbe. Les trois dernières fois, cumulées, lui revenaient déjà à plusieurs centaines de pièces d'or. Maintenant qu'il savait, en sus, ce que ces dépenses finançaient véritablement... Il décida de n'emporter cette fois qu'une somme raisonnable, et de bien se garder de signer des reconnaissances de dettes.

Sur ces résolutions, il s'endormit, avant de s'endimancher au matin comme de coutume. Malgré l'agacement, les doutes quant à la confiance qu'il pouvait placer en sa belle, il avait le cœur en fête. Ce bonheur anticipé le porta sur un nuage jusqu'à la messe, et songer à l'après-midi à venir permit à l'heure de dévotion de passer bien vite.

À peine libéré des contraintes religieuses, il partit s'impatienter à l'angle de rue proposé par sa splendeur. Lorsqu'elle arriva, malgré sa joie, Adelin n'en sentit pas moins que quelque chose clochait. Elle baissait les yeux, se montrait fermée, la démarche moins assurée et vive que de coutume.

  • Où est passée ton énergie habituelle ? s'enquit l'amoureux.
  • Oh... euh... ne... t'inquiète pas, mon... euy-euh... chéri.

Ravi qu'elle poursuive ses efforts, Adelin lui offrit un baisemain. Sidérée, elle n'osa plus bouger, la main toujours tendue. Son amour lui sourit, rayonnant.

  • Tes efforts ne sauraient tarder à payer, ma douce ! Néanmoins, j'aimerais savoir ce qui te préoccupe au point de nuire à ta vivacité habituelle.
  • Juste-les-affaires-qui-vont-moins-bien-que-d'habitude ; articula-t-elle avec soin.

Transporté qu'elle persiste dans ses efforts, Adelin poursuivit la conversation d'un ton badin. Ainsi apprit-il que Thomas, avec son bégaiement peinait plus que de raison à maintenir son affaire, et Bathilde, avec sa verve amenait des difficultés supplémentaires. Elle relevait d'elle-même que le "causer noble" effaçait ses difficultés.

Le couple débuta ses emplettes chez le joailler, orfèvre et horloger de Guarrèr, où Adelin parvint à modérer sa future femme. Par chance, elle n'était guère d'humeur finalement à investir dans des bijoux inadaptés à sa taille.

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