Hors des sentiers battus 31/
Quand survint le mercredi, il se surprit à attendre l'arrivée avec ce qui ressemblait à de l'impatience. Albin avait su planter les graines de l'espoir. Le doute, la peur ne prirent pas moins place dans l'esprit de l'Allumé jusqu'à l'heure du dîner.
Là, enfin, l'homme tant attendu daigna arriver, accompagné de douze gardes. Tous portaient l'emblème du Sanctum, d'argent étincelant sur gris acier. Quant au prêtre, il s'avéra être un grand homme musculeux, portant armure, masse, bouclier et imposant grimoire lié à sa taille par une chaîne noire.
La famille Digitfractor s'était empressée de venir l'accueillir en leur hall, en tenue du dimanche. Les treize hommes entrèrent dans la bâtisse comme en territoire conquis. Les gardes de l'homme saint firent face à ceux de la maison, analysant déjà les emplacements de potentiels assassins, prêts à dégainer. Cette défiance manifeste jeta un froid, outra même les responsables de la sécurité du domaine Digitfractor. Néanmoins, ils prirent sur eux. Bien qu'en sous-nombre, les gardes du prêtre appartenaient sensiblement à une élite. Quant à l'homme attendu, lui-même incarnait une menace impossible à ignorer. Tout en lui témoignait d'une discipline de fer, associée à des équipements de pointe. Sans même explorer par magie les métaux, Adelin pressentit qu'il s'agissait d'alliages secrets et réservés aux élites. Assurément, un grand honneur leur était fait... accompagné d'un rappel de la place de la religion en ces terres. Les siens devaient s'être montrés présomptueux envers un religieux, pour que ce rappel aie lieu.
Les nobles et leurs hommes s'inclinèrent avec déférence, avant qu'Irène n'accueille de vive voix leur hôte :
- Mes hommages, Père Libamen. Votre présence honore notre maison, et j'ose espérer que vous et vos hommes saurez profiter de notre hospitalité. Vous pourrez compter sur notre entière collaboration, ainsi que celle de nos gens.
- Mes hommages Dame Digitfractor, je vous remercie pour votre accueil. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, mes hommes aimeraient effectuer leurs propres patrouilles, à l'intérieur et à l'extérieur de ces murs.
- Naturellement, et soyez assurés que vous ne trouverez aucune porte close.
- Voilà une bonne chose.
En parlant, le prêtre balayait la vingtaine de personnes devant lui. La famille Digitfractor au complet, quelques serviteurs et de rares gardes, plus présents pour honorer l'hôte que véritablement veiller à la sécurité. Régulièrement, ses yeux prirent une teinte blanc argenté terrifiante. Le silence s'imposa durant son inspection, au terme de laquelle il conclut sèchement :
Rien d'impie en ces lieux, j'ai ouï dire qu'au moins l'un d'entre vous souffrait d'une réputation d'hérétique. Mensonge. Je m'assurerais également demain qu'aucune de vos gens ne s'adonne à des prières impies et vous informerais de toute découverte. Puis, comme convenu j'accompagnerais votre milice purifier ce lieu corrompu dont vous, si je ne m'abuse, m'avez parlé.
Achevant sa tirade, Père Libamen s'était tourné d'un bloc vers Albin. Ce dernier se contenta d'acquiescer, ce qui fit sourire le prêtre. Cette expression humaine, lui qui jusque-là paraissait mort de l'intérieur, le sublima d'un coup.
Adelin lui, se sentit libéré d'un poids. Cet homme de foi lui paraissait sympathique. Lapidaire, efficace. Détendu, il remarqua que la partie féminine de sa famille rajustait sa tenue, soignait plus que de coutume sa manière de se tenir et d'évoluer dans l'espace. Cela lui arracha à son tour un sourire. Nul n'ignorait le vœu de chasteté des prêtres, ainsi que le prix à payer pour recevoir une infime parcelle de l'essence divine. Aucun d'entre eux ne pouvait procréer.
Sa mère accepta le déroulé des évènements, fit les présentations de mise, puis invita la foule sous son toit à venir se sustenter, tandis que les serviteurs s'occupaient des affaires de leurs visiteurs. Père Libamen montra sa confiance en ne demandant à aucun de ses hommes à suivre ne fussent que ses propres biens. Il demanda simplement à pouvoir remettre son encombrante tenue de voyage au premier serviteur venu, avant de rejoindre ses hôtes à leur table, refusant de prendre le risque de faire refroidir le moindre plat pour se délasser ou se défaire de la poussière du chemin.
Quatre de ses hommes encerclèrent la table, huit surveillèrent les différentes entrées de la pièce. D'un bon coup de fourchette, le prêtre rendit honneur aux plats servis, demanda à ce que de généreuses portions soient conservées pour ses accompagnateurs. Passée l'entrée, il commença même à outrepasser la rigidité du protocole de bienséance pour poser diverses questions sur la région, tout en racontant volontiers ses pérégrinations. Il ne manquait pas d'amertume pour les fausses déclarations d'hérésie, qui l'avaient détourné de la voie d'inquisiteur.
- Voyez-vous, si j'aime me battre pour la Lumière, la seule véritable, perdre du temps sur des bassesses humaines...
Son soupir fendit les cœurs. Puis il pointa Adelin du couteau.
- Je suis prêt à parier que c'est vous, qui subissez une réputation d'hérétique.
- Pari gagné, s'amusa l'intéressé.
- Alors que vous avez certainement de bonnes raisons de peu apprécier le feu, de ce que votre maquillage laisse paraître.
- En effet mon père, vous êtes bien plus perspicace...
- Inutile de me flatter, je vous arrête de suite.
Adelin fit mine de se rendre, et le Père changea d'interlocuteur. Il veillait de toute évidence à n'exclure personne.
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