Hors des sentiers battus 33/
L'échauffourée attira inévitablement l'attention, et Adelin dut s'écarter de la porte le temps que de nouveaux gardes, dont deux appartenant au Père Libamen s'élancent.
- Dommage, il n'est pas rentré... soupira une garde du domaine.
Il fallait vraiment être de son corps de métier pour s'en soucier. L'interpellé conservait quelques droits, ils ne pourraient l'excécuter sans sommation et devraient limiter la casse lors de l'interrogatoire.
Adelin se faufila chez lui, puis dans un éclair de lucidité se rappela qu'il ne pourrait échapper à quelques questions. Aussi, s'installa-t-il dans l'entrée pour attendre son tour. Il éprouvait tout juste les bienfaits de ce léger repos, quand l'un des gardes du prêtre, accompagné d'une collègue de la maison l'approchèrent. Faisant un effort pour se redresser, Adelin leur offrit toutes les informations qu'il put :
- Je suis sorti de la taverne vers neuf heures et quart, pressenti une menace près de la croisée des chemins aux ronces, qui n'a eu de cesse de s'approcher jusqu'à ce que l'ouverture du portail... le fasse paniquer je suppose.
Il précisa également sa dose d'alcool, puis laissa la garde donner les précisions nécessaires au soldat d'élite. Elle lui parla également des deux précédentes tentatives d'assassinat, leurs dates, leurs effets et l'absence de signes distinctifs récurrents sur les deux premiers meurtriers ratés. Son collègue écouta avec attention, avant que tous deux ne retournent auprès de la troupe grandissante d'hommes d'armes.
Bien vite, plusieurs groupes se scindèrent pour patrouiller, au cas où cet intrus blessé et menotté serve de diversion.
Profitant de ce temps pour cuver ses bières, Adelin releva que son père le premier arriva. Les gardes lui racontèrent l'incident, il s'apprêtait à ordonner la mise en geôles quand Père Libamen, depuis le haut de son escalier l'interrompit :
- Un instant ! J'aimerais poser quelques questions à cet invité indésirable !
Il dévala les escaliers, et la cohorte de gardes se coordona pour lui tendre le prisonnier, encerclé d'une haie d'honneur et d'acier. Dès qu'il quitta la dernière marche, le prêtre apostropha l'homme, les yeux illuminés :
- Qui devais-tu atteindre, de quelle manière, pour quelle raison, au nom de qui et contre quelle rétribution ?
Entre la tenue noire de prêtre, les symboles religieux omniprésents, la masse d'armes pendant à la ceinture et les yeux inhumains, Père Libamen s'avérait terrifiant. Cela suffit pour l'assassin, qui se décomposa, balbutia des choses incompréhensibles, avant de parvenir à répondre dans un semblant d'ordre :
- Je-je-je de... devais suivre un jeune borgne à la face d'hérétique... et... et le... le tuer en lui disant en guise de dernières paroles "cadeau du Dépeceur"... j'i-j'i... Mon... mon Père, j'ignore t-t-t-tooouu-tout de celui qui m'envoie... ça se passait par... par lettres qui s'effritent, impossibles à relire... en... en... ééééchange, jjje recevais... des cargaisons de drogue, je jure de dire la vérité !
- La vérité, oui jeune homme... mais incomplète, releva le Père.
L'assassin déglutit, son front se couvrit de sueur.
- Il devait aussi m'aider à m'implanter au Ponant... y... y étendre... mes affaires... des légales celles-là, refaire ma vie là-bas... a-a-avec une consommation que je... veux réduire pour... arrêter...
Signé Bernard. Adelin ne put s'empêcher de grogner. La sentence pour tentative d'assassinat sur un noble, doublé d'un magistrat était la pendaison. Cet homme vivait ses dernières heures. L'Allumé se surprit à ne rien éprouver pour lui. Peut-être son accointance avec le Dépeceur avait-elle tué toute sa compassion à son égard...
L'homme avoua venir de Vert-Pont, après diverses implantations dans d'autres régions de la Province. Adelin cessa bien vite de l'écouter. Bernard insistait pour le tuer, et le domaine de la drogue semblait l'intéresser. Restait à savoir s'il s'impliquait bel et bien dans du trafic, auquel cas il ne tarderait guère à amasser de sacrées sommes... ou s'il avait menti à cet homme de main pour ensuite l'écorcher vif. Les deux lui ressemblaient bien.
Dès qu'il y fut autorisé, Adelin retrouva sa chambre et s'y affala de tout son long. Au matin, il s'éveilla avec des frissons glacés. Son assassin devait avoir été pendu dans la cave du domaine, enterré sous une tombe anonyme, et Bernard renforçait son influence dans le village le plus proche.
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