Il n'était pas prêt à partir, surtout après cette tentative, le moment serait mal choisi. Adelin se saisit du carnet où il notait ses idées pour son départ, et ajouta de se laisser un maximum de temps après la visite d'un envoyé de Bernard.

Ceci fait, il retourna à sa routine. Ses clients apprécièrent peu la présence et la vigilance des hommes du prêtre, posèrent de nombreuses questions qui ne relevaient pas de son domaine de compétences. Même quand Albin guida le saint homme à la caverne de Bernard, certains étrangers restèrent au domaine.

Ils ne revinrent qu'au soir, pile à l'heure du dîner, imprégnés d'une forte odeur d'encens. Albin semblait particulièrement affecté, tandis que le prêtre ne perdait rien de son avenance et de sa maîtrise de l'art de la conversation. Il parvint même à leur faire oublier en un rien de temps l'envie de savoir ce qui venait de se dérouler sur leurs propres terres. Le cadet Digitfractor annonça du bout des dents avoir juré de taire ce dont il avait été témoin, à l'excpetion d'une éventuelle confession.

Pourtant, au creux de la nuit, alors qu'Adelin s'efforçait de se raisonner et d'attendre le départ des étrangers pour retourner auprès des Fêlés, il reconnut le pas d'Ablin approcher de sa porte. Cette dernière s'entrouvrit et une feuille froissée fut jetée dans sa chambre. Sourcils froncés, il la ramassa pendant que son aîné poursuivait sa route, où que le conduisent ses pas et son insomnie.

Brûle ça.

Remercie Rhamée, ton refus de te plier à "l'intronisation" des Fêlés t'a préservé d'un danger majeur. Bernard s'est acoquiné avec un nécromant. Le sigil que tu as deviné se divisait en trois, chacun visant un asservissement différent pour tous ceux dont la chair a été utilisée.

Asservissement de l'esprit en premier lieu, pour les rendre incapables de trahison envers Bernard. Ce sort était en cours d'activation. Bien que levé, ses effets perdureront au moins deux ans, sauf confession des cibles.

Asservissement de la chair, pour que toute fuite soit sanctionnée dans la douleur.

Asservissement de l'âme, pour qu'ils se relèvent d'entre les morts et ne rejoignent jamais la Lumière, mais servent éternellement Bernard.

Ce dernier doit sacrifier une personne par mois pour être protégé de la magie sacrée, ce qui entre autres lui permettrait de mentir même en présence d'un prêtre infusé. Son père a été le premier sacrifice, difficile de connaître l'identité des autres victimes.

Il a fallu arracher les clous dans un ordre précis pour éviter de déclencher divers rets impies. Puis rassembler les lambeaux, les os et tout résidu humain afin que le Père les purifie. Selon lui, le nécromant ne se trouve pas sur nos terres, mais celles de notre voisin du Sud. Selon lui, il s'agit d'un hérétique nomade qu'il va s'empresser de traquer dès demain. Ensuite viendra le tour de Bernard.

Je suis contraint de laisser ce fils de chien poursuivre ses activités.

Adelin refroissa le message, perturbé. Comme demandé, il brûla la lettre et épousseta les cendres par sa fenêtre. La douceur nocturne ne l'empêcha pas de sentir la sueur glacée dans son dos. À quoi venait-il d'échapper ? Et François, qu'allait-il lui arriver, avec cette emprise sur son esprit ?

Définitivement incapable de trouver le sommeil, Adelin alluma une lampe à huile et parcourut distraitement le Code des dispositions testamentaires. L'imposant manuscrit ouvert au hasard, Adelin passa le reste de la nuit entre se remémorer des pages entières et leurs mises en application concrètes, et frémir à l'idée du sort que subissaient les autres Fêlés.

Ils avaient tous pu prêter serment, sans éprouver de crainte. Alors seraient-ils en mesure de s'y tenir, ou était-ce plus récent ? Comment le savoir ? Quelles cartes pouvait encore jouer la face de gnoll ?