Hors des sentiers battus 36/
Un sentiment d'apaisement s'installa graduellement, dont il s'imprégna. Pour le moment, il ne sentait rien qui puisse trahir l'influence du sort parmi les autres. Ce constat allégeait ses épaules. Lui restait donc à rompre avec Bathilde, mesurer les effets sur les puis se défaire peu à peu de ses différents engagements pour partir le cœur léger.
Pour le moment, il s'offrit le luxe de savourer l'instant présent. Tout du moins, il voulut le faire, mais son esprit partit sur ses préparatifs de départ. Pressentant que s'attarder au campement s'avérerait inutile, l'Allumé rentra chez lui, bénéficier d'une nuit plus longue que de coutume.
Quand vint le dimanche, il n'avait toujours reçu aucune nouvelle de Bathilde. À la fin des lithurgies, Adelin comprit qu'il n'avait pas cessé d'espérer avoir une quelconque preuve d'amour de la part de cette femme. Quelque chose qui pourrait remettre la rupture imminente en doute.
Sa raison savait bien que c'était la meilleure chose à faire. Son cœur refusait de s'y résoudre. Mais il avait prêté son épaule bien assez souvent à sa fratrie durant leurs chagrins d'amour pour savoir que plus tôt il s'y prendrait, moins ce serait pire. Rester dans le flou n'aiderait personne, bien au contraire.
Le cœur battant, conscient de l'importance du moment, il se plaça en retrait de la foule et guetta Bathilde. Dès qu'ils se virent, Adelin sentit... une déflagration d'émotions. Les épaules de la jeune femme s'abaissèrent, avant de se carrer. Lui-même se cripsa. D'un mouvement du menton, il l'invita à le suivre plus loin, à part.
De la savoir, la sentir dans son dos lui rappela sa boiterie et l'origine de ses douleurs persistantes. Il devait reconnaître une chose, elle frappait fort. Aussi, de toute évidence, il l'aimait encore, voulait rester dans cette part de normalité à laquelle il aspirait depuis toujours. Et dont il devait se détourner, à laquelle il s'apprêtait à renoncer.
Un lien en moins, s'encouragea-t-il quand il se retourna, dans un lieu assez à l'écart pour éviter les témoins gênants, assez proche des principales artères du village après la messe pour qu'il ne risque pas d'éclats de violence. Dans un soupir nerveux, il prit son courage à deux mains et se lança après les politesses d'usage gênées des deux côtés :
- Bathilde...
- 'Ttends, Ad'lin ! J'me doute qu'y faut qu'on cause, mais...
- Mais rien du tout. Ma déci...
- J'peux tout t'esspliquer !
- ...sion est prise.
Elle voulut le saisir, il resta hors de portée en se reculant sèchement. Il devait se méfier, les ruelles dans lesquelles il s'engageait se finissaient bien souvent par une impasse. Discrètement, il se tourna vers une intersection.
- Je te quitte.
Les larmes aux yeux, tremblante, elle en resta coite. Quant à Adelin, il ne se sentit ni soulagé, ni plus nerveux... Simplement, cette étape était faite. Il pouvait espérer avoir réalisé le plus dur. L'envie de se justifier le démangea, mais il se contint. Moins il en dirait, plus vite il pourrait partir, encaisser seul ses émotions contradictoires.
- Mais... Bathilde déglutit, Tu... tu peux pô... C'toi qui m'disait qu'on s'aime !
- Et tu m'as frappé.
- T'm'a manqué d'respect !
Adelin sentit qu'il s'engageait dans un dialogue de sourds. Aussi, les doigts en triangle il se détourna et s'engagea dans la ruelle qui lui permettrait de réintégrer la foule, sans s'approcher de Bathilde. Son sort lui permit de déceler la dague de la commis bouchère, suffisamment longue et effilée pour représenter un sérieux danger. Sa peine de se détourner de l'amour, de la norme que cela représentait se mua en colère. Qu'avait-elle prévu celle-là, de l'assassiner aussi ? Qui se rendait au temple avec une arme ?
La grande brune voulut le suivre, il s'empressa de se fondre dans la foule et trouva à se mêler à sa fratrie. Ces derniers, guère habitués à le voir à cette heure s'apprêtèrent à l'interroger, avant de comprendre à son attitude qu'il était trop tôt. Il discuta donc distraitement avec eux, attendant le retour du carrosse familial.
Une fois dedans, un silence attentif et curieux lui laissa toute lattitude pour s'expliquer.
- Je viens de rompre avec Bathilde, soupira-t-il avec amertume.
Mal à l'aise, il hésita entre observer le paysage et ses chausses. Indécis, il passa de l'un aux autres. Son père et Hermione, qui l'entouraient, posèrent une main compatissante sur lui. Chacun y alla de son petit commentaire ou de son mot d'encouragement, conscients fort heureusement du chamboulement que représentait une rupture. Néamoins, le soulagement général lui confirma qu'il avait pris la bonne décision.
Revenus chez eux, ils le laissèrent s'enfermer dans sa chambre, y ruminer et méditer tout son soûl. En début de soirée, Albin passa tout de même s'assurer que tout allait bien, que cette épreuve ne remuait aucune pulsion, pyromane ou suicidaire. Adelin dut reconnaître qu'à sa grande surprise... non. Son aîné en soupira de soulagement.
- Je suis fier de toi. Je sais à quel point le premier amour compte. Et quand on dit "une de perdue, dix de retrouvées"...
Adelin eut un pâle sourire.
- Oui, c'est faux.
- Eyaëlle s'attendait à ce que tu ourdisses une vengeance quelconque, il a été difficile de la tenir éloignée de ta chambre aujourd'hui.
S'imaginant les scènes, lui-même en amoureux vengeur et Albin improvisant de sages paroles pour leur sœur la plus têtue, l'Allumé rit avec une légèrté jusque-là absente dans sa journée. Il releva par ailleurs les restes de boue sur la tenue désordonnée - du moins, selon les critères du milicien - d'Albin, et comprit qu'il avait même du agrémenter ses paroles de plaquages et de courses-poursuites avec la petite rousse. Il remercia son mentor d'une forte tape sur le bras.
- Que ferions-nous sans toi et ta sagesse ?
- L'anarchie régnerait.
Ils s'échangèrent un regard complice. Albin établit un rapport circonstancier de sa lutte avec l'anguille rousse qui ne perdait pas son habitude, quand l'ennui la prenait, de venir défier les oies de leur famille, avec un sérieux et une gravité en total décalage avec les scènes relatées.
Ainsi s'acheva l'après-midi pour Adelin, dans des rires bienvenus. Ils descendirent manger, Adelin avec un hoquet qui ne manqua pas de lever une commissure des lèvres chez Albin. La quintessence de l'hilarité chez ce dernier.
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