Chapitre 21 : Préparatifs
Seren fixe la rutilante vitrine du bar qui se dresse devant elle. Non content d’être une couverture efficace aux activités du Groupuscule Librae, l’établissement est une affaire plus que rentable. Peut-être est-ce grâce à son emplacement de choix, au carrefour de quartiers fréquentés par les différentes castes. Geraint s’est potentiellement trouvé une fibre commerciale, une nouvelle corde qu’il peut ajouter à son arc de compétence parmi d’autres toutes plus diverses et improbables les unes qui les autres. Ça ne l’étonnerait pas, tient. Il va même peut-être pouvoir sa… sorcière qui compte ? Bref, sa machine infernale qu’il a fallu faire venir de l’autre bout de la galaxie en contrebande et dont il semble le seul à connaître les arcanes, malgré les mois passés à l’utiliser. Elle laisse échapper un discret bâillement, remonte sa jolie en velours sur ses épaules. La nuit a été courte, pour de nombreuses raisons, et ce serait mentir que dire qu’elle n’aurait pas préféré rejoindre le calme feutré de sa chambre et la chaleur de sa couette. Cependant, cela lui aurait fait louper le petit déjeuner parmi ses compagnons une fois de plus et elle s’y refuse, son emploi du temps l’en empêche déjà bien assez. Elle dédaigne le petit panneau en lettre d’or indiquant que l’établissement est fermé et pousse la porte, se déhanchant légèrement pour passer, elle et son large sac. Elle avance doucement, esquissant un pas de danse sur l’air que crachote le phonographe puis se perche sur un tabouret de bar à côté d’une Tesni plongée dans la rédaction de ce qui semble être un article.
« Bonjour, Tesni. Dis-moi, ton journal parait demain, si je ne me trompe pas ?
— Clapet clos, Seren ! Du moment que ce fichu papier est sur le bureau de la dactylo à onze heures précises, mon rédacteur en chef se contrefout de l’heure ou les conditions dans lequel il est rédigé, déclare Tesni, trempant sa plume d’acier dans un petit godet d’encre violette. D’autant que ce papier est de la plus haute importance !
— Allons bon, rit Seren, en attrapant la cafetière encore chaude posée derrière le comptoir. Raconte.
— Je dois expliquer à mademoiselle L. Comment venir en aide à son « amie » qui souhaite quitter un garçon qui s’avère être un coureur de dot. Ces gars sont des plaies, on devrait les envoyer en taule et en balancer un ou deux dans l’espace pour l’exemple. »
Seren termine de se servir une tasse de café fumante et y plonge ses lèvres.
« Tu es bien catégorique
— Si ça ne tenait qu’à moi, je collerais une balle entre les deux yeux à chacun des types qu’on me signale par courrier.
— … Tesni ?
— Rassure-toi, je plaisante. Enfin non. Enfin, ce serait bête de me faire chopper pour le meurtre d’un de ces types et pas pour… enfin tu vois. »
Seren grimace, elle voit très bien. Il lui faut un peu de temps pour acquiescer, cherchant dans l’attitude de son interlocutrice la confirmation qu’elle ne comptait pas sous peu partir en exécution froide d’une partie de la gent masculine. Son regard se déporte sur un coin de salle où un gamin dort, blotti dans une lourde couverture sur un lit de fortune, un des deux chats de la maison en bouillotte. Tesni continue.
« En tout cas, c’est une excellente occasion pour rédiger un petit manuel de comment débusquer ces salauds. Ça, c’est Edern, enchaine-t-elle naturellement en remarquant l’interrogation muette de Seren. Nerys nous l’avait envoyé quand le patron lui a demandé des pickpockets. Il a dû trouver que la cantine était bonne parce qu’il est jamais vraiment reparti.
— Nerys a accepté ça ?
— Je ne suis pas bien sûre qu’elle ait eu le choix… Et puis, de fait, le gosse bosse toujours pour elle. Juste, au lieu de rentrer chez son alcoolo de père le soir, il reste avec Siarl, le Patron et les chats.
— Parlant d’eux, ils ne sont pas levés ?
— Si, si. Ils sont dans le bureau à l’étage. D’ailleurs, je pense que Siarl te sera éternellement reconnaissant de lui permettre de s’échapper de sa séance de torture quotidienne. J’ai déjà grillé mon joker pour ma part, il n’y a que toi qui puisses le sauver. »
Seren esquisse un sourire amusé, terminant cul sec sa tasse. Elle se laisse glisser avec souplesse du tabouret et y pose le sac qu’elle a apporté. Elle y récupère une petite trousse de soie brodée.
« Maintenant que je sais pourquoi je devais amener des vêtements d’enfants, il est temps que j’aille jouer un tour à ces messieurs. Tu veux y assister ?»
La plume de Tesni cesse de gratter le papier, un sourire malicieux étire ses lèvres. Seren se dirige vers l’escalier en colimaçon qui dessert l’étage, attendant que Tesni commence son ascension à son tour pour frapper trois légers coups à la lourde porte. Un pas rapide vient vers elle et c’est un Siarl, le regard éteint et le catogan désordonné qui lui ouvre. Derrière lui, le Patron se tient assis à son bureau, un grand journal posé dessus. Seren se glisse à l’intérieur non sans avoir offert un sourire compatissant au garçon
« Geraint, tu es censé apprendre à lire à Siarl, pas le dégouter à vie ?
— S’il y mettait un peu plus du sien, ça irait bien mieux » marmonne Geraint dans sa barbe, se redressant lentement pour appuyer une main sur la hanche de Seren et s’aider à se relever complètement.
— Mais je fais tout ce que je peux !» Proteste Siarl « J’ai même fait des progrès, vous avez dit !
— Ah ça, pour lire la publicité et les panneaux lumineux, pour sûr, tu n’as aucun problème. En attendant, tu as écorché quatre fois le nom du ministre des Arts mentionnés dans l’article.
— Attends, Siarl, tu ne connais pas le nom du ministre des Arts ?! s’exclame Tesni, prête à s’esclaffer.
— À quoi ça sert de savoir son nom ? Ça remplit pas mon assiette ! C’est comme lire et écrire, une fois la mission finie, j’en aurai plus jamais besoin.
— Siarl, je t’apprends aussi à lire et à écrire pour que tu puisses vivre correctement sans moi, tonne Geraint. Que ferais-tu quand je ne serai plus là pour m’occuper de toi ! »
Siarl se mord la lèvre et le dévisage, un peu perdu, presque paniqué, cherchant ses mots, comme s’il n’avait jamais envisagé cette éventualité.
« Je… je demanderai à Tesni ! » avant de se raviser « Non, pas elle, elle serait capable de me lire n’importe quoi pour m’embêter.
— Oh !» Hurle Tesni, les joues rouges.
Seren intervient avant que la chamaillerie ne s’envenime, la tuant dans l’œuf.
« J’aimerais t’offrir quelque chose pour t’aider, Siarl. Mais avant, je voudrais que tu confirmes mon… diagnostic… les indices que j’ai relevés ces derniers mois, si tu préfères. Tu accepterais ? »
Siarl hoche doucement la tête. Tout n’est pas bien clair, mais il est devenu brusquement beaucoup plus attentif.
« Visiblement, ce n’est pas un problème de méthode, vu que, comme indiqué, tes progrès pour déchiffrer des textes simples sont plus qu’honorables. Le problème vient quand tu passes aux caractères plus petits. Là, tout se trouble. »
Le garçon fronce les sourcils, acquiesçant à nouveau. Geraint, lui, s’est détaché de Seren pour clopiner jusqu’à son briquet et ses cigarettes posés plus loin.
« J’aimerais que tu essaies ceci. Tu veux bien ? »
Elle lui tend l’étui de velours. Siarl le prend avec précaution, en sortant deux petits verres épais reliés par une monture dorée. Il ne sait pas quoi en faire, mais Tesni résout vite le problème en lui arrachant des mains pour lui mettre sur le bout du nez. Seren lui donner à nouveau le journal.
« Alors ?
— Ah ! » répond Siarl à la fois stupéfait et ravi.
– … bon sang, il est hypermétrope» Geraint est tellement surpris qu’il en omet d’allumer la cigarette qu’il a au coin des lèvres.
— Hyperme-quoi ? Demande Tesni piquée, au point qu’elle en oublie de se moquer une nouvelle fois de Siarl qui a entrepris de tester sa récente acquisition sur tous les livres de la pièce.
— Il voit mal de près, ce n’est pas une insulte, c’est le nom de sa défaillance. Je ne m’en étais jamais aperçu. »
Seren tire une révérence théâtrale, avant d’aller s’assoir dans l’un des fauteuils de la pièce.
« Bien, maintenant que j’ai sauvé grâce aux vieilles loupes de feu ma grand-mère le futur de cette mission, serait-il possible d’avoir plus d’information à son sujet ? »
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