Chapitre 32 : Foule
Elle l’attend. Encore, dans un café, à proximité de ses bureaux. C’est le point de rendez-vous dont ils ont convenus la dernière fois. Enfin. Attendre. Tesni est surtout en train de noircir des laisses de papier de son écriture droite et pressée. Elle n’est pas encore en retard, elle a jusqu’à 9h le lendemain pour faire apparaître sur le bureau de la cheffe du pool de dactylo du journal les réponses de Madame Mira aux courriers des lecteurs. Ce n’est visiblement pas encore aujourd’hui que son badge de journaliste va véritablement lui servir. Voyons le bon côté des choses. Ce n’est vraiment pas le travail le plus chronophage et contraignant qui existe. Ce qui lui fait penser qu’elle s’était dit qu’elle devrait recaser ce mot dans l’une de ses réponses de la semaine, parce qu’elle l’aime bien. Elle le trouve terriblement poétique, tout le contraire d’elle en somme. Elle hèle le serveur qui passe pour lui réclamer un autre chocolat chaud. Apparemment, en ce moment aussi chez les miliciens qui vérifient que les bars et les restaurants n’empoisonnent pas leurs clients, on fait des heures supplémentaires. Oui, elle a encore oublié l’intitulé exact de sa division. Il doit y avoir tellement peu de gens qui savent que cela existent et encore moins qui savent à quoi ça . Bah, c’est pas bien grave, Heilyn se fera un plaisir de lui répéter sa petite explication quand il s’en apercevra. S’il arrive. Il ne faudrait pas qu’il tarde. Ils ont à faire. Au moins, avec son explication à elle, tout le monde est au clair. Mais Heilyn aime tellement étaler sa science de toute façon. A croire qu’il s’est fait virer de sa prestigieuse unité des douanes juste pour le plaisir de rabâcher encore et encore sa tirade. Cela le rend pompeux et plein de morgue, comme un gamin qui récite sans faute ses premières prières à l’Architecte des Astres. Presque attachant, finalement.
Tesni pouffe derrière son crayon et relit la lettre qui se trouve devant elle . Les gens, les femmes surtout, se compliquent bien trop la vie avec l’Amour, celui avec un grand A. Quand elle pense à ce qu’elle obtiennent au final en récompense. Un mal de crane. Beaucoup de mal crane. Parfois une étoile dans le tiroir. Très peu pour elle
“ Eh beh, ça a l’air compliqué comme histoire.”
Tesni sursaute et se retourne une main sur sa tasse de chocolat. Heilyn. Tiré à quatre épingle dans un uniforme impeccable, un grand sourire aux lèvres.
“… C’est à cette heure-ci que tu arrives ?!
- Désolé. aC’était la visite mensuelle du haut-gradé. Il s’est déjà fait porté pâle les deux dernières fois, on lui a fait comprendre encore plus haut que cette fois ci, il n’y échapperait pas .”
Heilyn tire la chaise en face d’elle et prend place en interpellant le serveur pour réclamer un thé.
“ Et ?
- Et du coup, il a fait du zèle, vois-tu. Il a fallu sortir tous les dossiers en cours, établir la programmation des opérations du moins prochain, archiver ce qui doit l’être, vérifier que tout en ordre pour tout ce qui se transfère à l’aile Justice, préparer les dossiers aux besoins et les compléter …
- Non mais toi te connaissant, ça a du être plié en moins de temps qu’il n’en faut pour dire “C’est bon, lieutenant, vous avez bien travaillé, maintenant lâchez moi
- Moi oui. Mes collègues non. Je suis resté aider
- Heilyn …Sérieusement.
- C’est pas grave. Je suis là maintenant. Tu vas lui répondre quoi à ta lectrice ?Tesni renifle en relisant en diagonale la lettre tandis qu’Heilyn récupère son thé des mains du serveur
“Hum … cas typique du beau parleur qui pense qu’il est possible d’entretenir deux familles en même temps sur une planète aussi petite qu’Alphard. Elle a qu’à le descendre, ils seront obligés de couper l’héritage en deux, ça permettra d’élever les mômes. Sinon, il va falloir envisager le ménage à trois.
- … C’est pas très légal comme solution., marmonne Heilyn le nez dans son thé
- De quoi ?
- Les deux solutions. Ce sont des coups à se rendre anarchistes.
Tesni pouffe et commence à écrire sa réponse. Elle répond sur le même ton
- Je te rappelle ce qu’on est ?
- Oui mais nous, c’est pas pareil.
- Pourtant, c’est le même mot, le même panier, la même sentence. La femme qui zigouille son mari, le type qui est pas d’accord avec l’Agora, celui ou celle qui aime quelqu’un d’autre que son partenaire légitime. Pouf. Anarchiste.”
Heilyn fronce les sourcils, Tesni n’ajoute rien, ils se sont compris mutuellement et surtout, discuter de cela ici pourrait devenir dangereux si des oreilles bien informées venaient à trainer.
“Et sinon ?” finit par reprendre Heilyn pour briser le silence “C’est quoi le programme, ce soir ?”
Tesni continue de gratter sa feuille de son crayon de papier, sans interruption aucune.
“ Je termine ma dernière lettre, tu me trouves un office de messager pour envoyer tout ça aux locaux du journal et ensuite, on badine et on baguenaude comme doivent le faire tous les jeunes couples.”
Heilyn penche la tête les yeux un peu globuleux et la bouche tordue par un rictus. Tesni claque de la langue.
“Moi qui pensait que tu avais mis ton bel uniforme pour me séduire
-C’était pour l’inspection, je t’ai déjà expliqué que …
- Oui oui . Heilyn ?
- Quoi ?
- Je crois que le monsieur aimerait beaucoup de tu lui règle l’addition”
Tesni désigne d’un mouvement de tête le serveur qui patiente avec son calepin derrière, l’addition déjà dressée et visiblement assez pressé de récupérer la table pour de nouveaux clients. Il est goguenard et aurait visiblement exploser de rire s’il n’avait pas été en service. Les joues d’Heilyn s’empourprent un peu plus et il farfouille l’intérieur de sa veste pour en sortir la veste demandée plus le pourboire , ce qui a pour effet de calmer un peu le serveur et surtout de le faire partir. Heilyn se retourne vers Tesni et grommelle.
“Par les Astres, préviens moi quand on a du public la prochaine fois
- Tu aurais été beaucoup moins spontané et cela aurait été beaucoup moins drôle.
- Qu’est ce que tu en sais ?
- Que ça aurait été beaucoup moins drôle ? Instinct féminin, dit simplement Tesni en réunissant ses papiers en faire une liasse compact et les mettre dans une grande enveloppe de papier kraft déjà préremplie avec les coordonnées du journal. Heilyn soupire , termine son thé cul-sec , se redressant d’un coup
“Il y a un office de messager à proximité des immeubles d’administrations. On a qu’à y aller.”
Il lui propose son bras, qu’elle prend le plus naturellement du monde, se laissant conduire tout le long de trajet, observant ça et là sous prétexte de faire remarquer des petits riens du quotidien l’agencement des ruelles, l’emplacement des postes de gardes et des caméras de surveillance.
“Ces milicien seront maintenu durant le Carnaval. Ils interdiront l’accès aux gens qui ne sont pas du quartier. Je me suis renseigné, chuchote Heilyn qui opine sagement du chef à chaque assertion de Tesni
- Ne t’inquiète pas. C’est prévu dans le déroulé du Plan m’a dit le Patron. Répond Tesni en se penchant à son oreille , un large sourire emprunt d’admiration aux lèvres. Elle adresse une salutation cordiale à la sentinelle qui les gratifie d’un garde à vous rigide, du au grade de son compagnon.
“Votre soucis principal, ce sera les cameras. Et encore. Peut être pas toute et pas tout le temps. Moi, pour mon rôle, j’ai besoin de voir le bâtiment dans lequel vous devrez entrer et les rues à proximité. C’est tout ce que j’ai besoin de savoir.”
Annotations