Chapitre 33 : Déguisement

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Geraint fixe le large manteau noir doublé de velours rouge. Il fait partie d’un costume de Lelio que lui a gracieusement porté Seren ce matin. Seren qui s’est invitée sans prévenir alors qu’il était seul avec Edern et les chats, bien décidé à le rester. Aujourd’hui, c’est Carnaval. C’est le jour du Plan. Siarl est parti aux premières heures des éclairages publics pour rejoindre Heilyn avec le matériel au point de rendez vous convenu. Geraint a reçu un peu plus tard un appel de Tesni, qui a signalé avoir bien reçu le costume de Pierrot en remerciant. Comprendre : elle est à son poste d’observation. Pour les autres , il ne sait pas et ne doit pas le savoir. Parce qu’il y a toujours un risque, chaque jour plus grand, que la milice ait des informations. Ils en ont, probablement. Autant que cela les déroute avec le moins de clarté. Alors il ne peut qu’imaginer que tout va bien. Nerys est remontée comme une horloge, bien trop heureuse de reprendre ces affaires là. A croire que les activités basiques d’un clan mafieux ne suffisent pas à nourrir son égo et ses envies de révolutions. Pour les autres, ils ont des intérêts personnels à ce que les différents rouages s’enclenchent, contentant à chaque fois les uns et les autres, peu importe leurs activités. Edern leur a rapporté les dernières éléments nécessaires à leur partie alors que les rues se préparaient à recevoir l’abondante foule des festivités.

Elle est d’ailleurs là, la foule, grouillant maintenant tout autour du bar. Il la voit s’agglutiner dans la ruelle, depuis la devanture en verre teinté. La parade va peut être bientôt débuter, accompagner des actions énergétiques habituelles, destinées à contenter pour un jour la population que l’Agora a intérêt à garder à sa botte. Ce qu’il ne comprend pas, dans tout cela, c’est pourquoi il devrait s’y mêler . Seren lui a bien parlé d’alibi mais il n’y croit qu’à moitié. Elle n’a probablement pas eu le temps de se trouver un cavalier pour l’y accompagner et l’a considéré comme une alternative convenable. Peut être a-t-elle eu encore pitié de son deuil et de sa solitude. Ou alors il doit voir un message caché dans le costume qu’elle lui a choisi. Lelio. L’amoureux heureux de la commedia del’arte , univers dont la culture alphardienne est particulière friandes. Il soupire, réajuste le pantalon qu’il a eu beaucoup de mal à enfiler parce que bien trop serré pour sa jambe folle. Il remonte les grande chausse blanches par dessus et les noue avec un grand soin avec les lacets de satin noir, prenant bien le temps pour que les deux rosettes soient parfaitement identique de chaque côté. Détail, diront les ignorants. A ses yeux, cela change tout. Il sait déjà qu’il ne pourra pas passer les chaussures du costume, à cause du talon avec lequel il lui sera parfaitement impossible de marcher. Il n’aime pas Carnaval. Pas seulement parce que c’était la fête préféré d’Enfys et que s’en souvenir convoque de douloureux souvenirs. Surtout parce qu’il n’a jamais eu la dérision nécessaire. Pas dans son éducation. Avant, il le faisait par amour, parce qu’il n’aurait jamais rien fait pour mécontenter son soleil, surtout avec quelque chose d’aussi idiot. Maintenant, il n’a plus personne à qui plaire ou à contenter, surtout avec le deuil et la vengeance qui englue tout, quoi qu’il fasse.**

Seulement, Seren a tellement insisté et Edern a regardé les différents costumes qu’elle a préparé pour qu’il puisse choisir, comme si elle avait mis un point d’honneur a rendre le premier Carnaval fêté du petit inoubliable nonobstant le Plan qu’il n’a pas réussi à refuser. Heureusement que Tesni et Siarl sont absents, sinon, il en aurait entendu parlé jusqu’à la prochaine fête du Solstice, et encore. Peut être aurait il fallu qu’il brûle plus d’encens à la Dame du Destin avec le vœu très égoïste qu’on le laisse en paix ce jour, en tête à tête avec lui même mais aussi pour s’attirer ses bonnes faveurs, lui qui ne jure que par elle. Cela va aller. Le Plan est parfait, réfléchi, il a revu et vérifié plusieurs fois chaque détails dont au moins une fois parfaitement sobre. Les préparatifs ont été concluants, Siarl est bien épaulé, de ce qu’il a pu jauger d’Heilyn, ils se complètent et sauront réagir en cas d’anicroche. Les diversions ont été prévue bien plus importante que nécessaire. Reste que cela fait deux ans qu’il n’a pas eu à organiser de telles actions, c’est probablement ce qui joue en leur défaveur en cette journée si spéciale. C’est qu’avant il n’avait le role unique de la conception du plan. C’est Enfys qui se chargeait de le défendre et de le faire comprendre aux autres, Enfys qui répétait à qui veut l’entendre que si c’est Geraint aux manettes, alors forcément que tout irait bien. Sauf qu’Enfys n’est plus là. Le plan est une étape dans la vengeance de son meurtre. Ils n’auraient jamais dû .

La porte de la cuisine s’ouvre en grand fracas, le sortant de ses pensées. Edern parait, avec un large sourire, contrastant avec un beau costume de Pierrot, tout en noir et blanc, la face fardée de blanc et la larme noire dessinée au khôl sur sa joue gauche. Il est suivi de Paun et sa queue touffue comme la plume d’un chapeau, très, très intéressé par les pompons des ballerines noires. Le gamin prend les mains du barbu, jouant avec. Geraint lui sourit doucement, avec une tendresse toute paternelle

“Le costume te plait ?

“Oui , monsieur Patron ! L’est très chouette. Beaucoup trop chouette. Y’a des pompons tout partout”

Geraint réajuste son calot noir pour mieux cacher sa tignasse blonde.

“Patron suffit. Toi, au moins, tu as eu voix au chapitre sur le choix du costume

- Geraint ! Gros épais ! Qu’est ce que tu lui reproche à mon costume de Lelio !”

La voix de Seren tonne de la cuisine et trahit la grande concentration dont doit faire preuve cette dernière pour … pour faire quoi au juste ?

“Il te faut vraiment une liste ? Le mélange brocard / fausse fourrure, fil d’or, le tricorne … puis Lelio tout court. J’ai absolument rien d’un jeune amoureux

- Oui, enfin, les rôles de vieux barbons ne te vont pas non plus, tu n’as pas la prestance des domestiques. Tu aurais voulu quel personnage ?

- Je sais pas ? Aucun ? Le docteur de la Peste à la limite.”

La porte de la cuisine s’ouvre à nouveau, laissant cette fois entrevoir une Seren ébouriffée, les joues gonflées de colère, un corset grand ouvert laissant large place à sa poitrine que certains diraient imposantes. Edern rougit et se cache les yeux par réflexe. Geraint, lui, ne bronche pas.

“Je te rappelle que, pour reprendre tes mots, nonobstant la fête, l’idée, c’est de te créer un alibi parfait aux yeux des caméras de surveillance. Pour cela, tu dois être parfaitement reconnaissable. Comment tu comptes l’être avec un masque qui couvre tout ton visage, un large chapeau et un manteau noir ?

- A ce compte là, tu m’as donné un tricorne … Tu as besoin d’aide au fait ?

- S’il te plait . Oui mais je suis à peu près sûre que tu seras le seul Lelio boiteux avec de la vrai hermine aux manches … Fait pas cette tête, je réutiliserai l’hermine dans autre chose chose une fois la fête finie, quand je recyclerai le costume.”

Geraint secoue la tête puis lève les yeux au ciel. Il tire un coup violent sur les lacets du corset pour terminer de le serrer et de le fermer, laissant à Seren le temps d’enfiler sa robe d’Isabella.

“C’est bon, Edern. Seren est visible. Avant que l’on parte, répète moi les consignes s’il te plait.” Grommelle Geraint qui boitille jusqu’au fameux manteau pour l’enfiler.

- Ah … euh … pas fouiller dans les poches de personne , même si je vois un portefeuille mal rangé. M’amuser parce que j’ai fini mon travail. Observer. Rescter près de vous. Si je vous perds, je rentre ici. Si un milicien me demande si je suis seul, je montre la carte avec ma photo qui dit que vous êtes mon oncle, même si c’est pas vrai

- Parfait. On peut y aller.

-Minute, Geraint. Ton chapeau.

- Quoi, mon chapeau. Je l’ai posé …”

Sauf que chapeau il n’y a plus sur la table proche de l’entrée. Geraint fronce les sourcils s’approche en clopinant, portant une main à son veston.

“Ah !” s’exclame Edern en désignant une masse sombre perchée à proximité de la lucarne. Le chapeau fièrement coincé dans sa gueule, Paun le chat noir fixe de ses opales jaunes l’attroupement d’humains qui l’observent, adressant un guttural miaulement à celui qu’il sait être sa main nourricière. Main nourricière qui fait demi-tour dans un mouvement, toujours boiteux pour le rejoindre.

“Paun ! Donne ce chapeau tout de suite !”

“Jouer” comprend le félin qui se tasse en remuant l’arrière train puis s’élance avec son butin à travers l’ouverture, laissant l’assemblée humaine coite.

“Par le Dévoreur de Monde, crétin de chat!” tonne Geraint pour qui le chapeau devient brusquement très important et qui s’élance bancale à sa poursuite, ouvrant la porte en grand fracas, contournant à grandes enjambées le bâtiment. Il se fraie un chemin à travers la foule puis remonte l’artère principale. Il s’excuse à n’en plus finir donne des épaules, très vite rejoint par Edern que cela amuse visiblement beaucoup et un peu plus tard Seren qui tient les clés du bar au creux de la main. Ils dérangent un Pantalone en pleine cour d’une très jeune Colombine, coupe la queue d’une marchande de gaufre, les yeux toujours rivés sur l’animal qui trotte et saute de rebord en muret, de rampes en pas de porte, les attendant à chaque coin de rue. Puis le chat se lasse, s’assoit sur un muret, pose le chapeau à côté de lui et commence négligemment un brin de toilette. Il fait peu de cas de l’humain furieux qui déboule à sa suite

Geraint attrape le coupable félin sous le haut des pattes avant pour le soulever

“Pour la soixantième quatorzième fois, Paun, tu es censé chasser les souris, pas les chaussettes et pas les cha …”

Un bruit sourd retenti au loin, celui d’une explosion, puis une autre plus proche . D’un coup, les éclairages s’éteignent les uns après les autres, en cascade, plongeant le quartier dans un noir étoilé, arrachant de nouveaux cris à la foule incrédule. Edern vient s’accrocher tremblant au pantalon de Geraint qui fixe avec un sourire satisfait l’œil enfin éteint d’une camera de surveillance

Ça commence

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