Chapitre 34 : Mission
Sial compte dans sa tête, tapotant le rythme avec son index sur la visière de son képi. Certes, Carnaval est l’occasion de se déguiser, mais, pour le bien de la mission, le voilà devenu milicien d’un jour. Il est à peu près sûr qu’il n’a pas le droit de porter cet uniforme, même en déguisement, surtout en déguisement, que ça doit être puni à minima par le peine de mort ce genre de truc. En plus, Heilyn a dit qu’il était un milicien spécial, enfin que l’uniforme était celui d’un “opérationnel”, que ça lui donnait accès au bâtiment dans lequel ils doivent s’infiltrer. Quinze… seize … Le patron a dit : “Compter jusqu’à soixante après l’explosion”. Il y a plus discret comme signal de départ d’un compte à rebours mais parait-il que l’explosion, c’est pour que ces foutus caméras de surveillance ne fonctionne plus pendant trente minutes. Après, y’a une histoire de générateur de secours, enfin, il a pas très bien compris. Il est pas resté à l’école suffisamment longtemps pour être électricien. Puis Heilyn a pas l’air d’avoir plus compris que lui alors qu’il est intelligent et qu’il a suivi le cursus jusqu’au bout, Heilyn. C’est Tesni qui l’a dit. Et pour qu’elle dise …. Trente-sept … Trente-huit… Heilyn est son partenaire du jour d’ailleurs. Ils ont l’air fin tous les deux, tapis dans une ruelle, située pile juste dans l’angle mort de la vidéosurveillance à attendre soixante seconde qu’un miracle opère. Sir ça marche … alors la mission commence, celle pour laquelle il a appris à lire … tout ça n’aura pas été vain … Cinquante-neuf … Soixante !
“C’est bon” chuchote Heilyn. “La voix est libre. On peut y aller”
Siarl jette par réflexe un coup d’œil de chaque côté avant de s’avancer. Le Patron a dit qu’il fallait rester naturel, faire comme s’il était un milicien, plus vrai que nature, issus de la quatrième caste, tout bien comme il faut. Ça lui hérisse le poil, mais bon, pas le choix, c’est pour la mission, pour la cause. C’est capital , il parait. Alors Siarl se lance, Heilyn dans son sillage. Ils traversent à grandes enjambées la petite place qui les séparent de l’entrée d’un immeuble de prime abord semblable à tous les autres immeubles de bureau du quartier si on excepte que son entrée est gardée par deux plantons zélés, chargés de contrôler les allers et venues. Enfin, ça, c’est en théorie. En pratique, un homme au cheveu poivre et sel les a réunis avec d’autres hommes en armes. Ce dernier interpelle Siarl
“Garçons ! L’Agora subit une attaque. Nous allons rejoindre nos camarades pour aider à sa défense. Gardez l’œil ouvert en notre absence” Heilyn s’est tendu comme par réflexe, Siarl a été plus long à la détente “Bien …”sa voix traîne, il plisse les yeux “Mon Capitaine. Nous allons aider à notre échelle.”
L’homme semble satisfait de la réponse et s’éloigner avec son escorte. Heilyn semble reprendre son souffle d’un coup dès qu’ils sont hors de portée
“Ton Patron avait raison, Siarl. Par les Astres, tu as une excellente mémoire.”
Siarl le gratifie d’un petit coup de talon contrarié contre sa botte avant d’entrer dans le bâtiment.
“C’est pas bien compliqué, c’est dessiné sur l’uniforme.
- Si tu savais le nombre de jeunes recrues de l’Académie qui se trompent et se prennent des blâmes …
- Ouais bah je suis pas une fouine de la milice, moi.” Répond Siarl dans un mélange d’orgueil et d’esbroufe, avant de fixer les pièces encombrées de part et d’autres du couloir “Y’a vraiment personne, c’est fou …
- Qui viendrait bosser un jour férié en même temps.
- Les gens qui ont besoin de manger et de se loger et qui sont payés au jour”.
Un silence s’installe, Heilyn se mord la lèvre et se racle la gorge mais Siarl semble faire peu de cas de sa maladresse, furetant jusqu’à lâcher une exclamation satisfaite face à ce qui semble être des escaliers de secours. Heilyn jette un regard sur sa montre, hoche la tête. Ils sont dans les temps.
Leur ascension débute dans un silence religieux. Ils sont censés être discret, même si leurs déguisement leurs donnent une raison d’être là et ainsi permettre d’endormir une quelconque méfiance en cas de rencontre. De toute façon, le bâtiment semble complètement vide et dépourvu de son système de surveillance grâce à la coupure de courant. D’ailleurs, rien ne dit que cette panne providentiellement déclenchée n’impactera pas leur objectif. Maintenant qu’ils se tiennent sur le seuil de l’étage désiré, cette hypothèse est balayée. Étrangement, le courant semble fonctionné dans cette partie du bâtiment. En tout cas, celui qui maintient la lourde porte blindée verrouillée par un petit panneau à code lumineux fonctionne à merveille, clignotant à intervalle régulier. Siarl le détaille circonspect, passe un paire de gant noirs qu’il sort de sa poche et palpe concentré le contour du boîtier. Avec une précaution infime, il retire le coffrage en mélamine pour rendre apparent les fils et les diodes. Heilyn reste à bonne distance, même s’il a lui aussi enfilé une paire de gants. Il craint par réflexe tout objet qui clignote, pense Siarl, peut être un peu trop fort parce que son compagnon finit par lâcher “Ça ne va pas exploser ?
- Ce n’est pas parce que cela clignote que forcément c’est un déto … dépo …
- Détonateur
- Voilà. T’en fais donc pas, va.” Reprend Siarl en tirant la langue, trifouillant les fils à l’aide de petits outils qu’il prend dans sa veste d’uniforme. Il appuie sur un endroit bien précis et la porte blindée s’ouvre dans un couinement étouffé, devant un Siarl triomphant qui prend quand même soin de remettre le boîtier en place
La pièce dans laquelle ils pénètrent est plongée dans la pénombre, éclairée par de faibles lueurs bleutées qui sortent du plafond. Ils sont entourés d’immenses armoires en métal noire qui soufflent de l’air chaud, contre balancée par différents ventilateurs au plafond et sur certains murs. Son attention se porte immédiatement sur les seuls objets dont il connaît le fonction. Un bureau qui trône proche de l’entrée. Une sorcière qui compte, reliée par d’énormes câbles aux différentes armoires. Une chaise sur laquelle Heilyn prend place avec appréhension. Il fixe l’écran, puis ses doigts s’agitent à toute vitesse sur le clavier, faisant défiler les divers fenêtres, se déplaçant de dossiers en dossiers avec une grande efficacité. Siarl de son côté pose ses fidèles lunettes loupe sur le bout de son nez . Il cherche sur la sorcière le fameux port qui pourra accueillir sa … clé. Dame, que le vocabulaire qui s’applique à cet engin est étrange parfois . Heilyn semble de son côté avoir fini son cheminement. Un petit tintement indique que la clé est branchée correctement et Heilyn s’empresse de glisser les dossiers un à un dessus. La machine annonce un temps total de dix minutes de temps de transfert. Chaque minute semble de durer des heures pendant lesquels ils ne peuvent qu’attendre en silence, guettant un bruit qui pourrait provenir de l’extérieur. La barre augmente lentement, Siarl n’ose plus bouger, de peur que cela allonge la durée infinie de l’action. Il y a bien une chose qu’il a apprise sur la machine du Patron. Qu’on pleure, qu’on grogne dessus, qu’on lui disent des mots doux, rien n’y fera. Elle est parfaitement insensibles aux suppliques. En même temps, c’est normal. C’est une machine, certes un peu plus compliquée que la tireuse à bière ou le moulin à café mais une machine quand même.
Un tintement libérateur se fait attendre. Ça y est. Ils ont fini. Heilyn sélectionne et active le fichier sur la clé qui s’appelle “à lancer avant de partir”. Brusquement l’écran se couvre de caractères qui s’affichent à une vitesse folle avant de disparaître. Siarl prend bien soin de retirer la clé et la range dans la poche de son uniforme avec ses lunettes loupe qu’il il ferme soigneusement le bouton doré. Heilyn souffle en effaçant leur trace avec grand soin, poussant le vice à remettre la chaise à l’exact même endroit que là où ils l’avaient trouvé à leur arrivée. Il y a quelque chose d’irréel dans la situation. Ils ont réussi. Geraint a dit qu’ils étaient le but ultime des agitations de l’extérieur. Ils ne comprennent pas bien ni l’un ni l’autre mais bon, s’il le dit. Après tout, celui qui a organisé tout cela, c’est lui. Ils sortent à reculons de la pièce, referment la porte blindée avec le même soin. Il s’apprête à reprendre l’escalier dans le sens inverse, profitant des dernières minutes de pénombres quand soudain celui s’éclaire dans un grésillement insupportable d’ampoule. Siarl, qui menait la descente, se fige. Heilyn agrippe à la rampe. Au rez de chaussé, des voix et des bruits de botte se font entendre.
“On monte !” chuchote Heilyn qui se retourne en un mouvement et commence l’ascension. Siarl hésite mais décide de le suivre. De toute façon, il n’a pas le choix. Sa main se serre un instant sur sa poche et son précieux chargement. Ils étaient si proche du but …
La montée reprend pour gagner le toit
“L’avaleur de monde me dévore” peste Heilyn “On est coincé.”
Reniflement pas convaincu de Siarl qui observe tout autour d’eux la forêt de toit qui s’étalent en rang serré devant eux. Alors c’est ici qu’ils vont finir ? Il ne doute pas un instant qu’ici aussi, l’endroit doit être truffé de caméra. Il jette un œil vers le vide. Ce sera soit ça, soit les balles des collègues d’Heilyn, soit la torture , soit …
Il sursaute. On le siffle sur un des toits à proximité
“Tesni ?!”
Tesni. Elle lui indique une échelle en bois qu’elle a posée entre les deux toits d’un geste, accompagné d’un autre bien moins poli pour les inviter à presser le pas. Siarl s’exécute sans poser de question, passant le premier à quatre patte de l’autre côté. Heilyn est plus hésitant mais le bruit des miliciens qui approchent fait taire tout appréhension.
“Comment tu …
- C’était une des éventualités auquel je devais parer. Par contre, on se magne les garçons, on doit passer encore quatre ou cinq toits pour pouvoir rejoindre le type de chez Cetus qui doit nous planquer. Et comme j’ai dégommé aléatoirement les caméras du coin quand elles se sont remises à marche, on va pas tarder à voir débarquer la suite du peloton… enfin quand les gars de Saggitari auront fini de les faire tourner en bourrique
- On est vraiment obligé de passer par les toits ?” demande Heilyn, dont les jambes tremblent à n’en plus finir. Tesni pouffe et déplace l’échelle pour passer sur un autre.
- Mais oui. Vous êtes les héros du jour. Vous avez arnaqué la Milice pour lui soutirer ce qu’elle a de plus précieux. Je suis sûre que tu peux affronter encore un peu d’escalade.
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