Chapitre 35 : Apaisement Nécessaire
Seren inspire longuement face à l’imposant porte du bureau. Siarl l’a appelée au beau milieu de la nuit, complètement paniqué. Pourtant, l’heure est à la fête. Ils ont réussi. Ils ont même fêté ça dignement tous les six autour d’un festin comme ils n’en n’avaient plus fait depuis des années. C’est dire si l’on peut considérer l’opération comme réussie. Doucement, elle toque. Pas de réponse. C’est silencieux. Trop silencieux. Elle insiste
“Geraint ? Tu es là ?”
Elle colle son oreille pour tenter d’y percevoir un signe de vie. Combien de bouteille manque-t-il en réserve d’après Siarl ? Cinq de vin ? Six ? Par on ne sait quel miracle, il n’a pas mis la mis sur les bouteilles d’alcool. Miracle ou plutôt diligence de Siarl qui les rage ailleurs et sous clé, s’est il senti obligé de préciser. Elle lui adresse un petit sourire rassurant, lui qui patiente non loin impuissant et qui la voit comme la sauveuse de circonstance. Il présume si mal
“Geraint ? Je rentre, d’accord ?”
Si Geraint n’a avalé d’une traite ne serait-ce que la moitié de son précieux butin, il est probablement, tout ex-alcoolique qu’il est, assez proche du coma. Ce qui signifie devoir faire appel à un médecin de chez Cetus pour plus de discrétion et en devoir une à Mira. Le vieil homme est certes courtois et prompt à aider mais elle ne veut pas retourner dans la spirale s’il y a trois ans, quand Geraint avait perdu Enfys et qu’il n’était que l’ombre d’une loque silencieuse roulée en boule, avec pour seule étincelle de vie dans les yeux un besoin irrépressible de vengeance, destructrice et faisant peu de cas de son entourage. Seren inspire encore. Elle a retiré la veste qu’elle a passé un peu plus tôt à la va-vite sur sa robe tailleurs bleue mal ajustée. Elle avait juste eu le temps de prévenir son majordome de son départ précipité et de son heure de retour incertaine. Voilà ce qui ajouterait encore un peu de poussière à sa comète, lui si intimement persuadée qu’elle vit mille et une aventures amoureuses, ce qu’il trouve probablement normal pour une dame de son extraction et dans sa situation. Peut être vaut il mieux qu’il n’en démorde pas pour la sécurité et le secret de la Cause
Seren tourne lentement la poignée et repousse d’un geste timide la porte. Elle déglutit, fait quelques pas. Son premier réflexe est de chercher les bouteilles pleines ou leurs cadavres laissés là après usage. Elle fait abstraction du bazar ambiant, si peu commun à cette pièce toujours rangée avec grand soin. Des dizaines de feuilles de taille A4 imprimées jonchent le sol. Si celles posées au coin à gauche proche de la cheminée semblent répondre à une organisation précise, il y a comme un point de rupture au centre de la pièce. Et un premier cadavre de bouteille. Seren se penche pour le pousser et lire le contenu de cette fameuse page.
“… Oh Geraint…”
Elle balaie la pièce du regard, encore. Le seul mouvement qui semble y avoir, c’est cet engin rattaché à la sorcière qui compte de Geraint sur son bureau, qui crache feuilles sur feuilles, toutes couvertes de caractères à l’encre noire dans un mouvement perpétuel et qui crée un pile désorganisée au pied du meuble. Soudain, un bruit attire son attention. Un chat, noir, plein de poil sort de derrière un fauteuil. Paun. Si Paun est là, prêt à grimper sur ce fauteuil en particulier, alors, cela veut dire qu’il y a une grande chance que …Seren avance à grand pas pour regarder derrière. Gagné. Sans un mot, elle s’accroupit à côté de lui, sagement veillé par le second chat. Il est avachi sur le parquet, une épaule appuyée contre le mur, recroquevillé en position fœtale. Son regard va dans le vague, le coin de ses yeux est légèrement rougit. Elle hésite, lève une main. La pose sur sa joue pour essuyer une larme.
“C’est ma faute.”
Sa voix est rauque, caverneuse même mais pas encore pâteuse. Elle voit enfin ce qu’elle recherchait. Les bouteilles restantes. Elles sont pleins, l’Ame étoilée soit louée.
“C’est ma faute” répète-t-il comme une boucle, encore , avant de compléter en semblant s’apercevoir de la présence de Seren “C’est par moi qu’ils ont repéré Enfys. Si je n’avais pas été à ses côtés …
- Ils l’auraient trouvé quand même, tu sais. Avec ou sans toi, ses engagements auraient été les mêmes, comme les tiens, comme les miens. Ça aurait été Anarchie aux yeux de la milice
- Mais son dossier dit …
- C’est un dossier, Geraint. Il compile et résumes des faits et ce n’est pas en t’enfilant des bouteilles de vin stellaire que cela changera quoi que ce soit. D’ailleurs, c’est du gâchis, cette cuvée est assez rare et plutôt demandées.”
Geraint grogne mais ne la repousse pas .
“Y’avait … une chance sur je sais pas trop combien que son dossier soit dans le lot de données récupérées par Siarl et Heilyn. Si ça se trouve, c’est un signe .”
Seren pouffe et dégage son front des petits cheveux qui le gène
“Je ne me souvenais pas que l’alcool te faisait devenir superstitieux
-Tu deviens méchante. Qu’est ce que tu fais là, au fait ?
- A ton avis ?”
Ça semble remuer dans l’esprit de Geraint qui regarde vitreux autour de lui ce désordre qui n’arrive même pas à lui faire sentir une once d’angoisse… et Siarl qui a entreprit de ranger.
“Siarl … pourquoi tu l’as appelée … et arrête de ranger. Y’a un ordre … un putain d’ordre…Mais je suis plus lequel … plus du tout
-Oui mais si la milice débarque, on est mal. Vous allez de toute façon pas continuer dans cet état , hein ?” répond Siarl en cherchant Seren du regard. Seren comprend, hoche la tête
“Oui, Geraint. Et si tu allais t’étendre pour te reposer ? Tu auras tout le temps de reprendre demain.”
Sa voix est doucereuse, elle place l’un de ses bras dans le dos du barbu pour l’aider à se redresser complètement Il n’est pas tellement en état d’opposer une quelconque résistance et se laisser emmené, suivi des chats dans la petite pièce adjacente au bureau qui lui sert de chambre. Seren l’installe comme elle peut, ouvre le col de sa chemise et lui retire ses chaussures. D’un geste maternel, elle le couvre d’un plaid en patchwork et chuchote
“Tu t’occupe de tous le monde mais toi, qui s’occupe de toi, hein ?”
Il ne répond pas. Son endormissement dans les vapeurs d’alcool a été presque instantanés. C’est rassurant, paradoxalement. S’il dort, il ne boit plus et ne souffre plus. Elle se relève; s’éloigne silencieusement. Elle referme la porte, de toute façon munie d’une chatière pour permettre aux seigneurs félins de vaquer entre la chambre et le bureau et retrouve un Siarl perplexe avec, dans les mains, ce qui semble être le dossier maudit
“Qu’y-a-t-il ?
- Alors, c’est peut être idiot … c’est sûrement idiot
- Raconte
-Ce dossier là. Il a entièrement été fait avec une sorcière qui compte. Ca se voit avec l’écriture et la présentation.
- Et alors ?
- Regarde le jour de clôture du dossier ?”
Seren s’approche un peu plus et plisse les yeux.
“- … C’est un 31 ?
- Ouais mais y’a que trente jours dans ce mois
- La personne qui a rempli clôturé le dossier se sera trompé, voilà tout
- Sauf que non , c’est pas possible du tout … Attend …”
Siarl pose les papier qu’il a en main et attrape une feuille vierge sur laquelle il griffonne ce qui semble être un calendrier
“On avait remarqué ça avec Heilyn quand on s’entraînait sur le sorcière qui compte. Quand tu veux écrire une date, y’a ce truc là qui s’affiche. Faut absolument choisir la date là dessus ou la taper mais si cette date n’existe pas , pouf, ça disparaît. Impossible de le garder en mémoire, ça s’efface tout de suite. Ça énervait beaucoup Heilyn quand il devait remplir des trucs d’ailleurs, à son précédent travail.”
Seren fronce les sourcils, fixant avec grand attention le schéma
“Tu penses que Geraint l’a vu ?
-J’crois pas. Y’a pas de tâche de vin sur cette feuille.
-Siarl
- Oui ?
- S’il te plait, pour l’instant, garde ça pour toi.
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