Chapitre 36 : Parfums

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Cerridwen patiente, desserre discrètement le corset de son costume. C’est Carnaval. Par chance, Antona est femme de parole et les costumes commandés pour elle et Alys ont été livré en temps et en heure sans qu’elle ait eu besoin de lui rappeler. Parait il que c’est comme ça, quand on est amies. Amies. Ça sonne à la fois agréable et étrange à ses oreilles. En tout cas, c’était heureux parce que cette donnée lui était complètement sortie de la tête et Cadi, d’habitude une aide mémoire très précieuses dans ces situation, n’était pas en poste depuis suffisamment longtemps pour avoir eu vent de cette commande impromptue. Antona semblait presque amusée hier lors de la remise de la précieuse commande, même, malgré la fatigue accumulée des dernières semaines. Cerridwen, devant le résultat, avait presque regretté de luis avoir laissé champs libre pour son costume à elle. Bien évidement, elle aurait été trop bête d’avoir laissé passer l’occasion de la taquiner comme elle aime le faire. Lui donner une ligne directrice ou au moins une liste des personnages à éviter lui aurait peut être permis de ne pas se retrouver dans la robe immaculée de Fiorinetta.

Cerri grogne un peu. Fiorinetta , c’est ce personnage de la Commedia, pure, préservée du vice par l’amour, une vrai poupée de porcelaine. Tout ce qu’elle honni en somme. C’est l’archétype parfait qui lui fait hérisser le poil dès qu’il apparaît dans une pièce de théâtre, qui ne sert à rien d’autre que tenir le rôle d’un joli bibelot en fond de scène ou à débiter des phrases niaises et convenues. Fiorinetta , c’est la jolie princesse à sauver , la récompense du héros. Comme si les héros existent. Qui est assez bête pour croire que, dans la vrai vie, quelqu’un vienne vous sauver en sortant de nulle part. Mère est comme comme ça. Sauf qu’actuellement, l’amant sauveur de Mère, c’est elle et si elle le pouvait, elle donnerait ce rôle à celui qui veut après des entretiens drastiques. Mère reste sa mère. Et Cerridwen est pour le temps d’une journée Fiorinetta. Il convient qu’elle endosse ce rôle alors, surtout si on la reconnaissait. Il est d’usage, pour les gens de la première caste, de se mêler lors de Carnaval à la foule nombreuse pour s’encanailler et se créer une illusion de compréhension. Pour en avoir parlé avec Cadi, même cette encanaille est illusion.

La jeune fille lui avait avoué que même les employés de maison, qui , pourtant, ont la plupart du temps cette journée de libre , le couvert chez leur employeur et pour certains, même, le tige, se trouvait tous presque sans exception un travail d’appoint, serveur dans un café bondé, faire la plonge, garder des enfants, vendre des friandises. C’était à qui avait la meilleure combine pour gagner beaucoup d’argent en peu de temps. Les déguisements permettaient de de cacher ce secret de polichinelle aux “Monsieur et Madames” et à leur sbire, comprendre les majordomes et les gouvernantes. Cadi s’était ensuite empressée d’ajouter que, bénéficiant maintenant d’un salaire confortable qui lui permettait même de prendre la deuxième classe du métro au lieu de la troisième, elle pourrait pleinement profiter de la fête , passant d’amies en camarades selon les horaires et les repos de chacune. Peut être même finirait elle par rejoindre sa grande sœur , elle n’était donc pas fille unique dans le bar bar où celle ci officiait. De plus, comble du luxe pour elle, Cadi avait pu s’offrir un joli costume de colombine, pas du sur mesure mais de la seconde main, et le maquillage pour parfaire le tout. Antona lui avait ajusté la robe contre une piécette symbolique. Loin de rassurer Cerridwen, ces explications avaient déclenché chez elle une panique toute maternelle, l’imaginant à la merci de mâle avinés et peu corrects. Cadi n’avait beau pas être sortie d’une gravure de mode, loin de là, avec ses tâches de rousseurs et son air malingre, l’alcool faisait faire à ces messieurs des choses inconsidérés que la morale réprouve. Cadi avait dû s’extirper d’une flot de recommandations et d’instructions diverses variées dont l’avait abreuvé sa maîtresse, en utilisant une technique certes répréhensible mais qui s’avérait toujours gagnante : elle l’avait comparé à Madame sa Mère. Cerridwen s’était tue, une moue renfrognée s’affichant sur son visage et avait consenti à libérer Cadi.

Cerridwen tape discrètement du talon, scrute la queue mal-ordonnée du glacier dans laquelle Alys s’est engouffrée il y a dix minute. Elle avait cédé à son son caprice, pas tant qu’elle aille se chercher un de ces cornets dont elle raffole, mais bien deux pour ne pas avoir à le manger seule. Sa grande sœur serait donc obligé de manger le second, faute de quoi, le coulis sucré de glace fondue lui coulerait sans vergogne sur les doigts, voir pire sur le costume. A croire que Cadi et Alys avait tenue conclave pour lui prendre du poids à son insu ou presque. Peut être qu’un jour, elles comprendraient l’une comme l’autre qu’elle était déjà bien trop grosse et que c’était une des raisons principales, comme Père aimait à lui rappeler, de sa condition de femme célibataire à vingt huit ans, tout à fait inconvenante. Ça et le fait que la gente masculine ait toujours été le cadet de ses soucis. Si Taliesin était encore parmi eux, peut être aurait-t-elle pu trouver dans son entourage, à défaut d’un homme à aimer, un partenaire de vie issu de sa classe avec qui nouer une alliance pour un futur un peu plus libre.

Alys s’extrait enfin de la foule, elle tient fermement en main deux petits cornets protégés de serviette à carreaux noir. Le Grand Dévoreur l’emporte, elle connaît ses rares péchés mignons. Il va falloir maintenant qu’elle résiste à la délicieuse odeur sucrée d’un sorbet poire.

“Allez” l’encourage sa petite sœur “cela fait tellement longtemps que nous n’avons rien partagé ensemble. Pour me faire plaisir .

- C’est à dire que nous avons été, toi et moi, occupée et que notre dernière sortie n’a pas été une franche réussite.”

Alys s’apprête à renchérir mais Cerridwen repousses l’idée d’un mouvement de main.

“Ne t’inquiète pas, c’est oublié. Enfin … je n’aurai pas dû réagir comme ça. Je t’ai écouté. Là où se trouve Mère actuellement … Disons que Père et ses colères ne peuvent plus l’atteindre pour l’instant. Elles sont nombreuses en ce moment, il fallait la préserver, j’ai agi. Tout ne se passe pas à son bon vouloir, c’est pour ça.

- Comment ça ?”

Alys la fixe, penche la tête. Ses grands yeux clairs la scrutent comme trouver une réponse, s’assurer que la personne devant elle est bien sa grande sœur et pas une illustre inconnue plus éclairée et plus … flexible. Cerridwen se mord la lèvre, elle en a trop dit. Elle n’aurait pas. C’est Alys, elle n’a pas l’habitude de se cacher devant Alys, c’est bien la seule d’ailleurs. Même Cadi et Antona n’ont pas le droit à tant de franchise la plupart du temps. Seulement, maintenant qu’elle navigue en eaux troubles, tout dire à sa petite sœur serait la mettre en danger et elle ne veut pas. Contrairement à Cadi qui lui a donné son accord de principe pour la suivre dans ses folies et Antona qui la pousse plus ou moins sciemment dans les bras de l’Anarchie la plus totale, Alys est pure, innocente et préservée des connaissances terrifiantes qu’elle a acquise ces derniers mois. C’est elle qui aurait du porter le costume de Fiorinetta

“Ne t’en fait pas” finit elle par lui répondre “Ça ne doit pas te détourner de tes études et de ton futur métier. Je veille. C’est mon rôle de Grande Sœur maintenant.” Cerri tente le sourire complice, Alys marmonne dans sa boule de glace au chocolat qu’elle n’a pas besoin d’être protégée . Le sourire de Cerri s’élargit franchement avant de disparaître. Ses yeux se ferment, elle hume l’air. Une odeur est venue s’ajouter à celle sucrée du sorbet poire qui commence déjà à fondre, libérant ses arômes. Un fumet acre et parfumée qu’elle reconnaîtrait en toute et qui fait enrager toutes les bibliothécaires de l’université Agorienne depuis des temps immémoriaux. La jeune femme esquisse un début de sourire, fait signe à sa sœur de la suivre. Elle fait quelque pas , ouvre les yeux , tapote l’épaule large d’une redingote en velours noir brodée d’argent

“Professeur Hillifrigel ?”

Le propriétaire du vêtement se fige, les deux autres avec qui il discutait en font tout autant.

“Cerri, tu connais ces gens ?” demande Alys à sa suite, dévisageant les trois compères .

“Mademoiselle Tyluanos “ lâche le professeur avec un soulagement presque trop visible . Il retire son loup et lui offre un large sourire “Que le Dévoreur m’emporte, vous m’avez fait peur. Comment m’avait vous reconnu ?

-Et bien …”

Cerridwen s’éclaircit la gorge, perte à répondre mais le professeur n’est pas genre à laisser un blanc dans une conversation.

- Permettez cependant. Garçons ! Si vous voulez que notre spectacle pour lequel nous avons tant donné ait un semblant de succès, je vous conseille de reprendre votre activité de tractage sur le champs. La représentation est pour cette après midi, dois-je vous le rappeler ?”

Cela fait dérider les deux hommes, un peu plus jeunes que Cerridwen, elle croit reconnaître le fils d’une famille amie avec lequel elle a parfois échangé des banalités lors des galas. C’est lui qui prend l’initiative et attrape le bras de son camarade pour l’entraîner plus loin, une pile de papier sous le bras.

“Je ne vous connaîtrais pas, Professeur, je croirait avoir déranger une conspiration “ reprend Cerridwen

“Rien de tel, j’en ai bien peur, Mademoiselle. C’est le spectacle test du club de théâtre de l’Université. La pièce a été approuvée en bonne et due forme par ces messieurs du comité de censure de l’Académie des Arts. Tout est en ordre. Vous ne m’avez pas présenté votre compagne.”

Il tend sa large main à Alys qui esquisse un mouvement de recul avant de la prendre

“Ma soeur cadette, Alys. Toujours pas une recrue pour vous, je le crains. Elle a été acceptée à l’Académie Agorienne de Médecine pour l’année prochaine . Alys, je te présente le professeur Hillifrigel. Il est professeur de lettre à l’Université. J’ai eu l’occasion de suivre ses cours et nous avons gardé à bon contact.

- Encore une scientifique ?! Vous n’auriez pas dans votre manche un frère , une soeur ou même un cousin qui pourrait s’intéresser aux Lettres ? Félicitation d’ailleurs, mademoiselle . Ce concours est éminemment compliqué et le réussir est signe d’une grande intelligence.”

Alys s’empourpre et se décale un peu plus pour se cacher dans le giron de sa grande sœur qui elle bombe le torse, fière comme une comète.

“Je m’emballe, je m’emballe. Que diriez vous de rejoindre mon épouse, afin que je vous la présente à mon tour ? Elle tracte un peu plus loin pour nous aider .”

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