La nuit porte conseil.
Nuit du 20 au 21 Novembre.
Perle ne dort pas. Depuis le début de l'affaire, elle a été sujette à plusieurs insomnies féroces , qui la laissent désemparée, les yeux écarquillés, le cerveau vrillant à dix mille tours minutes, inapte à la moindre tentative d'assoupissement. Elle se lève , rejoint son portable après un détour par la cuisine afin de "nourrir son sommeil".
Un quignon de pain dans la bouche, elle extirpe l'appareil de sa veille, ouvre la boîte email pro, qui s'est curieusement remplie depuis la fin de soirée, avise avec satisfaction le nom de son correspondant noctambule. De nombreux courriels indiquent la même origine. Elle comprend vite pourquoi. Chacun comportant un nombre conséquent de pièces jointes, l'expéditeur s'est vu contraint de fractionner ses envois.
Le commandant Deaumère clique sur les dossiers pour en extraire le contenu, puis tente d'ouvrir les fichiers. Peine perdue : mot de passe exigé. Clairement pas un verrouillage bien féroce, mais elle ne sait pas faire. Demain, les services informatiques lui règleront ça en deux coups de cuiller à pot.
Cependant, son œil est attiré par une miniature différente des autres : Un dossier n'est pas cadenassé. Elle l'ouvre avec précipitation, parcourt avidement le document. Un nom qu'elle a déjà vu passer revient avec insistance. Tiens tiens...
Prénom et matronyme dansent dans la tête de la brunette. Bien sûr que ça lui parle !! Où et quand a-t-elle eu l'occasion de les rencontrer ? Le nom est assez courant , c'est certain, comme tous les noms issus de couleurs...
Un sourire énigmatique décore les lèvres d'un Corindon assoupi, tandis qu'Eva, adossée à la tête de lit, l'examine dans la semi-obscurité. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans sa dernière démonstration de séduction ? Elle a eu beau le mettre en fusion avec un talent consommé, lui faire tirer la langue jusqu'au plancher, ça n'a pas facilité le siphonnage d'informations.
Plus exactement, elle hume une certaine incertitude, doute de la fiabilité des renseignements fournis par le docile poupon, investie par l'impression d'avancer sur un sol instable. Il n'oserait pas la mener en bateau, tout de même ?
Un autre personnage s'est confortablement lové dans les bras de Morphée. Zéro soubresaut, pas une vaguelette, rien, une mer d'huile. C'est Loryn. En quittant le lit conjugal, Perle a minutieusement évité que le moindre mouvement ne plisse la surface d'une inertie si pure. Depuis qu'elle a réamorcé, déstabilisée par l'hypothèse d'une déplaisante concurrence, la pompe à désir, la libido de son homme, trop longtemps bridée, s'est ravivée dans des proportions déraisonnables. Elle ne peut pas passer son temps à faire des roulés-boulés nocturnes. Accessoirement, elle mène une enquête, a l'esprit pollué par les multiples implications, gère ses fatigues et ses récupérations.
Un studio au rangement aléatoire, pour ne pas dire sans rangement du tout. Andrew ronfle avec application et assiduité dans un sommeil où les rêves n'ont pas le droit de cité. Son chapeau et son imper, accrochés à la diable au dossier d'une chaise, dégagent plus d'expressivité que lui. Et c'est tout le temps pareil. Une masse, un bloc. Neuf heures de minéralité sonore.
Alexis Laniste, sur le clic-clac de sa chambre d'étudiant minimaliste, se retourne, place son bras sous l'oreiller, abandonne aussitôt la position, s'appuie sur l'autre épaule, décide de se découvrir... enfin, en désespoir de cause, il cherche fiévreusement le bouton électrique, le pousse.
Depuis la mort de son père, qui coïncide avec sa virée inopportune et improductive à Paris, ses nuits sont dévastées. La perte d'un être cher esquinte déjà suffisamment. Si, en supplément, elle vient se coupler avec une suspicion de meurtre...
Il ressent une forte gratitude envers la jeune policière brune qui n'a pas jugé utile de le garder ni de le tarabuster. Est-il pour autant sorti d'affaire ? Non... Vraiment, qu'est-ce qui lui a pris d'aller se coltiner un rancard tellement indécis qu'il en était inexistant ? Le blond filasse estime que le manque de chance régit son parcours de vie. Des râteaux dans tous les sens, une mère idiote, une sœur vénale... et maintenant un père disparu... plus la police au train. Que du bonheur ! Il s'apitoiera sur lui-même jusqu'à l'aube.
Il est approximativement deux heures du matin. Un appartement coquet, à proximité immédiate de la butte Montmartre. Une forme indistincte tape, à destination d'Angel Laymge, un texte énigmatique.
Un halogène, allumé au minimum, fait baigner la scène dans une ambiance à la George de la Tour. Vu le contenu de la communication, moins "le tricheur à l'as de carreau" (1) que la "Madeleine à la veilleuse"(2).
Le message comporte un nom, une mini-liste d'objets, et plusieurs consignes.
(1) https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010066276
(2) https://tinyurl.com/46bmhfdr
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