Vertikal[4][0] { Mute departure }
— Un gobelin ?
<S4R> Les lames d'éther flottent autour de moi, encore menaçantes, mais le node a repris son expression neutre. De nouveau assis sur son trône, il a les yeux dans le vide, de la bave au coin des lèvres. Je retiens à grande peine de lâcher mes constructions éthériques, mais il peut encore être utile. Si il a vu Retori à travers le réseau, ou peu importe la manière, il doit pouvoir m’indiquer comment la rejoindre. Quand je lui pose la question, il ne répond pas tout de suite. Sa tête se balance lentement au-dessus de ses épaules, il ne semble pas m’avoir entendu. Je demande d’abord poliment, puis je menace. Au bout d’un moment, sa bouche s’active enfin.
— Tu veux voir ? Le gobelin ? Nous peux te montrer. Nous peux t’aider.
Il commence à se désindividualiser. Il n’en a plus pour longtemps. Je dois en profiter. Je me mords les lèvres, j'acquiesce. Sur son visage passe alors une expression étrange, ce n’est pas le sourire dément qu’il avait tout à l’heure, ce n’est pas non plus l’absence du moindre mouvement qu’il portait depuis le début. On aurait dit, du soulagement ?
Le node titube en se levant de son trône, le drap sale et marron qu’il gardait sur lui glisse au sol. Son corps maigre et blême est poinçonné à de multiples endroits par des câbles noirs qui crachent dans ses chairs une matière noire et visqueuse. Les os de ses côtes sont saillants sous sa peau parcheminée, ses yeux sont fixés sur les miens. Mes lames d’éther cessent de brûler et s’évaporent sans un bruit. Il est encore vivant, pour le moment.
Il plonge ses doigts au milieu de son torse. Creusant à coup d’ongle, le node a enfoncé ses phalanges à l'intérieur de son corps, du sang devenu noir gicle en abondance. Pourtant, il ne s'arrête pas. Je le regarde écarter lentement sa cage thoracique. En dessous, il n’y a plus d’organes, pas de cœur qui bat, pas de poumons qui soufflent et s'essoufflent. À la place, il y a un écran, noir brillant, encore dégoulinant de sang noir et visqueux. Le plastique organique s’étend progressivement sur la peau tendue, s’accroche à chaque centimètre carré encore rouge pour le remplacer par un noir gluant. Lentement, tout le corps du node se transforme, les contours se solidifient ce qui reste d’humain fond et perd sa forme. Enfin, un dernier soupir passe par les lèvres qui s’effondrent, l’écran s’allume.
<R3T> J’avoue, ça non plus je ne l’ai pas vu venir. Je tombe, encore. En dessous de moi, la rambarde rouillée et le sol qui se rapproche, au-dessus de moi, le monstre et ses pattes griffues plantées dans mes bras. Sa hache, je l’ai vu arriver à des kilomètres, le coup était plus rapide que prévu, mais gérable. Je lui ai mis mon genou dans la face, ça aurait dû le jeter par terre. Mais il a encaissé, il a lâché son arme et il m’est simplement rentré dedans. J’ai essayé de bloquer, mais le sable, c’est pas le top en terme d’accroche, j’ai pas tenu, la rambarde non plus. D’où la chute.
<S4R> Les deux corps roulent ensemble dans les airs, au dernier moment, Retori parvient à se débarrasser de son adversaire. Mais l’atterrissage est douloureux, elle se réceptionne épaule en avant et roule dans le sable. Elle se relève difficilement, une main sur l’épaule. En face, le gobelin est déjà debout, appuyé contre un pilier, il chancelle un moment avant de se remettre en garde, puis l’écran grésille et se couvre d’une mosaïque de morceaux de couleurs entremêlés.
— Hé ! Pourquoi ça a changé ? Montre-moi Retori !
Le node n’a presque plus rien d’humain, son visage a complètement fondu, de son corps ne reste qu’une forme vaguement humaine. Quand il parle, c’est via des haut-parleurs cachés quelque part entre deux os plastifiés.
— Oh, nous fais pas attention. Trop de choses à voir plus intéressant que ce qu’il se passe en bas. Plus. Plus. Plus. Plus.
La voix bloque sur le dernier mot. Qui finit par se changer en un bruit de vitre qui se brise. Sa conversion est maintenant achevée. Il s’est dilué dans l’étherne(l)t. Pourtant, sur son écran je peux la voir de nouveau. Perchée sur un tas de gravats, le visage de Retori est décoré d’un large sourire sadique. L’éther tournoie autour d’elle dans un chaos complexe, gagnant et perdant de la vitesse au grès des chocs et entrelacement des fils d’éther. Leur densité est telle qu’ils en deviennent palpables, ils parent leur porteuse d’une robe de tissu bleuté parsemée d’éclairs. D’un geste gracieux, elle lève une main, haut vers le ciel, alors qu’elle soulève un pan de sa robe d’éther de l’autre. Le silence se fait. Elle va commencer.
<R3T> La créature humanoïde se déplace lentement en cercle autour de moi. Malgré sa taille, ses pas sont silencieux, ses longs bras battent l’air à grands gestes. Il a dégainé une lame. Du bout de la langue, je goûte le sang qui coule sur mes lèvres. Ça a un goût de fer, âcre, je sens aussi mon épaule qui me fait mal, l’atterrissage a été plus dur que ce que je pensais. Lui aussi si j’en crois le grognement qu’il a fait. Mais ça va pas l'arrêter, ça ne va pas m'arrêter non plus. Pendant un instant, j’ai commencé à me poser des questions. Qu’est-ce que c’est ce truc ? Est-ce que c’est vraiment hostile ? Puis, un truc dans ma tête à recaler tout ça. Ouais, c’est un combat à mort, ça me fait vibrer de l’intérieur. J’ai un truc qui bouge dans l’estomac, c’est chaud, brûlant même, mais c’est agréable. Quand je sens le magma brûlant me râper les veines, y a plus de douleur, y a que ma rage, elle court-circuite tout. L’éther se jette dessus et lâche pas, mes muscles se gorgent de ce mélange et se tiennent prêts à exploser. Je me laisse guider par le courant d’éther. Ce frisson d’excitation qui me parcourt l’échine me rend folle, c’est tellement bon !
Je ne réfléchis plus, mon corps s’en charge. Je lui ai toujours fais confiance, il m’a jamais déçu. Mes bras s’entourent d’éther, s’élèvent et bougent tout seuls. On avait souvent eu cette conversation avec Sara : comment ça se fait qu’on savait faire ce qu’on fait ? Personne ne m’a jamais appris, ou alors j’ai oublié, comme tout le reste. Mon souffle est régulier, mes mouvements fluides. Je sens l’éther se jeter contre mes veines, se laisser guider et m’accompagner. Ça me vient comme ça, je ne pense jamais à mon coup suivant, j’ai pas besoin, je sais, c’est tout. À un moment, il faut bien arrêter de cogiter, et juste faire.
— Allez, mon gros, accorde-moi cette danse.
Mon pied frappe brutalement le sol, laissant derrière une fissure sur la dalle de pierre, je me jette en avant comme un boulet de canon sur la créature.
Annotations
Versions