Vertikal[4][4] { Mute departure }
<N1L> La machine vibre alors qu’elle parcourt les allées de la ville morte. J’ai peur. Retori, partie. Sara partit. Elles ne m’auraient pas laissée quand même ? Elles ont peut-être trouvé quelque chose de joli à regarder ? Non, il n’y a que moi qui fais ça. La jambe droite du Kabuto est raide, ses mouvements saccadés. Simplement abandonnée alors ? Toute seule ? Le pied d’acier se prend dans une voiture. La machine piétine, perd l’équilibre. « Et surtout, roule au sol quand tu tombes, comme je te l’ai montré l’autre jour. N’essaie pas de te rattraper avec les bras, tu risques de les endommager, wakaru ? » m’avait dit Hikari. Les bras du Kabuto s’enfoncent dans le sol de béton en grinçant, le choc me coupe le souffle. Les machineries grognent et grincent.
Il faut que je me reprenne. Elles doivent être en train de m’attendre quelque part, et se demandent où je suis. Et quand je les trouverai, Sara me dira que c’est pas bien, qu’il faut qu’on soit groupé, et Retori lui demandera de me laisser tranquille parce qu’explorer c’est bien. Et puis elles se disputeront un peu, et tout sera bien. Il faut juste que…
Une décharge d’éther. Je l’ai sentie très légèrement. Je déploie les deux antennes fixées de part et d’autre du crâne du Kabuto. Seconde décharge, cette fois la signature éthérique amplifiée par les capteurs me parvient clairement. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine, c’est Retori. Alors je relance l’armure au pas de course. Elle est aussi envieuse que moi, elle aussi veut retrouver Retori et Sara. Puis il y a une troisième décharge, plus violente que les précédentes.
— J’ai un mauvais pressentiment, me fait la moi pessimiste.
Il n’y a pas de raison.
— Tu veux dire qu’il n’y a aucune raison qu’il arrive quoique ce soit à deux jeunes filles, seules, perdues dans une cité abandonnée dont on ne sait quasiment rien ? Non, je pense que tu as raison.
Je sais.
— J’étais sarcastique.
Moi aussi.
Le béton se brise sous mes pas, j’accélère encore. Plus vite. Je sens les nerfs de commande se resserrer sur mon corps, ils en veulent plus. Alors je donne, j’attise l’éther au fond de moi, d’un souffle mêlé de peur et d’un peu de colère. Bientôt, l’éther se déverse dans mes veines, lave immatérielle qui incendie chaque parcelle de mon corps. Aussitôt, les nerfs de commande noirs et visqueux s’enfoncent dans ma peau pour mieux aspirer cette puissance dont ils sont si friands. Indifférents à la douleur qui s’étale dans tous mes membres, ils sucent jusqu’à l’étouffement. Alors, comme je le fais à chaque fois, je quitte mon propre corps blessé pour me réfugier dans celui puissant et d’acier de mon géant. Une gêne au genou droit me fait boiter, ma main métallique prend appui sur la façade d’un bâtiment laissant une empreinte. La douleur s’est atténuée, tant que je suis enfermée dans cet acier, je suis invulnérable.
<R3T> Sara fait une grimace de douleur, mais me dit de serrer plus fort. Je fais ce qu’elle me dit. Le bandage blanc rougit aussitôt au contact de la blessure. Entre deux grognements, elle me répète que ce n’est pas trop grave, que l’éther concentré à fait son taf, qu’avec un peu de repos elle ira mieux.
— Aie !
— Désolé.
— Ce n’est rien. Je vais… bien.
Elle fait le signe de la victoire avec sa main tremblante, des larmes coulent le long de ses joues et contournent le sourire forcé qu’elle s’est plaqué sur le visage. Elle est mal, elle a perdu trop de sang.
— Pour la suite, on va…
Ses yeux sont tournés vers moi, mais elle capte que dalle. Elle commence à osciller dangereusement de gauche à droite.
— Non, non, non. Reste avec moi !
À genou en face d’elle, je prends son visage entre mes mains, je la force à me regarder. Son corps tout entier frissonne. De la sueur coule le long de ses tempes.
— Écoute. Écoute-moi ! On doit rejoindre Nihl et le Kabuto. Puis on se casse maison vite fait. C’est pas loin. Dek ? Si on croise un gobelin, je veux que tu me laisses et que tu détales le plus vite possible.
Je reste un moment sans bouger, mon front contre le sien, elle est brûlante. Pourtant, je vois encore de la hargne au fond de ses yeux. Elle arrive à me ressortir ce ton qu’elle affectionne tout particulièrement, ce ton qui la rend si sûre d’elle, presque hautaine.
— Bien sûr que non. Si on croise un gobelin, tu te jettes par terre et tu me laisses faire. Juste. Laisse-moi, deux minutes. Le temps de souffler.
Autour de nous, le vent s’est levé. Humide. Puis la première goutte tombe. Tout là-haut, juste en dessous du plafond de la caverne, des nuages laissent timidement tomber quelques larmes. Elles s’écrasent au sol dans un doux fracas, souillant de leur fraîcheur les murs, martelant avec douceur les carcasses des voitures, la pluie tombe.
En dessous d’elle, Sara s’est levée. La main sur sa blessure, elle titube, se raccroche à moi, puis me repousse gentiment. Le visage tourné vers la généreuse pluie, elle se tient droite, les bras en croix. Ses cheveux, jusque-là assombris par le sable noir, reprennent progressivement leur couleur dorée. Elle les rabat derrière elle d’un geste lent, rajoutant au passage une traînée rouge dans sa chevelure emmêlée et désordonnée. Sur ses joues, la poussière noire s’estompe peu à peu, lavée par un mélange de larmes, de sang et de pluie.
Elle murmure dans un souffle :
— Je ne vais pas te laisser.
Elle est dans un état misérable. Je la trouve magnifique.
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