Vertikal[3][1] { Disharmonia }
<R3T> Une fois le huitième coup de cloche passé, tous les écrans se sont allumés d’un coup. Ils éclairent la grande place et crachent leurs sons dans les murs des bâtiments. Ces choses me dégoûtent, même dans leur état de mort-vivant ils ne peuvent pas se contenter de la fermer, ils ne valent pas mieux que les cercleux.
D’habitude, je les ignore, mais là, je ne suis pas trop d’humeur. Je vais m’en faire quelques un, ça me détendra. La barre en métal encore en main, je fais quelques moulinets avec et me dirige vers l’écran le plus proche. Fixé de travers sur la carrosserie d’une voiture à moitié enfoncée dans une crevasse, il diffuse un amas d’images superposées dans un bordel sans nom. Les deux jambes solidement plantées, je lève mon arme et l’abat. Le fer pénètre le corps presque mou jusqu’à son centre. Seuls ses contours sont durs, il a dû être installé récemment. D’habitude, ils sont plus dur que ça. Une gerbe de sang noir jaillit lorsque je retire la barre de l’étau en plastique. Et dire que c’était un être humain avant.
— S’il vous plaît ! Non, arrêtez. Vous allez nous casser, nous vous en prie, nous vous en prie !
Il parle. Presque à la première personne en plus ! L’etherne (l) t n’accepte pas de je. C’est malsain, ça peut avoir des idées différentes, alors il enlève le je de chaque individu, il en fait des dividus, beaucoup plus simple à maîtriser. La conversion commence dès que tu connectes au réseau, à partir de ce moment-là tu te solidifies, le réseau t’aspire, te formate et te recrache tout dilué dans son système. Ton corps ne devient plus qu’un bête panneau d’affichage, minuscule fenêtre sur un monde énorme en deux dimensions. Mais, ça peut prendre un certain temps, et apparemment, celui-là n’est pas encore totalement converti. Ce sera plus amusant que ce que je pensais. Sur son écran fissuré, les images continuent de défiler, l’air de rien. Pourtant, la voix qui sort de son haut-parleur est terrifiée.
— Mademoiselle, nous ne vous ai rien fait de mal. Nous ne veux qu’un monde pour tous, sans douleur. Dehors je suis prisonnier, alors qu’ici nous suis libre !
J’interromps son discours téléchargé à coup de barre de fer, son sang noir dégouline. Il continue de débiter les paroles imprimées dans son disque encore mou.
— Nous peut vous aider, ne nous casser pas.
Sa voix se fait de plus en plus hachée au fur et à mesure que je le réduis en miettes.
— S’il vous plaît. Nous ne veux pas mourir… Je ne veux pas mourir.
L’écran s’éteint. Il ne parle plus. De dégoût, je crache sur son cadavre de plastique, son sang forme une flaque noire avec des morceaux de son corps flottant au milieu. Du bout du pied, je pousse ses restes dans la crevasse, un bruit satisfaisant de masse qui frappe l’eau résonne à mes oreilles. Du carnage, il ne reste plus qu’une trace noire, et un millier d’écrans qui me jettent leurs lumières à la face.
<S4R> Les poumons en feu, je slalome entre les carcasses de voitures abandonnées, un faux pas me fait trébucher, je percute lourdement la porte rouillée de l’un des véhicules. À travers la buée que dépose mon souffle sur la vitre, il y a une femme, son cadavre, bien mort celui-ci. Elle enlace sa fille. Malgré la situation, je ne peux pas m’empêcher de me demander : cette mère avait-elle dit à son enfant que tout irait bien ? Qu’il se retrouverait là-haut, au-dessus de la voûte de pierre ? Je me redresse lentement et jette un regard derrière moi. Un vent tiède s’est levé, il lèche gentiment les parois des cercueils de fer, il bouscule doucement les dunes de poussière noire qui cascadent dans les énormes crevasses qui percent la route.
Sur les murs, les écrans se sont tous allumés, chacun rivalise en couleurs et en images. Sur l’un, ce sont les champs dorés d’un millier de flammes qui dansent tranquillement, poussés par une brise faite du sifflement d’un merle. Un autre a préféré le bleu d’une chemise tissé dans une multitude de cieux. D’autres encore comblent le silence de la voix des gens d’avants. Pour eux, le sens est un non-sens, ne compte que le son des syllabes qui s’entrechoquent, la tristesse des mots dits. Ensemble, ils jettent leurs lueurs sur la rue, ils s’efforcent de créer la vie qui a abandonné les pavés de cette cité. Mais toutes les lumières du monde ne pourraient illuminer la marée morte qui s’avance.
Au bout de l’avenue, une masse informe de cercleux marchent au pas. La mer en décomposition balance ses vagues décharnés sur les terrasses des magasins, les corps se bousculent et se piétinent, tous se hâte de remplir le rôle qu’ils se sont attribué depuis des années. Ils laissent sous leurs pas une traînée de choses rampantes et dégoulinantes de sang noir. Parmi eux, certains ont encore un visage, d’autres n’ont que des lambeaux de peaux et des bouts de muscles sur leur os, juste ce qu’il faut pour les faire bouger. Mais tous sont le reste d’une vie passée, condamné à une éternité de répétition. Ils sont le tombeau.
<R3T> Ce qui me frappent ce n’est pas l’odeur putride de leur chairs en décomposition. CA on s’y habitue, nan, le pire c’est l’éther noir et corrompu qui percute sévère. Il te rentre dans le corps, t’arrache ton mouvement, te stoppe dans tes pensée. Ensuite il y a le froid, les genoux qui lâchent, puis l’envie de rien faire. Juste être là, mais…
Une claque vigoureuse me sort brusquement de ma torpeur, pour être sûre, je m’en assène une nouvelle. Ça fait mal, mais c’est de la bonne douleur. Il faut que je fasse un pas, un seul. Après j’en ferais un autre, puis j’irais défoncer leurs gueules mortes. Mes genoux tremble encore, ma main aussi, c’est pitoyable.
L’écho ironique de mes propres paroles me revient.
— Nous sommes le mouvement…
Alors, bouge. Je serre les dents et je pousse sur mes jambes. Je me sens calme, prête à avancer sur le seul chemin qui me reste. C’est clair dans la caboche, j’ai qu’un truc à faire, un seul. Ma main se referme un peu plus sur le manche poisseux de la barre de fer. Mes pieds nus s’enfoncent dans le sable rendu humide par sang de l’écran.
Je prends une profonde inspiration, et la perds aussitôt quand le sol s’effondre sous moi. Sans prévenir. La crevasse s’élargit, elle avale, le sable, les cadavres et même la voiture d'à côté. Je bats bêtement des bras à la recherche d’une prise, je n’arrache que des poignée de sable. C’est là que je voit le dorée de la chevelure de Sara, nos regards se croisent. Pendant quelques instant, juste assez pour que je demande qu’est ce qu’elle fout là. Après, je tombe, pas très longtemps. Tout la haut j'aperçois l’éclat brillant d’un écran géant fixé tout en haut d’un bâtiment de l’autre côté de la place. Puis je suis violemment immergée dans une eau glacée.
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