Chapitre 1

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La lune brillait insolemment au-dessus de ma tête, et projettait à pied l'ombre difforme des arbres de la clairière. Un second hurlement, venant de la ville, résonna autour de la meute. Je sentais les pensées de mes frères s'agiter, et leur sang bouilloner. Les loups étaient nées pour se battre aux côté de leur alpha et de son second, pas pour rester au loin du combat. Mais Garrick avait donné l'ordre de rester dans les bois, et personne ne se risquerait à le contrarier. Au bout d'un moment, nous entendîmes enfin des bruits de pas, et le fumet familier de nos deux camarades nous parvint, accompagnée cependant d'une odeur inconnue. Je reniflai plus ardemment, et sursautai en reconnaissant le parfum d'un humain. Luke, un petit loup brun et rablé, se leva et grogna lourdement en voyant effectivement notre alpha et son second, James, arriver en trainant le corps ensanglanté d'un jeune homme. Pourtant, Garrick l'ignora, et dès que l'humain fut allongé au centre de la clairière, il se tourna lentement vers son second, et lâcha avec ses pensées :

" -James, tu as violé la Règle. Tu as perdu le contrôle de ta faim, tu as failli à ton devoir. Tu as mis la meute en dangers. Tu n'échappera pas à ta punition."

Le loup gris s'applatit au sol, la queue entre les pattes, et gémit misérablement.

"- Tu es banni de la meute. Si à la prochaine lune, nous te croisons sur notre territoire, nous te traiterons comme un intru, et nous n'aurons pas de pitié. "

Je sentais la peine de Garrick : James, avant d'être son second, était son ami. Pourtant, le mâle Alpha devait penser à la meute avant toute chose, et ses sentiments n'entraient pas en jeu. James méritait ce châtiment.

"- Va, mon frère, nous nous retrouveront après la Dernière Bataille, pensa Garrick plus doucement. Puisse Amarok suivre tes pas !"

Sans un bruit, James se retourna et disparut lentement dans les fourrées. L'Alpha revint près de nous, et se posa juste devant moi.

"- Tala, me dit-il, tu es la seule louve de la meute, mais je crois en ton courage et en ta loyauté. Tu seras mon second. "

Je baissai humblement la tête, tandis que le reste de la meute acclamait ma nomination en aboyant vers le ciel. Pourtant, bien que je leur sois supérieure en grade, je sentais que je n'avais pas interêt à essayer de les dominer : j'étais une louve, une femelle, et j'étais simplement à leur yeux un moyen d'affirmer l'autorité de l'Alpha.

Un mouvement attira mon attention : l'humain que Garrick avait ramené remuait. J'apercevais, sur ces bras et sur son torse, des marques de griffes énormes et des traces de morsures sanguilonantes. C'était évidemment l'oeuvre d'un loup-garou. J'imaginai James perdre tout contrôle de lui-même, et se jeter sur cet humain, et Garrick tenter de l'empêcher de commettre l'irréparable... Pourtant, même si le garçon était toujours vivant, j'ignorai si la vie qui s'étalait maintenant devant lui était préférable à la mort.

"-Qu'allons nous en faire ? interrogeai-je. Il ne se transformera pas véritablement avant la prochaine lune, et il est vraiment mal en point.

- On va le garder, commanda Garrick. On ne peut pas se permettre de laisser un jeune en liberté aussi près de la ville, il nous ferait repéré.

- Et comment on l'emmène jusqu'au camps ? Les humains risquent de tiquer si ils nous voient nous promener avec un des leurs dans cet état.

- Nous sommes des loups. Nous ne nous ferons pas remarquer."

Un silence accompagna ses paroles, puis Luke demanda :

"- Bon, on va y passer la nuit ? Je vous rappelle qu'on a une frontière à marquer.

- Tiens un peu ta langue, gronda Garrick. Nous partons immédiatement. Luke, puisque que tu as si envie que la mission se déroule correctement, je te charge de surveiller l'humain. Nous pourrons ainsi chasser en toute sérénité."

Je retins un jappement de rire face à la mine défaite du loup brun. D'un signe du museau, Garrick fit lever la vingtaine de loup qui composait la meute, qui s'élança vers la forêt sombre. Soudain surexcitée, je les rejoignit, et calai ma course sur celle de l'Alpha.

"- L'arrivée d'un nouveau membre dans la meute n'est pas quelque chose d'anodin, me lança-il. Je veux que tu lui apprenne les Règles, et que tu veille à son intégration.

- Pourquoi ? demandai-je. C'est normalement la tâche du chef de la meute.

- Tu reste à l'écart de la meute. Tu es une louve, c'est normal, mais si un jour tu prend ma relève, tu devras savoir que faire.

- Je ne suis pas à l'écart de la meute, répliquai-je. Je m'y fond autant que tu m'en laisse la possibilité.

- Tu pense que j'abuse de mes pouvoirs, en te demandant de ne pas prendre de compagnon ?

- Je pense que je devrai être aussi libre que mes frères, confiai-je, amère.

- Tu es intelligente : tu sais que si tu met au monde un enfant, toute la hiérarchie de la meute sera ébranlée. Cela pourrait tourner au bain de sang. Mais, dois-je comprendre que tu as eu la faiblesse de tomber amoureuse ?

- Ne m'insulte pas, ralai-je. Je te fais confiance pour prendre les bonnes décisions, et je ne mettrai pas la meute en danger. Simplement, ne me demande pas d'être plus proche de ceux qui n'attend que le moment où ils pourront me posséder.

- Très bien, alors, cette discussion est close. Après le marquage de la ligne sud, je te conseille de demander de l'aide à Luke pour ramener l'humain. Et vous devrez faire vite : la lune se couche bientôt."

Il accéléra la cadence, et bientôt j'aperçus l'arbre mort qui délimitait notre territoire de chasse. Comme nous en avions l'habitude, nous nous répartîmes le long de la frontière pour marquer notre odeur, et Robin et Oliver partirent de l'autre côté pour vérifier qu'aucune menace ne trainait dans les parages. Voyant la lune descendre dans le ciel, je me pressai de retourner à la clairière : je n'avais aucune envie de faire la route à pied.

J'arrivai environ une heure plus tard. Les bruits de la ville commençant à se réveiller montaient vers les bois, et Luke était nonchalement couché près de l'humain. Taquine, je lui bondis dessus, et il rugit avant de me balancer sur le côté. Je me remit sur mes pattes et le laissai reprendre son souffle.

"- On doit ramener l'humain au camps, l'informai-je. Faisons un maximum de chemin avant la transformation.

- Oui, bah grouillons nous !"

Nous attrapâmes chacun un bras avec nos crocs, en tentant d'être aussi délicats que possible. Puis nous entâmâmes la route vers le camps de gitans. Ce fut près de la route que la lune disparut complètement. Immédiatement, je sentis le désagréable picotement traverser mes membres alors que je reprenais une forme humaine. L'odeur du sang, alors si entêtante, s'estompa, et les milliers des bruits que je percevais disparurent. Je me sentais à nouveau engoncée dans mes vêtement, mais j'appréciai de distinguer d'autre couleurs que le bleu et le violet.

- C'est bon, on y retourne ? s'inquiéta Luke.

- Yep ! Let's go !

Toujours plongés dans l'ombre des bois, nous portâmes l'humain, en priant pour qu'aucune voiture ne nous remarque. Nous avancions désespérement lentement, mais enfin, alors que le soleil se levait tout à fait, nous arrivâmes au camps. Les gens du voyage, qui d'ailleurs ne voyageaient plus tellement, étaient les seuls humains qui connaissaient à peu près notre existence. Ils croyaient en nous comme en des dieux, et pensaient que nous étions des esprit de la nature qui les protégéaient. La malédiction était assez contraignante, et il était agréable d'avoir un chez-soi ou personne ne posait de question sur les nuits passées à l'extérieur ou sur les blessures à faire soigner au petit matin.

Rosia, une vieille chaman couverte de voiles colorés et de breloques sensées repousser les esprits, vint rapidement à notre rencontre.

- Mon dieu, s'écria-t-elle en voyant l'humain. Mais que c'est-il passé ?

- James ne s'était pas nourri depuis trop longtemps, expliquai-je. Lors de l'Appel, la faim l'a dominé et il est parti comme un fou vers la ville. Garrick est arrivé au moment où il mettait en pièce ce gars, et il l'a banni.

- Mais on se retrouve avec un novice sur les bras, conclut Luke.

- Que d'évènements... soupira Rosia. Si James a été banni, qui est maintenant le second ?

- Moi ! déclarai-je fièrement.

- Brave fille ! sourit la vieille. Bon, déposez moi votre blessé dans ma roulotte, je vais m'en occuper.

Nous obtempérâmes, et une fois notre tache terminée, je m'en allai jusqu'a ma roulotte. Je nettoyai calmement mes mains des dernières taches de sang qui restaients, et me sentit enfin détendue. L'Appel était passé, et j'étais libre, jusqu'au mois prochain en tous cas. Je me couchai avec délice dans mon lit, épuisée après cette énième nuit blanche, et sombrai dans d'étranges rêves bleutés.

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