Un tableau de la vie
Hélène, songe, c’est un beau prénom. Quel visage, quelles courbes peuvent-il le porter ? Je prends mes crayons, mes pinceaux. Il doit être minuit. Mon regard se pose sur Marion. Elle écrase sa jeune poitrine sur le lit. J’ai besoin d’une toile. Une, qui ait une âme. Marion me laisserai-t-elle cette fois, terminer une œuvre ? M’offrirai-t-elle un instant de répit ?
Je retire de son dos, la blouse parfumée, de toutes mes toiles. Je réfléchis encore un instant, puis trace un premier trait. Un second. Marion se réveille, mais ne réagit pas. Elle est absente. Sait-elle, sans le voir, que je la trahis ? Que sur son âme, je trace les traits d’une autre ? Oui, sans aucun doute. Elle est blessée, jalouse. Mais elle s’y soumet. C’est elle qui m’aime.
Je laisse mon pinceau, ma main, mon cœur valser sur ce corps. Je n’y vois rien. Peu importe, je n’ai pas besoin de mon regard. Tout est en moi. Tout. Je peins, comme un automate animé, machinalement avec amour. Ce que je me suis longtemps interdit. Un silence. Celui de Lily.
A mesure que les courbes se dessinent, que les couleurs prennent vie, sur celles de Marion, je me souviens. Une vieille gare de province, presqu’abandonnée, un terminus venant de Saint Lazare. Tout autour, des champs, des meules aussi. Une brise légère, un air de rêverie. Plus loin un pré où poussaient des lys. Et puis une enfant, de dos, comme Marion. C’est un tableau de la vie, impressionniste. Mais au final, il n’y a pas une courbe, pas un visage. Je ne comprends pas. Quelque chose m’échappe, je regarde de plus près l’œuvre. C’est bien un silence. Il ment, sonne faux. Est-ce vraiment celui de Lily ? De qui d’autre sinon. Le mien, celui de Marion ? Je laisse tomber mes outils.
- Tu as fini ? demande Marion m’extirpant de ma réflexion.
- Oui, Marion.
- Je peux regarder ?
- Comment le voudrais-tu ?
- Un miroir, une photographie ?
Elle est curieuse, intéressée. Ça me plait.
- Je n’en ai pas, lui répondis-je.
- Tu mens mal, Gabriel.
Elle n’est plus gênée de m’appeler par mon prénom. Par ailleurs, sa réponse est sans reproche, familière. Pourtant elle n’avait rien en commun, si ce n’est que moi, avec Claire.
- Un miroir c’est froid, la photographie aussi.
Elle sourit à cette curieuse réponse.
- Le cours a-t-il déjà commencé Monsieur ? me taquine-t-elle.
Je souris.
- Non, mademoiselle, pas encore. Tout comme cette nuit.
En réponse, elle sourit à son tour et vivement s’enfourche sur mon buste. Pleine d’insolence, de provocation dans son regard.
Les toiles d’un artiste, sont-elles toutes les mêmes ?
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