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Le même cirque que la veille recommença. Il n’y avait personne d’autre qu’eux. Macodou expliqua que la mer était plus chaude aujourd’hui et que les clients étaient tous là-bas. Il s’assit sur le transat voisin, les jambes écartées, alors que le t-shirt sombre et la couleur de sa peau ouvraient sur une pénombre que Gilles s’empêchait de fixer. Il contemplait alors le plaisant visage à s’en faire mal.

Macodou se taisait, regardant Gilles en souriant. Il attendait que ce dernier l’interroge. Les petites questions sur l’hôtel, le climat, épuisèrent vite l’imagination de Gilles qui n’avait qu’une seule interrogation.

— Je vois que tu as une question qui te brule la bouche.

Sa voix pointue n’était pas déplaisante, car sonnant comme celle d’un enfant.

— C’est quoi prendre soin d’un corps ? se lança Gilles, n’osant pas regarder le questionné.

— Tu ne comprends pas ou tu ne sais pas ?

Gilles rougit.

— Je couche avec un homme et il me paie.

Gilles ne voulait pas entendre cette réponse dite si naturellement, si crûment. Tout s’emmêlait dans sa tête : si c’était une fille, elle était une putain, simplement, une de ces femmes qu’il avait soigneusement évitées, car incarnation du démon qui veut dévorer l’homme et son sexe en les avalant. Mais si c’était un garçon ? Il y aurait aussi des hommes qui se vendent à d’autres ? Il ne l’avait jamais su. De toute façon, cela ne collait pas, car ces trainées étaient toujours moches, alors qu’il avait de la grâce devant les yeux.

— Ça te choque ?

L’absence de réponse criait ses questionnements et sa révulsion, son dégout envers ces malades, qui abusaient d’un tel ange.

— Tu sais, j’aime ça ! Je suis gay, comme vous dites. Mon plaisir est de coucher avec des hommes. Si en plus, je suis payé, c’est plutôt bien, non ?

Gilles encaissait. Cet être ambigu était un garçon, donc doté d’attributs masculins, mais en même temps, il était homosexuel, c’est-à-dire pas tout à fait un homme. Et il se vendait, comme les femmes. Cela ne rimait à rien. Il manquait des cases dans son esprit pour ranger ces informations, pour autant que cela soit intéressant. Macodou se mit à rire.

— Tu as l’air bouleversé. Pourtant, il n’y a rien d’extraordinaire !

Malgré sa beauté, il était homosexuel ! Cela expliquait son comportement. Il eut un frisson, car il se rendit compte alors qu’il avait été touché par un de ces pervers. C’est peut-être comme ça qu’on le devient… Deux pulsions l’habitaient, l’une lui disant de fuir ce déviant, l’autre de continuer à parler avec lui. Ses massages avaient été agréables, il ne paraissait pas agressif et Gilles se sentait bien en sa compagnie. Il y a seulement quelques jours, on lui aurait dit qu’il prendrait du plaisir à échanger avec un Noir, un homosexuel, un prostitué, il aurait fui en hurlant. Heureusement que personne n’aurait osé l’injurier ainsi ! Il se dit que sa jeunesse, sa beauté et sa gentillesse pardonnaient tout. Jamais il ne s’était senti autant en confiance avec quelqu’un. Alors le reste, il tentait de l’oublier. Macodou reprit :

— Je vois bien que je ne t’intéresse pas ! Pourtant, tu réagis à mes massages et à mes histoires…

Gilles savait que son slip de bain était tendu. L’entendre formulé renforçait cette tension inexplicable. Se cacher, mettre une serviette sur son ventre, cela aurait été avouer sa honte, sans doute vexer ce garçon et mettre fin à cet échange. Il ignora la remarque.

— Mais tu fais ça avec n’importe qui ? Cela ne doit pas toujours être facile !

Qu’est-ce qu’il racontait ? Il demandait à un prostitué comment il travaillait ! Il rougit de l’intimité de sa question. Macodou renchérit :

— Tu t’intéresses à mon travail et à moi ?

— Non ! Jamais je ne te…

— Je sais, je te taquinais ! Souvent, c’est facile, parce que ce sont des vieux qui ne vont pas loin, ricana-t-il. Et qui paient bien ! Parfois, il y a des hommes dangereux qui font du mal. Normalement, je les reconnais et je les évite. Pas toujours…

Gilles souffrit pour lui. Comment pouvait-on vouloir faire du mal à un aussi joli garçon qu’on avait plutôt envie de cajoler et de respecter ?

Macodou se leva, alla tourner autour de la piscine sans rien faire. Gilles le remercia intérieurement : il avait besoin de ce répit après cet échange si intense et si perturbant.

Le plagiste revint, s’assit dans la même position, offrant à nouveau le mystère de l’obscurité de cet entrejambe qui fascinait Gilles. Il se mit à raconter des anecdotes qu’il avait vécues, telle celle de l’enterrement d’une vie de garçon par des rugbymans. Ils étaient cinq colosses et avaient engagé le prostitué pour déniaiser le futur mari. Ils avaient fumé et, bientôt, ils étaient tous à se passer les uns sur les autres. Macodou conclut en riant que la mariée n’était pas prête d’avoir un bébé, car ils semblaient habitués à jouer ensemble. Il repartit pour laisser Gilles souffler et décrivit à son retour des sexes qui l’avaient étonné, des bourses énormes, longues, des pénis minuscules ou à moitié de femme. Gilles apprenait des choses, étonné qu’un homme si jeune ait une telle somme d’expériences, surtout dans ce domaine, contrairement à lui, qui n’avait jamais rien vu, ou presque. Le naturel des paroles avait activé la curiosité pour ce domaine heureusement refoulé. Gilles écoutait simplement, oubliant de s’offusquer.

Quand il était tendu, Macodou se levait, soulignant d’un petit survol le résultat de son histoire. Gilles ne savait quoi faire ou répondre. Il ne ressentait aucun désir pour ce jeune homme, protégé de plus par sa jeunesse.

Gilles ne se souvenait pas avoir jamais eu une conversation aussi détendue, facile. Surtout sur de tels sujets qui l’auraient jeté dans une confusion infernale. Il passait de la complicité, de la tolérance dans leur échange. Cela doublait son bien-être, indifférent maintenant à la couleur et à la défiance de son interlocuteur. Il éprouvait une sympathie bienveillante pour ce garçon et sentait la réciprocité. S’il avait eu un fils, il aurait aimé qu’il lui ressemble ! Un hoquet lui fit prendre part à l’horreur qui avait traversé son esprit. Avoir un fils pédé ! Quelle honte ! Il se reprit, chassant ces idées. Macodou revenait. Il se surprit à lui sourire en l’accueillant.

Il voulait tout savoir !

— Qu’est-ce qu’il pense de tes activités, le directeur

— Sa seule demande est que cela reste discret et invisible pour ceux qui ne veulent pas voir.

— Tu es bien payé ?

L’éclat de rire lui fit comprendre la stupidité de sa question.

— Rien du tout !

— Comment ? Tu fais ce travail de plagiste pour rien ? Mais c’est…

— Ce sont mes autres activités qui me rapportent !

— Oh ! Tu veux que je te paie pour tes… soins ?

Nouvel éclat de rire ! Heureusement qu’ils n’étaient que tous les deux !

— Non ! Cette semaine, je ne travaille pas… C’est cadeau !

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