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Le jeune plagiste disparu, laissant Gilles confus. Jamais il n’avait eu une conversation aussi intime, avec qui que ce soit. Au-delà, jamais il ne s’était vraiment intéressé à un être humain, peut-être aussi parce qu’aucun être humain ne lui avait jamais porté un intérêt. Pour ses parents, il avait toujours ressenti être un problème, une charge, au mieux. En plus, il avait découvert un monde inconnu, celui de la prostitution masculine. Son expérience en la matière était des plus réduites. Un jour, déjà trentenaire, il avait éprouvé la nécessité de se déniaiser. Il avait inventé une excuse pour sa mère, puis était parti explorer les rues autour de Saint-Lazare. Tout ça, parce qu’il avait entendu des collègues plaisanter sur ce « quartier chaud ». Il ignorait ce qu’il cherchait, quand une forte femme au short minimaliste et aux talons hauts l’interpella. Il se figea, alors que l’autre approchait avec des mots d’invitation sur un ton vulgaire. Elle était tout, sauf désirable. Hypnotisé, il l’avait suivi dans un hôtel miséreux. Le taulier lui avait demandé le prix de la chambre. Une fois l’escalier puant gravi, la porte poussée, la femme lui avait demandé son « petit cadeau ». Il avait aligné les billets, se demandant comment il allait justifier à sa mère la disparition de cette somme. La femme s’était déshabillée, éclaboussé le sexe sur un bidet, puis vautrée sur le lit cradingue. Il se sentit incapable de se dévêtir et de s’exhiber nu devant elle, d’autant qu’il savait qu’il ne parviendrait à rien. Il ne s’était pas préparé à une telle scène. Il avait dévalé les escaliers sous les injures moqueuses de la fille, repris par ses collègues. C’est en courant qu’il quitta la rue.

Gilles se souvenait de chacune de ces secondes, avec la honte intacte. Cet échec avait été une sorte de soulagement et de confirmation de son état de célibataire. Les femmes, c’était trop compliqué pour lui.

Il se demandait ce qu’était la prostitution pour les hommes, dans quel coin de Paris cela se passait, quand la silhouette réapparut. Son élégance ne lui avait pas échappé !

Après la remise en place de quelques objets, le plagiste vint s’asseoir sur la transat voisin. Gilles fut touché par cette attention, mais ils n’avaient pas grand-chose à échanger, d’autant qu’il ne se sentait pas de reprendre les questions sur cette « activité ». Ils restèrent silencieux, appréciant simplement cette proximité. Puis le noir se leva, fit un petit signe de main, un léger sourire et s’éclipsa. Le vieux blanc resta l’esprit vide, attendant le diner. En rejoignant sa table, déjà habituelle, il aperçut à une table le Belge de la gymnastique, sans doute accompagné, car quatre hommes et quatre femmes l’occupaient.

Le lendemain, il retrouva son Belge dans la salle de tortures, avec les deux femmes. Les saluts échangés suffirent à lui faire comprendre qu’ils ne parlaient pas la même langue. La professeure aimait les exercices nécessitant d’être à deux. Les femmes, qui paraissaient se connaitre, s’étant mises ensemble, il ne pouvait que s’associer à cet homme dans un trouble extrême. Il avait hérité de la phobie de sa mère pour les attouchements. Il avait horreur de la promiscuité, de ressentir la chaleur ou la pression d’un autre. Il évitait les heures de pointe dans le métro et, les jours de grève, il préférait marcher deux heures plutôt que subir cet entassement. Il ne serait jamais les mains, sauf bien sûr celles de ses supérieurs. Même les séances chez le coiffeur étaient une torture. Avoir à tenir ce corps ou à se faire tenir par ces mains d’hommes le révulsait, mais il était pris au piège. Pourtant, le Belge le faisait avec tact, et il dégageait une légère odeur de gel douche ou de parfum, agréable. L’apprenti gymnaste pouvait admirer les rondeurs musculeuses sous la lumière des blondeurs. Certains avaient de la chance d’être comme ils étaient. Ils se remercièrent d’une inclinaison de la tête, Gilles se demandant s’il allait revenir le lendemain.

Apparemment, le beau plagiste l’attendait, car il lui désigna son transat favori. Il se tenait debout et Gilles comparait la finesse de ses jambes avec le galbe de celles du Belge. Il rougit de sa préoccupation.

— Tu as passé une bonne nuit ?

— Oui, merci, Macodou ! Et toi ?

— Moi, j’ai travaillé cette nuit.

— Mais la piscine est fermée la nuit…

Macodou rit doucement.

— Tu as oublié ? J’ai d’autres occupations !

Il avait donc… le mot ne venait pas… toute la nuit ? Et il était là, à côté de lui, portant encore sans doute les restes de cette « occupation » dans les replis de son corps. Gilles était gêné, mais il ne voulait ni le vexer ni qu’il s’éloigne. Encore moins !

— C’était bien ?

La question avait fusé avant qu’il ne réfléchisse.

— Tu veux que je te raconte ?

Devait-il dire oui ou non ? Mais déjà, Macodou lui désignait un homme, de son âge.

— Et vous avez… Non, cela ne m’intéresse pas ! Tu as été payé ?

Comment ne pas rompre, mais comment fuir ce sujet ?

— Il m’a bien payé ! Tu t’intéresses beaucoup à ces questions !

— Pas du tout ! Disons que j’ai de la curiosité sur toi, pas pour ce que tu fais !

Exprimer un intérêt pour ce garçon lui parut déjà très osé.

— Tu es un homme gentil. Tu veux que je te masse ? La gymnastique t’a tendu, je le sens.

Les mains déjà le trituraient. Il avait sorti un produit à l’odeur très forte.

— C’est du karité. Un beurre qui vient d’un arbre et qui rend la peau toute douce. Tu vas redevenir un bébé !

Ses mains avaient un don, car aussitôt, il ressentit le bienfait. Innocemment, Macodou racontait sa nuit, ce qu’il avait fait, précisant comment. Heureusement sur le ventre, Gilles masquait sa confusion. Tout cela, il le savait. Il l’avait vu.

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