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Un frisson le prit. Il se dégagea. Le malaise revenait. Lui, il était dans les bras d’un homme nu, en train de jouer avec son sexe. C’était trop !
— Viens ! Ne te pose pas de questions. On ne se touche plus.
Pourquoi ce presque-encore-enfant savait si bien ce qu’il pensait ? C’est vrai, c’était un « professionnel » ! Gilles s’allongea, lui tournant le dos pour masquer son sexe.
Il se forçait à regretter. Il voulait jeter ce mec dehors… autant qu’il voulait recommencer ! Et si, après tout, il était vraiment homosexuel ? Si c’était le cas, n’avait-il pas raté sa vie, toute sa vie, avant cette rencontre improbable ? À condition de l’avoir accepté dès le début ! Il regrettait presque d’avoir nié cet attrait vers les garçons, d’avoir repoussé avec méchanceté cette avance lorsqu’il était louveteau. Il avait été dur, parce que le garçon était mignon, trop, pour ne pas le faire basculer dans les interdits redoutables. Plus tard, en internat, une deuxième chance s’était offerte quand il avait surpris deux camarades en position. Déjà ce mélange trouble de dégout et de jalousie. Comme il ne les avait pas dénoncés, ils lui avaient proposé de l’associer à leurs amusements. Pourquoi avoir refusé ? Il voulait juste les regarder. Il le leur demanda. Il fut traité de pervers et cette étiquette lui fut collée, alors qu’il en ignorait la signification. Était-ce pour s’en défaire, car elle se trouvait inscrite maintenant dans ses synapses, qu’il avait milité contre sa nature profonde, criant son dégout dans les manifestations, demandant l’exclusion de ces déviants qui menaçaient notre société et ses enfants ? Il se révolta. Sa nature profonde n’était certainement pas de coucher avec des hommes ! Il s’était laissé entrainer par ce vaurien, par cet être bizarre, dont on ne savait pas si c’était un garçon ou une fille. Un Noir ! Un sauvage ! Une bête !
Macodou sentit le tourbillon nocif qui emportait son compagnon.
— Gilles, tu sais, ça ne veut rien dire. Tu es un homme gentil et nous nous sommes rencontrés. J’ai aimé cet échange avec toi. Et toi ? Tu as aimé ?
Bien sûr qu’il avait aimé. Même la douleur ! L’obliger à le reconnaitre, à le dire, c’était le faire passer de l’autre côté. Il pouvait oublier cet incident. Ne pas répondre, c’était blesser ce garçon plein de tact et de gentillesse qui lui avait fait l’offrande de son corps.
— Avec toi, oui, j’ai aimé, murmura-t-il, l’esprit écorché par cet aveu.
Il avait besoin de le lui dire, comme de l’entendre. Cela ne changeait rien. Dans une semaine, il serait de retour chez lui. Personne ne saurait jamais rien. Cela ne se verrait pas. Alors, oui, il avait aimé. Il était épuisé, sans ardeur, mais avide de recommencer, pour, enfin, ne plus jamais y penser.
Les pensées revinrent tournoyer. Peut-être était-ce pour cela qu’aucune fille ne l’avait vraiment intéressé. De toute façon, il n’aurait jamais pu se vivre comme déviant. Cela aurait été ingérable. Jamais son père, sa mère ne l’auraient toléré. Peut-être son destin avait-il été d’attendre la révélation ? Il n’avait pas le droit de trahir ses parents. Il venait de le faire et il était vivant, encore plus vivant qu’avant !
La fatigue l’assommait, les questions le titillaient, la plénitude l’habitait.
Il fut surpris d’un effleurement de ses lèvres et d’un murmure :
— Ne te pose pas de questions. Vis !
Un sommeil bienheureux l’emporta.
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