12
— Oh, là, là ! Va vite manger et file à ton cours de gym !
Codou s’éclipsa instantanément. Gilles eut juste le temps de lui arracher son maillot de la veille pour y fourrer son nez.
Dès le premier mouvement, Gilles trébucha. Le Belge le rattrapa fermement, lui évitant sans doute une blessure. La force le surprit. Ce n’était pas Macodou qui l’aurait eu ! Il s’abandonna un instant dans cette protection, le temps de retrouver l’équilibre. L’autre avait souri poliment à ses remerciements.
En repartant vers la piscine, il s’interrogeait sur ce qu’il avait ressenti, cette force protectrice, cette virilité qui l’avait enveloppé. Était-ce la nuit passée qui avait si brutalement modifié ses perceptions ? Est-ce qu’avoir couché avec un homme l’avait transformé en homosexuel ? Cette odeur de sueur, cette force, ces poils rayonnants l’habitaient encore quand il aperçut Codou. Ce dernier ramassait au filet les derniers débris dans la piscine. Son élégance naturelle saisit à nouveau Gilles, le portant dans un élan affectif. Codou, c’était vraiment autre chose. Il se laissa tomber sur le matelas, la tête ravagée par ces contradictions. Il avait besoin de repos, d’oublier. Il ne voulait surtout ne rien décider, pour que tout redevienne comme avant. Ou alors, que tout bascule, une bonne fois !
Affalé sur son matelas, Gilles admirait le pas de danse de Codou, qui vint se placer à côté de lui. Une fois encore, les autres baigneurs étaient loin, occupés à autre chose. Codou ! La main de Gilles remonta le long de la cuisse de jeune, sous le t-shirt qui ne bougeait pas, acceptant ou attendant cette caresse. Arrivé en haut des cuisses, Gilles devinait le même modèle de micro-slip. Décidément, il s’habillait toujours de la même façon. Il passa son doigt dans la ceinture et fit glisser ce minuscule tissu jusqu’aux mollets de son ami. Macodou se laissait faire, le visage impavide. Il lui fit lever les pieds pour prélever cette trame. Savoir cette nudité libérée et cachée provoqua une forte réaction. Il ne contrôlait plus rien.
Bientôt, le grand maillot trahit également une raideur. Codou restait impassible, regardant sa plage avec professionnalisme. Sans un regard, il s’éloigna pour remettre en place un matelas, fit le tour de la piscine, le t-shirt trahissant son état, puis revint se mettre à côté de Gilles. Cette absence de réaction et de parole gênait Gilles. Il tenta de reprendre une exploration, mais Codou fit un pas de côté, en murmurant :
— Ce soir, je dois rentrer.
— …
— Hier, j’ai voulu rester… et j’ai eu raison !
— …
— Gilles, je dois te dire, ils dépendent de moi. Je dois leur donner de l’argent.
— Qui ça ?
— Ma mère et ma petite sœur, mon petit frère. Mon grand frère et sa femme, leur bébé…
— C’est toi qui les nourris tous ?
— Oui ! Chaque jour, je leur donne.
— Mais hier ?
— J’avais prévu ! Je voulais rester…
— Mais tu n’as pas de client en ce moment…
— J’en ai eu beaucoup la semaine dernière ! Cette semaine, je n’en ai trouvé qu’un.
Gilles lui fut reconnaissant de ne pas le traiter en client. Pourtant, il devait bien leur ressembler !
— Tu veux que je t’aide ?
— Tu es trop gentil. Je ne veux rien de toi. Déjà, tu fais attention à moi…
— Mais ce serait normal…
Il refit sa ronde et revint se positionner près de son ami qui ne put s’empêcher de poser sa main sur ce velours sombre.
— Les prochaines semaines, il y aura encore très peu de monde, car nous arrivons en fin de saison. Tu sais, ils font de bons prix pour avoir des clients…
Puis il se tut, perdu dans des pensées qui fronçaient son front.
Gilles était à trois jours de son départ. Codou venait implicitement de lui suggérer de rester. Il n’avait pas pensé au futur ! Auparavant, son emploi du temps, constant et invariable, était fixé sur les six prochains mois au minimum. Sa mise en retraite, imposée abruptement, ouvrait un grand vide. Ne plus avoir ces maigres relations sociales stéréotypées le confrontait à son absolue solitude. S’inscrire à un club du troisième âge le révulsait. Il n’avait rien à faire à Paris. Son bonheur, il se tenait à portée de main. Il fixa l’adorable visage, se retenant de le dévorer. Les yeux doux étaient adorables.
Codou se défit vivement pour faire mine d’arranger les transats. Gilles comprit en voyant une silhouette de l’hôtel venir vers eux, puis s’éloigner.
— Gilles, je dois te demande de faire attention. Tu sais, je ne suis pas payé pour ce travail, et je dois reverser une partie de ce que je gagne, car ici, on n’aime pas les gens comme nous.
Il fut choqué par ce pronom qui le classait dans la même catégorie que Codou, mais encore plus par ce racket, qu’il aurait appelé du proxénétisme. Il n’avait jamais envisagé les choses sous cet angle. Sans doute qu’il y avait également des pratiques similaires en France. Ce n’était donc pas le paradis pour cet ange souriant en permanence. Une grande tendresse l’envahit, voulant être désormais le protecteur de ce joyau. Ne jamais lui faire du mal, directement ou indirectement.
Il reprit ses réflexions. Son dossier de chômage était validé. Il n’avait aucune autre démarche à faire pour l’instant. Sa mère était dans une maison et ne le reconnaissait plus. Il n’y avait que le jardin, qu’il entretenait au cas où sa mère serait revenue. Il avait de l’argent devant lui, car il n’avait jamais eu aucune dépense. Rester une semaine ou deux encore était sans doute possible.
— Je vais voir si je peux rester…
Le sourire du jeune garçon le stimula.
— Divise le prix demandé par deux, au moins, lui murmura-t-il.
Le réceptionniste appela son chef, qui alla demander au directeur. Cela semblait compliqué, au vu des palabres engagés. On lui indiqua un prix ridicule. Il ne savait pas marchander. Gêné, il osa quand même le diviser par deux. Il y eut des cris incompréhensibles, mais il n’ouvrit plus la bouche. L’accord se fit. À sa surprise, le prix indiqué portait sur deux semaines, il n’avait pensé qu’à une. Encore deux semaines au paradis, avec un ange, un seul, celui qui comptait pour tous les autres. En retournant vers la piscine, il calcula qu’un séjour permanent lui couterait la moitié de sa retraite. Il avait même pensé à négocier pour conserver la même chambre, finalement la plus discrète. Que la vie était facile et délicieuse !
Annotations
Versions