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Ils descendirent et traversèrent un marché. Dans un désordre inextricable, tout s’entassait, tout pouvait se trouver, la plupart du temps étalé au sol. Des fruits, des légumes, dont certains lui étaient inconnus, des tissus, de la quincaillerie, des souvenirs pour touristes, on trouvait de tout, sous les frondaisons d’arbres immenses et de tissus tendus. Il admira un étal sur lequel, dans un imbroglio de fils, des dizaines de téléphones étaient en charge. Les viandes étaient couvertes de mouches, tout comme les tas de poissons séchés à l’odeur forte. Il se bloqua devant un étalage de plantes et d’animaux séchés, dont des rats, des serpents, des têtes de singe. Codou lui attrapa gentiment la main pour le remettre en route, en disant :

— C’est pour les grigris.

Gilles n’osa pas demander plus d’explications. C’était le premier mot de Codou depuis leur départ de l’hôtel. Il avançait devant, muet, comme se refusant à expliquer ce pays qu’il avait dit vouloir lui faire découvrir. Trop de choses assaillaient l’étranger qui, maintenant, avait envie de pénétrer ce pays.

Cette rude confrontation et la chaleur montante étourdissaient Gilles.

— Codou, il fait chaud. J’ai soif.

Ils s’arrêtèrent devant une carriole remplie de balles oblongues. Quelques mots, et le marchand taillada d’une machette aiguisée une de ces balles. Trois derniers coups pour dégager ensuite de la pointe l’opercule ainsi ouvert. Une paille lui permit de se désaltérer d’une eau de coco. Le billet donné lui fit honte. Il n’avait rien sur lui. La voiture, le breuvage, la nourriture pour midi qui approchait : il dépendait entièrement de Codou, sans pouvoir lui rendre la pareille.

Gilles était mal à l’aise. Il aurait voulu partager cette exploration avec son ange. En fait, ils avaient eu des rapports physiques très intenses, mais il ignorait tout de son partenaire. Cela le rendit triste, d’autant que le plus jeune semblait poursuivre un objectif obscur dans cette pérégrination. Il se sentit perdu. Une angoisse montait en lui. Il s’arrêta à nouveau. Codou fit trois pas en arrière, l’interrogeant du regard.

— Codou, qu’est-ce qui se passe ? Qui es-tu ? Que m’as-tu fait ? Je ne sais plus qui je suis, ce que je dois faire, formula-t-il en silence.

Dans les bruits, les mouvements du marché, il n’avait plus que ces yeux auxquels se raccrocher avant de sombrer. Codou lui prit la main. Aussitôt, une énergie lui revint. Ils bifurquèrent pour pénétrer quelques instants plus tard dans une église déserte et baignée d’un léger courant d’air.

— Attends-moi. Je reviens.

Gilles observa cette église qui ressemblait à celles qu’il connaissait, retrouvant les mêmes statues de saints. Leur visage blanc le choqua. Seuls des tam-tams soigneusement rangés témoignaient de l’exotisme. Puis il revint dans son présent, avec toutes les interrogations, derrière ce visage et ce corps dont il ne pouvait se détacher, pour lesquels il était prêt à tout abandonner. Qu’avait-il d’autre à vivre ?

Codou était revenu avec de la nourriture, une bouteille d’eau. Ils partagèrent cette maigre pitance dans un coin de ce lieu calme qui bourdonnait doucement de l’activité alentour. C’était la première fois qu’ils se côtoyaient dans un geste de la vie courante. Gilles en fut ému, car une image d’une vie perpétuelle avec son dieu l’effleura. Il avait besoin de ses yeux, de comprendre. Il remonta le beau visage d’un doigt. Il était vide. Puis il s’éclaira, le chauffant d’un possible avenir radieux.

— Je t’emmène voir ma famille…

C’était donc ça ! Le reste ne comptait pas. Il se souvint : sa mère, un petit frère et une petite sœur, un grand frère et sa femme. Aucune allusion à un père. Devait-il le questionner ? Il voulait tant se fondre avec lui, mais craignait le moindre geste, le moindre mot qui aurait pu l’écarter. Il voulait le présenter, lui, ou voulait-il lui présenter sa famille ? Quelle importance ? C’était le faire pénétrer dans son monde, son intimité. Il devait se montrer à la hauteur de cette confiance. Soudain, il eut un immense besoin de son affection. Codou devina. Il venait de rassembler les débris de leur maigre repas. Il pencha un peu plus la tête pour effleurer les lèvres du toubab. Ce dernier prit ce baiser dans ce lieu comme une promesse.

— Je te suis !

Ils sortirent du sanctuaire en se tenant la main et reprirent leur marche, ainsi liés. Sentir son amant au bout de son bras, le rythme de son avancement, déclencha une érection curieuse, une envie illimitée du jeune homme pour un don total, une fusion entière. Un mot s’éclaira dans son esprit. Ne l’ayant jamais utilisé, il en ignorait l’usage, la submersion des sentiments et la perte des repères qu’il entrainait. Il ne formulait pas ce mot, si rimé avec toujours dans les ritournelles, alors qu’il y succombait. Il voulait connaitre cet enfant qui l’avait démasqué si facilement, tout lui donner, tout en recevoir dans un débordement de bonheur.

L’activité des marchands baissait, ils remballaient ou refermaient leurs fatras. C’était la fin et chacun s’en retournait avec ses acquisitions. Codou avait acheté des tomates et des fruits inconnus. Ils avaient retrouvé une route goudronnée, surchargée et bruyante. Ils montèrent dans la voiture, posant leurs pieds sur ce que Gilles supposa être un filet empli de poulets vivants. Les sentir bouger et se plaindre sous ses pieds l’étonna. Cette fois, il s’emmêla immédiatement dans les autres corps, chauds et odorants. Il était dans la molle douceur d’une mama imposante qui le regardait, amusée.

Il dégoulinait en sortant.

— Tu habites loin de l’hôtel…

— Non, nous avons fait un détour pour que tu voies le marché. C’est le plus grand du coin, chaque samedi. La prochaine fois, nous irons voir les animaux.

Le village où ils étaient descendus ressemblait aux autres, cet entassement de masures branlantes autour de structures en dur. L’activité se concentrait autour des marchands qui activaient de petits fourneaux, fumant en dégageant des odeurs de viandes grillées. Les plus jeunes enfants avaient disparu, sans doute en train de se rassasier.

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