18
Codou reparut dans sa tenue habituelle. Gilles leva ses yeux sur ceux de la mère. Il perçut sa bénédiction.
En sortant, Gilles lui prit la main, sevré de son contact depuis trop longtemps. Codou murmura en la repoussant :
— Ici, je ne veux pas trop.
Tout le monde l’appelait Macodou. Il embrassait beaucoup. Chaque fois, il présentait Gilles comme « un ami ». Il lui murmura :
— Tu vois, ici, ils ne disent rien. Ce sont des chrétiens.
— Tu n’es pas chrétien ?
Gilles n’avait pas envisagé cette question. Il n’aimait pas les musulmans, les Arabes, tous des fourbes. Si Codou, en plus, était musulman…
— Moi, je ne suis plus rien. J’ai été circoncis, c’est tout. Ma famille est catholique. Avant, nous étions dans un quartier musulman. C’était très dur, car ils ne supportent pas les gens comme nous.
Décidément, il s’entêtait à le considérer comme lui. Il n’était pas plus homosexuel que noir ou musulman. Juste, une immense affection pour ce garçon. Ce qu’ils avaient fait ensemble, cela n’avait rien à voir.
— Ta mère m’a dit que vous aviez dû partir…
Il sentit Codou se raidir, se fermer en accélérant le pas.
— Codou !
— Dans la rue, c’est Macodou ! Tu veux nous faire tuer ?
La brutalité le surprit.
— Macodou… arrête ! Je ne comprends rien !
— Tu n’es pas dans ton pays. Chez vous, les gens comme nous sont respectés. Ici, ils sont tués, ils sont violés…
Sa voix était basse, mais emplie de colère, de peur, de désespoir. Le seul geste possible était de le prendre dans les bras, de le consoler en le laissant expulser toutes ces horreurs. Gilles se retint. Il lui attrapa la main, la tira pour l’obliger à le regarder.
— Codou, Macodou, je suis là. Je suis là pour toi.
Macodou haussa les épaules. Puis enfin, lui fit un petit sourire.
— Excuse-moi ! Viens, on continue de visiter.
Ils se promenèrent ainsi dans la lumière du soir, tamisée par la poussière omniprésente. Gilles aimait cette ambiance apaisée où les échanges se terminaient dans les rires. Il pensa à Paris, à sa petite banlieue, au froid, à la gueule triste et revêche des gens. L’idée de vivre ici en permanence lui apparut brusquement, comme une évidence. Il connaissait si peu de ce pays, mais il le sentait tellement. Il tourna la tête vers sa beauté. Le choix s’imposa. Rien ne le rattachait à la grisaille. La chaleur et la joie étaient ici ! Il accepta cet avenir si bouleversant, qui mettrait fin à son passé. Il se demanda immédiatement si cet avenir était avec Codou. Peu importait ! Au début, certainement, enfin, il l’espérait. Ensuite… il savait que cela ne durerait pas, mais il ne savait pas quand la fin arriverait. Tout ce qu’il y aurait avant, ce ne pouvait être que du bonheur. Son cœur battait plus chaudement. Rien n’était fini, comme il le croyait en arrivant, tout commençait ! À cause d’un garçon-fille qui avait brisé ses chaines !
Après avoir traversé le village, ils débouchèrent sur la plage, avec l’océan immense sur lequel le soleil venait se poser. Ce n’était plus la même image, la même impression qu’il y avait quelques jours. Une grande sérénité régnait, dans le silence du couchant. Le soleil, comme sa vie passée, allait disparaitre. Demain serait un autre jour.
Après quelques instants, Codou étendit le bras vers le sud.
— Tu vois, là-bas, après la pointe, c’est l’hôtel. Cinq kilomètres par la plage. Mais c’est plus loin par la route.
La plage était déserte. Une folle envie saisit Gilles qui attira Codou par la main.
— Non, Gilles ! Il y a toujours quelqu’un pour voir. Si ça se sait, je devrais partir…
Ils descendirent la plage. Gilles admirait les pirogues décorées qui dormaient sur le sable. Une odeur forte surgit. Sur une multitude de séchoirs, des tonnes de poissons séchaient, couverts de quelques mouches. Le fumet était insupportable. Les dernières travailleuses s’éloignaient, un énorme paquet sur la tête.
— Tu vois, ici, c’est le travail des femmes. Elles grattent, elles coupent, elles transportent. C’est trop dur. Ce sont toujours les femmes qui travaillent, alors que les hommes palabrent. Je suis content d’être un homme. Pour tout !
Gilles acquiesça en silence. Que c’était compliqué pour lui, pour les gens d’ici ! Comment se sentir libre dans ce pays ? Il repensa aux manifestations auxquelles il avait participé. Ce n’était pas la même chose. La pression sur sa main effaça ses questions. Encore une fois, ce diable était dans son esprit. Ils revinrent en faisant un détour dans la chaleur qui ne se dissipait pas encore.
Ils prirent place avec les autres. Une assiette spéciale lui était réservée, sans piment. En mangeant, ils parlaient fort. Gilles se laissait aller, heureux de ce repas familial. Profitant d’un silence, il lança :
— Tu ne m’as pas présenté ta sœur et ton frère…
— Ah, oui ! Voilà Khadija. Elle est au collège à la ville, là-bas, chez les prêtres. Elle travaille bien. Elle veut être religieuse.
— C’est Macodou qui paie ses études, et tout…
— Lui, le petit malin, c’est Samsidine ! Il vient d’entrer au collège, chez les frères également.
— Mais l’année prochaine, il travaillera, car deux études, on ne peut pas payer.
Dans la faible lueur, Gilles vit les yeux intelligents du gamin. Sa décision fut prise immédiatement.
— Il n’y a que les prêtres qui tiennent les écoles ?
— Non, il y a aussi l’école publique. Mais chez les prêtres, c’est mieux, même s’il faut payer.
— Il faut être catholique pour y aller ?
— Ici, en majorité, il y a des catholiques. Mais les musulmans y vont aussi. La religion, ce n’est pas important.
Avec l’arrivée brusque de la nuit, les chants d’animaux montèrent, accompagnant cette soirée magique. Chaque soir, cela avait étonné Gilles, habitué aux longs crépuscules. Ici, le soleil disparaissait et c’était la nuit noire. Il se demanda si le phénomène inverse se produisait le matin.
Il imita leurs ablutions, avant de rejoindre Codou sur un des bat-flancs. La couche était très dure, mais il sentit la chaleur de son amoureux contre lui. Il venait d’employer ce mot… il n’osait pas le toucher, quand Codou vint déposer un discret baiser sur ses lèvres. Il lui prit la main et s’endormit instantanément.
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