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Macodou avait besoin de finir son histoire, de livrer son âme ruinée. Il avait tout retenu, la coupe, même une fois brisée, débordait encore.

Un cousin avait proposé qu’il vienne travailler à l’hôtel, pour nettoyer. Le grand frère, Djiby, le chef de famille, avait accepté. De toute façon, il fallait de l’argent, car lui ne travaillait pas. Comme il était habile et mignon, il a été embauché pour le service. Un jour, un monsieur lui a proposé de dormir avec lui. Macodou découvrit que les plaisirs entre hommes pouvait se donner sans violence. Le matin, il reçut en cadeau deux fois son salaire du mois ! Alors, quand un autre lui proposa, il accepta avec joie. Ces hommes avaient l’air contents d’être avec lui et de partager ces actes. Cela dura toute la saison. Il montra à sa mère l’argent qu’il avait gagné en disant que c’était des cadeaux parce qu’il était beau. Son cousin découvrit cette activité. Il menaça de le dire à Djiby si Codou ne lui donnait pas une partie de ce qu’il gagnait. La saison suivante, le cousin le fit entrer comme plagiste. Il lui prenait la moitié de son salaire et de ses cadeaux. Son cousin éloignait les autres gori-jeens, car il en passait souvent, et c’est lui qui négociait avec l’hôtel.

Codou avait raconté sa vie d’une voix terne, les yeux fixés sur le lointain. Gilles comprit que la pleine conscience de ce qu’il était et de ce qu’il faisait lui était insupportable. Il s’était construit un personnage gentil, celui que Gilles adorait, pour contenir le monstre qui le dévorait.

— Regarde, dit-il en tournant les yeux vers son ami, je fais vivre ma famille, toute ma famille, même Djiby, qui est pourtant le chef. Grâce à moi, ils ne meurent pas de faim, ils se soignent quand ils sont malades et ils font des études.

Il reprit :

— Et puis, tu sais, j’aime ce que je fais. J’aime donner et prendre du plaisir avec les hommes, alors tout ça, c’est normal.

Il criait pour se justifier, n’arrivant plus à y croire.

— Pourquoi tu me demandes tout ça ? Cela ne te concerne pas. Ce ne sont pas tes affaires !

Gilles entoura ses épaules de son bras sans répondre. Il devinait que jamais Codou n’avait parlé de lui ainsi, peut-être qu’il ne s’était même jamais regardé dans sa réalité. Ces questions posées par mansuétude l’avaient peut-être blessé. Gilles était abattu, se sentant responsable de la détresse de son ami, coupable d’avoir eu le bonheur de le rencontrer.

— Viens, il faut que je fasse mon travail.

Le jeune se leva d’un saut et reprit sa marche, sans se préoccuper de son compagnon.

— Codou, tu m’as emmené hier, tu as payé les voitures…

— Je t’ai invité…

— Et cette semaine, tu as payé ton cousin…

Codou avançait sans répondre. Gilles l’attrapa par la main, l’obligeant à stopper et à se retourner. Leurs deux désarrois se faisaient face.

— Il faut que j’aille travailler…

Il se débâtit pour faire lâcher sa main.

— Codou, j’ai tellement mal pour toi. Je ne veux pas t’aider, encore moins te payer. Codou… ton histoire est mon histoire maintenant. Je dois faire quelque chose…

— Tu es trop gentil ! Je ne veux rien de toi. Si, je veux que tu t’en ailles !

— Mais pourquoi ?

— Ce n’est pas ton problème. J’ai deviné ton désir de vivre ici en permanence. C’est un sale pays. C’est pauvre, personne n’arrive à rien. Sauve-toi vite.

— Pourquoi m’as-tu amené à la vie et aux plaisirs, alors ?

— C’est une erreur. Je suis désolé. Tu ne dois pas t’attacher à moi.

— Raconte-moi…

Codou se tut. Puis, d’une voix plus calme, il commença :

— Quand je t’ai réveillé parce que tu étais en train de bruler au soleil, j’ai vu de trop belles choses dans tes yeux.

— Ton reflet…

— Tous les toubabs me regardent avec leur envie, celle de tirer un coup. Je sais que je dois le faire, mais c’est tellement humiliant de servir d’objet sexuel… alors que je voudrais ne le faire que pour le plaisir. Toi, je n’ai lu que de l’admiration…

— C’est vrai…

— Tu ne voulais rien…

— Sauf pouvoir te regarder…

— Et puis j’ai vu de la bienveillance…

— Ce n’est pas vrai : je ne suis gentil avec personne, je hais les jeunes. Je hais les Noirs, les Arabes, les… déviants. Je suis égoïste.

— J’ai vu dans tes yeux que tu n’avais jamais voulu le bonheur.

— Pour quoi faire ? Et puis, je suis vieux, je suis moche…

— Ce que je ne savais pas, c’est si tu aimais les filles ou les garçons.

— Mais je ne savais pas si tu étais une fille ou un garçon. C’est toi que je voulais.

— Oui, ça, je le voyais. Je savais que tu n’acceptais pas ce que tu voulais.

— Mais comment perces-tu l’âme humaine ainsi ?

— Parce que j’ai rencontré tous les hommes… et qu’ils m’ont tous souillé…

— Moi aussi, je t’ai…

— Non. Je me suis offert à toi. Tu ne connaissais rien. Tu as accepté des choses que tu rejetais. Et dès que tu as découvert, tu as voulu me rendre.

Gilles se tut. Il n’avait rien vu, rien compris. Il s’était laissé porter par son instinct, ses pulsions, comme un collégien. Codou, le plus jeune, était l’adulte mûri par la vie. Au physique radieux, il fallait associer intelligence et grand sens psychologique. Gilles n’avait qu’une envie : le serrer dans ses bras, l’aimer, l’aimer…

— Gilles, je t’ai fait rester. Ce n’est pas bien. Tu dois retourner dans ton pays. Je sais que tu as décidé de rester ici, pour toujours. Ce n’est pas ton pays. Tu vas être malheureux. Tu vas te faire voler.

— Non, parce que tu vas m’aider et je vais t’aider.

— Moi aussi, je vais vouloir te voler…

— Pas la peine, je te donne tout !

— Gilles, je vais te faire du mal. Va-t’en, s’il te plait…

— Codou…

Chacun dans sa misère, ils se turent, sentant qu’un fossé les séparait, qui ne manquerait pas de s’agrandir. Leurs destins s’étaient croisés, les mêlant à jamais. Ils savaient qu’ils étaient maintenant liés, pour le meilleur et peut-être le pire. Un même élan leur fit se regarder. Ils se jetèrent dans les bras de l’autre, ne pouvant empêcher leurs bouches de se rencontrer, comme pour une dernière fois. La plage était déserte, ils pouvaient jouir de cet instant.

Ils se détachèrent et reprirent leur marche dans le silence, brulés par ces paroles.

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