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Gilles examinait tous les hommes, essayant de deviner s’ils étaient des clients potentiels de son protégé, cherchant des caractéristiques d’ouverture aux pratiques entre hommes. La plupart étaient vieux, affichant une arrogance déplaisante. Impossible de savoir. Parmi les plus jeunes, certains paraissaient agréables. Tout ceci était décevant. Il se demanda avec lesquels il pourrait avoir du plaisir, avant de se rendre compte que c’était une question d’homosexuel qu’il se posait. L’image du Belge revint. C’était un bel homme, viril. Il aurait aimé s’offrir à lui, sachant que c’était un rêve. S’il avait connu sa nature plus jeune… il se corrigea : s’il avait accepté son orientation plus jeune, il aurait pu avoir de telles aventures. Avoir trouvé Codou était une bénédiction.
C’était dur de s’admettre homosexuel, mais finalement, qu’est-ce que ça changeait ? Personne ne se souciait de lui, ici ou en France, encore moins de ses tendances et de son activité sexuelle. Même avec ce préambule, aucun individu mâle ne le tentait. Il avait survolé les femmes, toutes définitivement repoussées. En revanche, il ne restait pas insensible au ballet des serveurs, tous en short. Ces longues jambes noires l’enchantaient. Peut-être n’aimait-il que les Noirs ? Cette réflexion fut confirmée par un début de réaction. Une autre raison, bien agréable, pour venir s’installer ici.
À ce moment, un couple pénétra dans l’enceinte de la piscine. Le premier, élancé, blond et blanc, une petite barbe, renforça sa réaction. Le second, tirant plus sur le roux, plus enveloppé et doux de formes, avaient un vrai charme. Il les regarda s’installer et s’enduire mutuellement de crème. Leurs gestes prouvaient leur couple et leurs sentiments. Pour la première fois, il voyait un couple gay. Leur naturel finit par achever ces préjugés. Ils paraissaient autrement amoureux que les autres couples hétéros. Une envie de ce bonheur l’habita.
Il profita du repas pour tenter de faire connaissance avec ces deux hommes. Un autre couple se joignit à cette table uniquement masculine. Gilles ne pouvait établir leur relation, apparaissant plus distante que celle des Flamands, d’Essen, ainsi qu’il l’apprit lors des présentations. Leur français était teinté d’un fort accent et ils échangeaient en flamand. Les deux autres étaient Parisiens, comme lui. L’un d’eux était légèrement efféminé. Il préféra « manièré » pour ne pas dévaluer la féminité de son amant. Rapidement, la conversation roula sur le sujet qui le préoccupait. Les deux séduisants Belges les snobant, il put découvrir la vie des homosexuels à Paris. Cela paraissait simple et facile. Ils venaient tous deux de province et avaient souffert de leur isolement avant de monter à la capitale. Ils venaient simplement profiter du soleil, en amoureux.
Quand il fut questionné, il osa raconter son expérience étrange et soudaine, cherchant ses mots pour nommer ce qu’il ignorait quelques jours auparavant et voulant protéger son ami. Il dut y mettre une certaine émotion, car l’un des Parisiens lui prit gentiment la main, tandis que les Belges l’écoutaient avec attention, avant de conclure :
— Ah, c’est toi, le maître du petit plagiste !
— Pourquoi dites-vous ça ? Je ne suis pas son maître…
— Un Noir, une pute, a forcément un protecteur ! Il vient sans arrêt se tenir près de toi, chercher des ordres pendant que tu le tripotes. Tu as bien choisi !
Leur français s’était brutalement amélioré, pour distiller ce venin de jalousie. Gilles rougit de honte devant tant de méchanceté. Il se leva, sous prétexte d’aller chercher un dessert. Didier, le « manièré » le rejoignit.
— Ce que tu as raconté est très beau. Tout ça doit être difficile pour toi. Ces Belges sont de gros cons !
Il lui posa sa main sur le bras. C’était le deuxième contact de cet homme. Il avait un physique quelconque, la quarantaine dégarnie et déjà bedonnante. Rien d’un apollon ! Pourtant, la chaleur de son écoute et de ses gestes le rendait sympathique. Quel monde étrange !
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