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L’après-midi, il retrouva son plagiste qui ne fit aucun commentaire, mais paraissait satisfait. Quand la famille arriva après la sieste des enfants, Gilles apprécia le discret geste d’amitié envers Codou. Ce dernier était tendu, comme attendant un cataclysme.

— Tu attends ton client d’hier ?

— Il a dit qu’il voulait me revoir.

— Il ne viendra plus. Je l’ai chassé. Il t’a fait du mal.

— Gilles, ne te mêle pas de mes affaires !

Le ton était dur de colère.

— Codou, je ne veux pas…

— Rien du tout. Il me paie le double. Tu me fais du tort. Déjà que je n’ai rien fait la semaine dernière…

— Tu regrettes ?

— Non, je n’ai pas dit ça. Je suis très en retard de mes paiements…

— Combien il te faut ?

— Ce ne sont pas tes affaires ! Laisse-moi tranquille.

Son départ brisa le cœur de Gilles. C’était leur première dispute. Gilles ne connaissait pas ces affrontements. Il se leva brusquement, se traitant d’imbécile et d’égoïste. Muni de son portefeuille, il s’enquit du distributeur le plus proche. Puis il revint demander le nom et le cours de la monnaie locale. Il calcula de tête et retira l’équivalent de son plafond.

Il revint avec une liasse énorme, craignant de se la faire dérober. Dans la chambre, il la glissa dans le sac de Codou. L’heure de fermeture approchait et il l’attendit dans la chambre. Le plagiste entra sans un mot, sa colère toujours aussi vive. Il saisit son sac, l’ouvrit et cria :

— C’est quoi, ça ?, en envoyant la liasse voler dans la chambre. Tu me prends pour quoi ?

Gilles entendit autre chose dans cette colère, une perte, un désarroi. Il regardait son jeune ami s’agiter. Il voulut le saisir, fut rejeté, se lança contre lui. Ils chutèrent sur le lit. Gilles prit son ange dans ses bras, le serrant le plus fort possible. Après un long moment, il sentit enfin le relâchement. Il desserra son étreinte, la remplaçant par un simple contact de la main. Codou restait atone. Gilles se leva, ramassa les billets éparpillés, revint avec la liasse dans la main.

— Codou, je ne supporte pas qu’on te fasse du mal, qu’on te méprise. Tu es un être trop merveilleux pour ça. Je ne veux pas intervenir dans ta vie, mais ta souffrance est devenue ma souffrance. Tu dois la partager. Je ne te donne rien, je ne paie rien. Cet argent, mon argent, est le tien, car je veux partager tout avec toi. C’est tout. S’il te plait, prends !

Gilles ne savait plus quoi faire face à cette absence de réaction.

— Et puis, merde !

Il jeta la liasse à terre et revint serrer Codou.

— Tout va bien. Je suis avec toi. Tu n’as rien à craindre.

Il consolait en parole et en geste ce grand enfant perdu dans ses misères. Quelques jours auparavant, c’était cet enfant, sûr de lui et conquérant, qui avait émietté ses certitudes d’homme mûr, pulvérisé sa vie pour le changer entièrement et le faire éclore. Gilles se sentait responsable de lui, de sa famille, de son avenir. Être liés ainsi effraya Gilles, mais il lutta pour le ramener à ses côtés. Il l’allongea, se blottit contre lui, voulant rassurer ce jeune homme qui venait de se fracasser. Il sentit Codou se détendre puis s’endormir. Il resta ainsi et l’accompagna dans le sommeil. La nuit, il fut réveillé par des caresses. Codou avait besoin d’amour. Il le lui offrit sans retenue. Il s’aperçut alors que jamais Codou n’avait exprimé ses sentiments en paroles. Lui-même avait eu du mal. Peut-être n’entendrait-il jamais un remerciement ou un mot tendre. Avait-ce de l’importance ? Il le lui montrait autrement, avec des gestes qui ne trompaient pas.

Au petit matin, ils se retrouvèrent. La crise semblait passée. En se levant, il ramassa les billets et les posa dans la main d’ébène qui se referma sur eux. Codou quittait la chambre quand Gilles le retourna. Il le fixa dans les yeux, sans interrogation, sans rien donner non plus. Codou baissa les yeux et, pour masquer une larme qui perlait, il embrassa son toubab, tendrement.

Leurs habitudes reprirent leur place, le jeune debout à côté du vieux dont la main remontait dans le t-shirt. Codou s’éloigna deux fois, dont une fois avec le même père de famille.

Le soir, avant de rentrer chez lui, il murmura :

— Tu vas bientôt partir. Les prochaines nuits, je resterai.

— Non, je reste encore une semaine. Occupe-toi de ta famille.

— C’est vrai ?

Son ton était tellement empreint de joie que Gilles lui caressa la joue, ému par cet élan. Le lendemain matin, avant même qu’il se mêle, Codou lui annonça qu’il était invité le samedi par sa mère. Gilles accepta avec plaisir.

Codou travailla dur, réussissant à réaliser plusieurs rencontres chaque jour, tout en conservant assez d’énergie pour satisfaire son amant chaque nuit. Gilles eut un coup de blues, car il avait présenté Codou à son couple d’amis, qui lui avaient affirmé être venus profiter du soleil. Devant la beauté du plagiste, ils se regardèrent, les yeux brillants. La nuit suivante, Gilles resta seul, imaginant la partie à laquelle il n’avait pas été convié. La satisfaction sur le visage des Parisiens et du jeune Noir le lendemain matin lui fit comprendre sa chance que ce soit la dernière nuit de leur séjour.

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