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Le samedi, avant de partir, Gilles demanda :

— On passe par le marché ?

— Pourquoi ? Tu as besoin de quelque chose ?

— Pourquoi m’y as-tu emmené la semaine dernière ?

— Parce que je savais que tu avais décidé de venir vivre ici. Tu sais, chez les gens comme toi, beaucoup ne supportent pas le bruit, les odeurs, la bousculade. Ils ont peur de se faire voler, d’attraper des maladies. Je voulais te montrer la réalité. Tu regardais tout, acceptant tout.

— Sauf la chaleur et la faim.

— Moi aussi, j’avais soif et faim. Je voulais te faire craquer.

— Mais, oui, j’ai craqué ! Pour toi !

Codou avait retrouvé son grand sourire. Ils partirent en se tenant par la main, reprenant le chemin de la plage. La chaleur de l’accueil par la mère et les deux enfants lui fit oublier la petite rancœur d’abandon de la nuit précédente. Après le repas partagé, alors que la chaleur montait, Gilles assista pendant des heures à la coiffure de son ami. Patiemment, sa mère défit chacune des petites nattes, retirant une masse de cheveux, lui lava la tête, le brossa, avec une tendresse touchante. Gilles enviait ce garçon, n’ayant jamais reçu de tels gestes de sa mère. Il se redressa, apparaissant ainsi dans sa nature, son abondante chevelure encadrait son délicat visage. Quand il se tourna vers Gilles, celui-ci ne put retenir :

— Ce que tu es beau !

— Tu veux que je reste comme ça ?

— Non. Fais comme tu le sens !

Sa mère reprit le tressage. Elle tirait fort sur le cuir chevelu, déclenchant des grimaces de son fils, ajoutant abondamment de nouveaux cheveux pour arriver à cette couronne harmonieuse.

Le jeune frère était venu assister à la coiffure. Il débutait sa puberté, ayant grandi vite, ce qui en faisait une brindille, avec la souplesse et la grâce héritée de leur mère. Il s’assit à côté du Blanc, qui ouvrit son bras sans même y penser. L’enfant se blottit sans façon contre celui qui aurait pu être son grand-père. Gilles, ému par cette confiance naturelle, ressentit la douleur de l’absence de père du gamin, se promit de l’accompagner dans sa vie, comme son aîné. Ce gamin avait dû souffrir énormément de cette absence paternelle. S’il pouvait, un petit peu, le remplacer… Il était bien dans cette famille, elle était sa vraie famille. Soudain, Samsidine murmura :

— Pourquoi Codou se comporte-t-il en femme ? Il est un homme, ce n’est pas bien. Toi, tu fais le mari avec lui, pourquoi pas avec une vraie femme ?

Gilles ne répondit pas. Comment expliquer cela à cet ado perturbé par cette anomalie ? Il se leva, emmenant Samsidine dans une promenade, lui expliquant que ce n’était pas un choix, mais une nature profonde. Le petit l’écoutait avec sérieux et respect, paraissant plus soucieux de comprendre que de juger. Il regardait Gilles avec confiance, malgré la déviance qui l’interrogeait. Gilles lui promit de répondre toujours à toutes les questions. La pression de la main le rassura.

Ils revinrent pour trouver Codou éclatant de beauté dans sa nouvelle coiffure. Ils repartirent à trois, chacun tenant une main de Samsidine, vers la mer. Gilles reconnaissait certains des amis de Codou et toutes les mains claquaient alors. Ils revinrent, heureux de cette fraternité étendue, après le coucher du soleil.

Avant de s’étendre sur le bas flanc, la mère lança à Gilles :

— Tu es le mari, c’est normal !

Gilles ne comprit pas cette remarque, jusqu’à ce qu’il sente la nudité de Codou venir glisser sur son pubis. Il fut horrifié : faire cela à quelques mètres de la mère et des jeunes adolescents était impossible. Il écouta attentivement, cherchant les bruits de leur sommeil pour se rassurer. Codou continuait son approche. Ce n’était pas son affaire ! Codou était chez lui, les paroles de la mère pouvaient être entendues comme une autorisation. Il resta passif, laissant son amant chercher son plaisir, se mordant les lèvres pour retenir le moindre son, d’autant que sans protection et gel, cela était douloureux, et combien plus intense. Codou paraissait concentré sur son action. Une fois accompli, il vint s’étendre contre le vieux blanc dont les larmes perlaient, pris dans un mélange de honte et de bonheur. Plus rien n’avait de sens. Un mauvais sommeil le prit. Alors que les haut-parleurs criaient l’appel à la prière, son amant voulut recommencer, mais il l’écarta doucement, se contentant de le tenir, car la mère était déjà levée.

Il repensa à la nuit. Dans ces pays, dans cette promiscuité, les gens devaient bien le faire les uns sur les autres ! Lui, il avait reçu une autre éducation. Pourtant, ce contexte avait ajouté quelque chose, comme un retour au naturel, tels les animaux se reproduisant, sans besoin de moral, de pudeur, de tous ces trucs qui vous encombrent la tête. La mère était dehors, les adolescents étaient au fond de leurs rêves. Il invita son amant.

Après avoir récupéré, ils se retrouvèrent accroupis l’un devant l’autre, au-dessus d’une bassine, alors que Codou lavait longuement et délicatement le sexe de son amant avec naturel, le frottant, le décalottant. Gilles subissait ces soins, les yeux fixés sur les nattes qui lui dissimulaient la scène. La sensation était intense, alors que les autres passaient et repassaient dans leurs dos, ne pouvant ignorer l’objet de ces ablutions. C’était une autre vie, simplement. Que de choses inutiles et gênantes étaient tombées depuis son arrivée ! Il se sentait libéré.

Il aurait aimé parler avec la mère. Comprendre ce qu’elle vivait. Son fils, un homme, avait fait l’amour avec un autre homme, à un mètre de son lit. Ils avaient fait attention, mais elle était là, avec eux, quand ils jouissaient. Elle dut comprendre son interrogation. Elle sourit à Gilles.

— Tu sais, je veux le bonheur de mes enfants. Il est ce qu’il est. Tu es ce que tu es, mais je ne l’ai jamais vu si heureux.

Gilles la remercia. Il aurait aimé partager sa certitude. Il savait Codou cassé de l’intérieur. Peut-être lui avait-il apporté quelque chose ? Il aurait aimé que ce soit vrai, il s’efforça de le croire.

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