27
Il voyagea sur son nuage, ressentant encore la chaleur de son ange en lui. L’arrivée fut rude, sous la pluie froide. Il quitta définitivement l’Afrique à la Gare du Nord, quand la couleur dominante de la rame passa du noir au blanc. Depuis l’aéroport, il les avait observés d’un œil nouveau. Là-bas, la pauvreté régnait, dans une apparente bonne humeur, la chaleur gommant les différences. Ici, ils étaient engoncés dans une misère froide, figeant les visages dans la tristesse des déplacés.
Il retrouva le pavillon glacial. Le temps gris pesait. Il fallait du courage pour s’activer. L’image de son dieu le motiva. Il alla voir sa mère, recluse dans sa tête et son fauteuil. Toute communication était impossible, pour autant qu’il y en eut une quand elle avait sa tête. Il lui fit ses adieux, par devoir, sans aucun sentiment.
Il appela longuement sa sœur et finit par la convaincre de vendre la maison. Elle ne le questionna même pas sur les raisons de son installation définitive en Afrique. Il faillit lui lancer que c’était pour vivre avec un homme, pour obtenir une réaction. À quoi bon ? Il trouva une agence qui s’occuperait de la vente et fut très agréablement surpris de l’estimation.
Il avait vécu chichement, n’ayant ni passion, ni besoin, ni envie. Il avait donc économisé tout au long de sa vie, plaçant ces sommes en « père de famille », incapable qu’il était de s’intéresser à la spéculation boursière ou aux placements financiers. En additionnant toutes ces sommes, il fut étonné du total. Il y avait de quoi prendre en charge Codou et sa famille, même s’il se rendait compte qu’il n’avait aucune idée du cout de la vie dans son nouveau pays. Le banquier lui ouvrit un compte avec leur partenaire local, l’avertissant du montant des taxes à payer. Il fit la grimace devant le taux et les taxes.
Il avait listé tous les services à contacter pour être sûr de n’avoir jamais à revenir. Il allait être au chômage, puis à la retraite. Il fit à nouveau la grimace sur les estimations de pension à venir et pour l’obligation de solder ici ces dossiers. Il verrait !
Il passa de longs moments à l’ambassade, puis au consulat pour obtenir une carte de résident. Tout fut en ordre en deux semaines : il pouvait rentrer « chez lui ». Il avait négocié avec l’hôtel. Il aurait un mois pour trouver un logement définitif. Il espérait que Codou accepterait de partager sa vie. De toute façon, l’hôtel fermait ensuite à cause de l’hivernage. Curieux de ce terme, il avait compris que c’était simplement la saison des pluies.
Il avança la date de son billet et mit un message à son amoureux pour lui indiquer l’heure d’arrivée.
Il n’avait rencontré personne. Il n’avait personne à rencontrer. Il voulait, il avait besoin de dire qu’il partait et pourquoi, de clôturer, ou d’enterrer, cette vie stérile qui avait été la sienne. Il appela donc Thierry, son « meilleur ami ».
— Tiens ! Tu es rentré de chez les sauvages ? C’était bien ?
— Oui ! Il faut que vous y aller avec Marie-Jo !
— Tu as vu les prix ?
— Tu peux négocier là-bas ! Vous viendrez me voir…
— Tu y retournes ?
— Oui, je vais vivre là-bas, m’y installer définitivement. L’avion est demain soir.
— Ah ! Chez les Nègres ! Tu n’es pas dégouté… Gilles, tu as rencontré quelqu’un !
— Oui…
— Elle est mignonne ? Tu sais, les petites guenons deviennent de grosses bonnes femmes. Remarque, ce n’est pas mal non plus. J’ai toujours rêvé de baiser dans le noir ! Elle a quel âge ?
— Vingt-et-un.
— Eh ben ! mon cochon, tu les prends jeunes… tu as la forme suffisante ?
— Oui. J’assure.
— Je suis content pour toi. C’est la première fois que tu me parles d’une femme !
— C’est un homme. Un jeune homme.
Voilà. Tout était dit. Il attendit dans le silence, avant d’entendre, malgré la main mal mise sur le micro « Marie-Jo, tu sais quoi ? Gilles vient de me dire qu’il est pédé et qu’il part se faire mettre par un Noir dans ce pays de Bamboulas ». Il n’entendit pas la réponse. Il attendait une réaction.
— Ah bon ! Tu es pédé ? Et tu ne me l’as jamais dit ! Il est bien monté ? Il paraît qu’ils en ont tous une très grosse. C’est qui le mec ?
— Voilà, je voulais te dire. Je te laisse. Embrasse Marie-Jo et les enfants. Il raccrocha sans attendre de commentaires. Avait-il besoin de revivre ça avec Jean-Claude, qui était encore plus con ?
Il ferma la porte. Il tirait sa valise. Il avait acheté une malle, pour emporter ses affaires, avait commencé à la remplir avant de s’apercevoir qu’il n’avait rien à emporter, rien auquel il tenait. Il avait fini par arracher quelques photos de son enfance, pour les montrer à son Codou.
Plus rien ni personne ne le retenait. Soixante-deux ans d’une vie sans intérêt. Il n’avait aucun regret. Cela aurait pu continuer sans qu’il le perçoive. Sauf que maintenant, il vivait, avec un cœur tout neuf. Son sourire augmentait au fur et à mesure que la rame se colorait. Il les regardait dans les yeux, perdu déjà dans son rêve, récoltant déjà quelques-uns de ces sourires roses aux dents blanches. Ces signes le rapprochaient de l’absent, augmentant sa joie.
Dans la file d’attente, il eut soudain un doute : et si tout cela foirait, que deviendrait-il ? Il venait de bruler ses navires. Au pire, si Macodou avait disparu à son retour, il serait mieux à vivre là-bas. Il en ignorait tout, il y avait certainement des choses négatives, mais l’ambiance lui permettrait de supporter. Et si, à l’arrivée, il y avait un visage d’ange souriant, alors il serait heureux. Entre le vide, le vide au soleil et le bonheur, il avait fait le bon choix. Un frisson le parcourut en pensant qu’il avait failli ne jamais vivre. Il aurait dû appeler Maubert, son ancien chef, pour le remercier. Il était à peu près sûr que l’idée du cadeau empoisonné venait de lui. Quel con !
Le mélange avec les boubous luxueux lui plut. En les écoutant parler, il se promit d’apprendre leur langue.
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