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Ils avaient facilement trouvé une maison à louer, car tous les Métros repartaient en France pendant cette saison. Seuls les vieux coloniaux supportaient le temps moite qui oppressait. Le gardien et la petite bonne pour la cuisine et le ménage étaient compris dans la maison : une grande salle, deux chambres, une salle de bain. L’état était impeccable et le prix entrait largement dans les possibilités du nouveau résident.

Ils s’installèrent. Ils étaient tous les deux, tout le temps, même s’ils passaient beaucoup de temps dans leur famille, dont Gilles faisait maintenant complètement partie. Samsidine s’était accroché à son oncle. Il était inscrit au collège des pères et Gilles paierait les frais : il l’avait demandé comme un service. Il passait beaucoup de temps pour aider celui qu’il considérait comme son petit fils. Le garçon était intelligent, mais la surcharge des classes avait causé des lacunes.

Le matin, le soir, ils allaient marcher le long de la plage. Gilles avait découvert ce plaisir, alors que les gros nuages rouges et noirs montaient, sans encore se déchainer. Ils parlaient peu. Ils s’étaient tous dit, préférant ne pas revenir sur leurs vies passées, ne plus faire rimer les souffrances de l’un avec les absences de l’autre.

Codou était insatiable, épuisant Gilles de ses demandes, ce dernier se demandant comment il apaisait son addiction au sexe les années précédentes. Cette recherche permanente montrait à son partenaire sa faiblesse fondamentale, son besoin de recommencer sans cesse pour effacer. Ils échangeaient encore moins sur leur ressenti, aussi incapable l’un que l’autre de le penser, encore moins de l’exprimer. C’était donc le silence qu’ils partageaient le mieux, la présence de cet autre, si différent et si proche, leur apportait un réconfort bienfaisant. Pourtant, régulièrement, Macodou se réfugiait dans sa tête, restant immobile et insensible au monde et à Gilles. Une heure, une matinée, une nuit, puis il revenait avec à peine un petit sourire. Chaque fois, Gilles se murmurait : « Où es-tu allé, mon petit Codou ? Tu me faisais mal, car tu étais mal ».

Les pluies ne venaient pas. L’atmosphère était gluante d’humidité et le tonnerre grondait souvent, toujours au loin. Les nerfs étaient à vif et les inquiétudes montaient pour les prochaines récoltes.

Après avoir tourné et retourné son idée dans sa tête, il avait proposé à Codou d’arrêter de travailler et de vivre simplement avec lui.

— De quoi tu te mêles ? J’ai pas besoin de toi. J’ai besoin de continuer.

— Mais Codou, tu pourrais continuer à voir d’autres personnes. Je sais bien que je ne te suffis pas. Je ne suis pas jaloux des autres hommes !

— Tu n’as rien compris !

— …

— Me faire payer est indispensable. Ça me lave, ça fait payer tout ceux qui ont abusé de moi. Tous doivent payer, tous !

— Codou, justement, moi…

— Tais-toi ! Tu n’as rien compris ! Tu es un imbécile qui ne s’intéresse qu’à lui.

Gilles resta muet. Comprendre quoi, comprendre qui ? Il n’avait jamais eu de copains ou d’amis, de femmes. Il n’aimait pas lire ni sortir. Il n’avait jamais côtoyé l’âme humaine. Il en ignorait les tréfonds et les tourments. Il était devant son amant comme devant le vide sidéral. Un jeune, africain, homosexuel : ce n’étaient pas les séries et vidéos visionnées qui lui auraient donné l’intelligence de ces éléments.

— C’est moi qui fais vivre ma famille.

Il criait, comme pour se convaincre de cette réalité.

— Personne ne t’a demandé de payer les études de Samsidine. On n’a pas besoin de ta charité de sale blanc riche.

Il l’avait fait sans même y penser, se sentant responsable de ce « petit fils » si avide d’apprendre.

— Chaque fois que nous allons au village, tu te crois obligé d’arriver avec des achats. C’est humiliant. Quand on est invité, on vient avec son cœur, pas ses billets !

— Macodou, je ne me sens pas invité, je me sens appartenir à votre famille. Vous êtes ma famille. Ce ne sont pas des cadeaux, c’est juste…

— Tu veux me dire que je ne suis plus utile à rien, puisque c’est toi qui paies tout ! Alors, je peux disparaitre ! Tu me détruis en faisant ça…

Gilles se garda du moindre geste, blessé au fond de sa gentillesse. Il voulait simplement aider son ami et il était en train de le perdre, pour deux paroles qui lui avaient paru si naturelles. Finalement, rien ne le rapprochait, hormis leurs coucheries. Les bribes de l’histoire du jeune n’en faisaient pas un proche. La preuve, il avait assisté à une conversation très dure entre Macodou et sa mère. La sœur était aussi intervenue. Les noms de Djiby, le grand frère, et le sien, étaient revenus souvent. Il restait un étranger, toléré au mieux.

Encore une fois, il eut l’impression d’être coupé de la réalité et de sa compréhension, car soudain Codou se métamorphose, redevenant l’ange radieux et souriant.

— Gilles, tu es trop gentil. Ne t’occupe pas de moi, de ma famille. On connait, tout va bien.

Le baiser de réconciliation était sincère, même s’il donna l’impression au vieux de le laisser en suspens dans le vide.

Le lendemain, alors que les premières pluies tombaient enfin, en gouttes énormes et chaudes, Codou avait disparu, sans laisser de mots. Gilles était effondré, se demandant si la conversation de la veille avait déclenché l’irrémédiable. Il tenta de se rassurer, car ce n’était pas la première fois qu’il partait sans rien dire, plus ou moins longtemps, se justifiant au retour par « des affaires à régler ». Quant au mot, Gilles se rendit compte qu’il ignorait si Macodou savait lire et écrire.

Gilles, ne pouvant sortir, retrouva ses vidéos. Elles étaient devenues sans charme, lui apparaissant maintenant pour ce qu’elles étaient vraiment, même s’il était incapable de s’en détacher, son esprit projetant son ange dans ces actions. Elles lui rappelaient cette vie simple qu’il avait eue. Mais avait-ce été une vie ? L’absence du sourire lui manquait, il était malheureux, mais il se sentait appartenir au monde.

Codou réapparut, sans un mot. Leur vie commune reprit. Samsidine se faufilait entre les gouttes pour venir travailler. Parfois, il dormait dans la chambre à côté, alors que Gilles et Codou assouvissaient leurs désirs croisés.

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