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Les événements se stabilisèrent et ils entrèrent dans une routine. Le samedi restant le jour du va-et-vient, ils allaient rejoindre la famille. Gilles s’occupait toujours beaucoup de Samsidine, toujours accueilli chaudement par son petit-fils et par celle qu’il appelait « Maman », alors qu’elle aurait pu être sa fille. La semaine, Gilles découvrait le village lors de longues promenades, finissant par se faire saluer amicalement par beaucoup. Ouvert et souriant, il répondait aux saluts, échangeait quelques banalités, d’autant qu’il prenait des cours sur la langue locale, déclenchant des rires et des encouragements.

Il aimait aussi aller sur la plage. Depuis sa découverte avec Codou à ses côtés, il appréciait le calme qui en émanait. Il assistait à la pêche au filet, la lente traction par ces corps puissants, jusqu’au déversement sur le sable, la précipitation des femmes et de leurs cuvettes, les marchandages, tandis que, parfois, une tortue se démêlait des mailles pour retrouver l’eau de son pas cadencé. Quand il s’ennuyait vraiment, il allait s’accouder à un des bars, sachant dans lequel il trouverait Macodou. S’il ne le trouvait pas, il se plantait devant le studio à la porte close et la lumière allumée, l’imaginant délivrant du plaisir à un de ses clients.

Les rares contacts avec les touristes le déprimaient par la constance de la bêtise qu’ils véhiculaient. Il rencontra des toubabs installés ici, facilement partageables en ceux qui venaient faire du fric et ceux qui aimaient ce pays, en en jouissant paisiblement ou en s’investissant dans des associations diverses. Il découvrit une troisième catégorie, dans l’ombre des bars locaux, éclusant des boissons fortes. Curieux, il fit connaissance de ces hommes souvent âgés. Sans moyens, esseulés, ils buvaient pour supporter leur solitude. Après quelques verres payés, la même histoire revenait. Il était venu en vacances, avec madame le plus souvent. La vie à deux commençait à peser, d’autant qu’avec l’âge, rien ne s’améliorait. Un clin d’œil invitait Gilles à compléter les défaillances. Lors de ce séjour idyllique, il avait croisé une jeune fille. Un regard avait suffi à déclencher un attrait irrésistible. Il s’était rapproché et la jeune fille avait craqué devant son charme, regrettant immédiatement cet égarement. Il y avait eu affolement. La fille était à aine majeure, ou mineure. Ses parents allaient faire un scandale. Après, les variantes venaient, avant de se refondre dans la même suite. Il avait été obligé d’épouser la jeune fille et donc de divorcer. Jusque là, l’homme s’estimait gagnant, car l’échange était plutôt agréable (nouveau clin d’œil). La suite venait immanquablement : il choisissait de rester, car toute sa famille le rejetait. Il fallait dépatouiller toutes les histoires de fric, entre le divorce, les enfants, la retraite. Au bout de quelque temps, il pouvait enfin profiter de sa belle jeune femme, d’autant que l’enfant attendu de leur faute n’était pas venu. La cause ne méritait pas d’investigations. La belle était heureuse, puis demandait à habiter mieux. Il investissait sa fortune dans une maison, dont elle demandait à être propriétaire en titre, pour des raisons de fiscalité locale. C’était sans importance, puisqu’ils étaient mariés. Les relations se détérioraient vite après et, un beau jour, la belle jetait le vieux hors de sa maison. Il se retrouvait sans rien, incapable d’avouer sa honte et de rentrer en France. Il attendait ici. Ils étaient une dizaine de vieux ainsi, n’attendant plus rien, en ressassant leur rêve brisé.

Il trouvait ces histoires à répétition lamentables. Pour se faire mener ainsi par le bout de leur bite, il fallait une bonne dose de crédulité et de naïveté. Il ne les plaignait pas !

Sa situation était totalement différente, et son aspiration était d’avoir son toit ici. Vivre avec Codou et sa famille était un plus, mais il ne le cherchait pas. Pas pour l’instant. Il regardait donc mollement les affaires. La vente de la maison en France lui permit de savoir ce qu’il pouvait mettre dans ce projet. C’est quand il était prêt à laisser tomber qu’une occasion incroyable s’offrit : un peu à l’écart, donc moins chère, une belle maison récente de cinq pièces était disponible sur un grand terrain entouré de bougainvilliers, la marque des maisons d’Européens. Il fallait faire quelques petits travaux. Cela lui était possible. Il calcula le prix, ajoutant le salaire d’un gardien et d’une bonne. Il pouvait se le permettre, s’il ne faisait pas trop de folies à côté. Il ne le risquait pas, puisque sa folie habiterait avec lui. Le plus difficile serait de faire admettre à Codou de mettre la maison à son nom. Il espérait vivre encore de nombreuses années. Mais après lui, autant que ça profite à sa famille d’adoption.

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