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La promesse était déjà signée, et il procrastinait l’annonce à Macodou. Un soir, ce dernier avoua sa lassitude. La journée s’était mal passée, avec un Allemand désagréable qui n’avait pas payé. Gilles avança son projet, prêt à essuyer un refus. Macodou acquiesça immédiatement, précisant bien que c’était pour lui rendre service et en exigeant de signer un papier qui protégerait Gilles. Ce dernier fut choqué par cette proposition. De toute façon, ce serait la maison de Gilles, il était hors de question que sa famille vive dans cette maison. L’affaire se conclut, la clause protectrice fut oubliée, les petits travaux effectués et ils emménagèrent à la fin de la saison, vécurent l’hivernage suivant en tête à tête. Codou paraissait moins stressé que l’année précédente. La famille était venue une seule fois, refusant de revenir, sans vraiment donner de raison. Codou s’absentait de plus en plus souvent, prétextant des visites à des cousins, à de la famille. Gilles n’était pas dupe, devinant que son amant allait satisfaire des besoins qu’il ne pouvait plus rassasier seul. À nouveau, quand il daignait coucher à la maison, Gilles le sentait indifférent à ces marques d’adoration. L’éloignement avait débuté…

Gilles, par désœuvrement, s’était fait une petite vie, accaparé par une nouvelle occupation qu’il avait débutée la saison précédente. Il restait le cœur brisé à regarder les petits mendiants quémander de quoi manger. Des garçonnets ou de jeunes adolescents, erraient, se faisant jeter par tous. Rapidement, il fut connu, car il prenait soin d’avoir toujours des pièces dans sa poche qu’il distribuait. Le matin, les talibés faisaient le siège de la maison, ce qui énervait Codou qui les chassait à coups de pied quand il était là. Gilles se prit d’affection pour quelques-uns d’entre eux, les faisant entrer pour qu’ils se lavent et avalent une purée de mil que la bonne préparait en abondance. Cela ne dura pas : une descente de police eut lieu, alors qu’une horde de gens manifestait devant sa porte. Ils fouillèrent toute la maison, tombèrent sur les godemichets rapportés et oubliés et l’emmenèrent menotté sous les quolibets et les crachats. Après une nuit dans une cellule infâme et puante, sans une place pour se poser, il fut présenté à un officier de police. La séance dura des heures, entrecoupée d’appels, de pauses interminables. Gilles finit par apprendre avec horreur son accusation. Comment pouvait-on parler de pédophilie ? Il avait eu simplement pitié. Toucher les enfants n’était pas dans sa nature et, s’il les avait vus nus, c’était uniquement pour leur montrer comment allumer la douche. Jamais il n’avait songé à de telles pratiques. Il avait découvert son orientation profonde, mais tournée uniquement vers des adultes. Qu’on puisse penser cela de lui le terrassait. Peu importait les conséquences, il devait crier la vérité.

On lui rappela brutalement qu’il vivait avec un prostitué notoire. Comment leur faire comprendre que Codou se prostituait, certes, mais qu’il n’avait rien à voir avec cela. Et le studio, acheté par ses soins, pour son protégé ? Même ça, il le savait ! Il ne s’était jamais méfié de tout ça, n’y pensant simplement pas. Il avait oublié son dernier passage, pensant l’affaire close.

Il n’était que résident. Son cas était grave. Trop abattu, il ne savait plus comment réagir. On le ramena en cellule. Quelle déchéance ! Il s’abattit dans un coin puant l’urine et partit dans un sommeil de cauchemars. À son réveil, il fut conduit devant un autre officier. Ce dernier avait des paroles plus conciliantes et relativisant les faits par rapport aux accusations. Gilles reprit espoir. Il se souvenait maintenant de la solution apportée à son premier passage. Il fit une allusion aux œuvres de la police qui éclaira le visage de son interlocuteur qui se garda bien d’ouvrir la bouche. Gilles avançait des montants, sans réaction. Gilles tremblait maintenant, car il atteignait ses limites. Un petit hochement de tête acheva la négociation. Il ne lui resterait que sa pension !

En rentrant, il resta des heurs sous la douche, espérant se laver de ces infamies, puis il s’écroula dans un sommeil agité. C’est ainsi que Codou le trouva. Il l’obligea à raconter.

— Gilles, j’en ai marre de toi !

Il accusa le coup terrible.

— Tu n’es pas dans ton pays. Tu te mêles de ce qui ne te regarde pas. Moi aussi, j’ai été convoqué à la police !

En fait, il devait y passer tous les mois pour payer sa liberté. Cette fois, on lui avait fait comprendre qu’il devait contrôler son protecteur. Les familles, qui avaient abandonné leurs garçons, voulaient faire un procès et obtenir de l’argent du « sale Blanc ». Les policiers, en majorité des chrétiens, ne souhaitaient pas ébruiter cette affaire. Son « copain » avait payé, il paiera encore, mais surtout, il allait faire comme tous les autres petits blancs, se tenir tranquille et invisible. Codou était donc monté spécialement pour s’expliquer avec Gilles.

— Ce que sont et ce que font ces enfants ne te regarde pas ! C’est comme ça ! Ils ne sont pas si malheureux que ça !

— …

— Tu sais qu’ils veulent tous te faire un procès, pour toucher de l’argent. Tu vas être ruiné.

— Je vendrais la maison…

— Elle n’est pas à ton nom !

La menace tomba, anéantissant Gilles. Codou se reprit :

— Les policiers m’ont dit qu’ils allaient arranger l’affaire. Tu arrêtes tes conneries ! Ils ont augmenté ma participation. Ce n’est plus possible. On ne peut plus se voir. Je vais leur dire que je ne te connais plus.

— Mais tu reviendras quand même ? De temps en temps, me dire bonjour…

Gilles pleurait de désespoir. Tout partait, son argent, son honneur, son bonheur.

— Bien sûr ! Je ne vais pas te laisser tomber ! Simplement, ce ne sera plus comme avant. Gilles, ce n’est pas à cause de toi, c’est juste que si je veux continuer à vivre et à faire vivre ma famille, il faut que ça change.

— Je comprends… Samsidine, je pourrais encore l’aider ? Le voir ?

— Bien sûr ! Gilles, c’est juste que…

— Je sais ! Va-t’en, s’il te plait.

Il n’en pouvait plus. Gilles s’étendit dans la pénombre de la chambre. Il somnola, se réveilla, somnola. De toute façon, leur relation s’épuisait. Codou était de moins en moins présent et quand il était là, il était passif devant les gestes de Gilles, ou fuyant, indifférent à la passion que celui-ci montrait encore. Il ne racontait plus rien à Gilles et, apparemment, son style de vie avait changé, se muant en jeune européen à la mode. Son charme se trouvait augmenter par ce mélange d’exotisme et de jeunesse à la pointe des choses. L’amour de Gilles pour son beau gosse était intact, mais l’inverse, il ne le percevait plus.

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