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Samsidine passait plus souvent que Macodou, rarement. Gilles comprit qu’il y avait eu des interdictions de posées et qu’il les enfreignait.
Son frère réapparut un beau jour, tout sourire. Peu de temps était passé, mais Gilles eut l’impression de ne pas le reconnaitre : l’ange n’était plus là. Sa beauté n’avait pas varié, mais son attitude montrait un homme plus mûr. Pourtant, il était toujours aussi attirant et la tendresse du vieux était intacte. Très rapidement, Macodou arriva à l’objet de sa visite. Il avait rencontré un Italien magnifique. Il voulait passer quelques jours ensemble, complètement libres. Le studio était trop petit. Gilles le devança en lui proposant la maison, ajoutant que c’était très bien, ça le ferait changer d’air de passer quelques jours à l’hôtel. Codou oublia de lui proposer de payer.
L’hôtel était presque complet. Son transat était occupé et le plagiste quelconque. Il se positionna au bar, regardant cette fange occidentale venue chercher du soleil et de l’exotisme sous vide. Deux ans seulement ! Et il avait déjà oublié totalement son monde d’origine. Sa mère était morte six mois auparavant. Le prix du voyage pour aller voir mettre une boîte dans un trou le rebuta. Il lui avait dit adieux, il n’avait plus les moyens et pour le reste… Sa sœur n’avait même pas répondu à son message de refus.
En ce début de matinée, le bar était désert. Il trouva le serveur mignon et il engagea la conversation. Macodou était connu et quand Gilles dit qu’il avait été son compagnon, l’autre sourit en disant : « Ah, c’est toi, le blanc de Macodou ! ». Leur histoire était donc connue, ce qui lui valut un verre offert. Maintenant, il avait l’habitude de prendre plusieurs verres dans la journée, l’alcool lui apportant une bienfaisante détente. Il ne buvait pas, c’était juste une habitude. Il sympathisa avec ce garçon et ils parlèrent de tous ceux qui venaient vendre leurs corps à ces blancs rapaces. Il lui désignait du bout du menton, disant leur nom et quelques mots sur chacun. Ils étaient là dès le matin, attendant le chaland. Gilles regarda cette belle jeunesse transformée en marchandises. Dans chaque regard, il percevait la honte, la lassitude. Faute de client, leur âme était encore à nue. Les faux sourires viendraient avec les premières bedaines.
Gilles alla aborder une des filles, qui lui paraissait plus vive que les autres. Il se présenta pour ce qu’il était. La fille l’accueillit et ils discutèrent pendant une heure, comme de vieilles connaissances. Il s’était découvert le don d’écouter et de faire parler les gens, quels qu’ils soient. C’était son occupation préférée : découvrir cette petite humanité qui l’entourait. Il n’avait jamais lu de livres et palliait ainsi le plaisir de pénétrer dans les histoires d’autres, de leurs aventures et de leurs déboires. Chaque tranche de vie, réelle ou imaginaire, fait rêver celui qui la reçoit. Marème avait fait des études à la fac. Sans travail, elle s’était recyclée par besoin. Son mec était gentil. Elle ne se plaignait pas. Pas comme Dianké, de l’autre côté du bar. Mariée à dix-sept ans, battue, jetée dehors et sous la coupe du pire homme. Elle paraissait si frêle, si avenante !
Il fit la connaissance de toute cette petite bande, qui se retrouvait le matin pour échanger les informations sur les clients, s’entraider ou négocier les parts de marché ! Ils parlaient de tout, surtout de sexe, avec une banalité et une franchise crue des experts. Gilles était intégré et reconnu dans cette petite famille du malheur.
Le samedi, il assista de loin à leurs adieux. L’Italien était un bel homme, sans doute un bel étalon, même si son visage portait la bêtise et la fatuité de la beauté. Il revint dans sa maison, sans croiser Macodou. Tout était en désordre, encore imprégné des taches et des odeurs de leur stupre. Gilles se mit au travail, indifférent. Cependant, quand il ramassa un des petits slips de Codou, une larme s’écrasa à terre.
La vie continua. Gilles, maintenant, descendait une fois ou deux par semaine au bar de l’hôtel, pour retrouver ses « copines », y associant les deux garçons qui avaient pris la suite de Codou. Il les embrassait, en finissant par le barman, avant de se poser. Un verre de rhum arrivait alors, que son ami omettait de lui faire payer. Il s’enquérait des dernières nouvelles, avant de repartir après une dernière bise.
Macodou avait changé de pratique, car il demandait de plus en plus souvent à disposer de la maison. Gilles découvrit sur son site des offres à la semaine, pour ceux qui savaient les déchiffrer. Le prix l’étonna, puisqu’il dépassait son ancien salaire, pour six jours seulement.
Il fut obligé de trouver un lieu moins cher, incapable d’assurer la maison et l’hôtel, se refusant à quémander le moindre franc à Macodou. Ce dernier avait oublié ce qu’ils avaient vécu, car il arrivait, hautain, exprimant sa demande sans un mot de politesse et se plaignant parfois d’un ménage mal fait. Gilles encaissait, toujours en admiration devant ce garçon. Un petit sourire, un geste réussissait encore à emballer son cœur. Codou demeurait son trésor de vie.
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