Chapitre 29
Après avoir recouvré la santé il ne me restait guère plus d'un mois avant les examens de fin d'année. Il n'y avait qu'une session au mois de juin, avec possibilité de rattrapage en septembre. Ils consistaient en une dizaine de modules notés sur vingt, il fallait obtenir la moyenne pour chacun d'eux, en valider « N moins deux » pour accéder au niveau d'études supérieur, à charge de repasser les années suivantes les matières que nous avions ratées. Il s'agissait d'épreuves écrites rédigées correctement et lisiblement. Les QCM commençaient tout juste à faire leur apparition et n'en étaient encore qu'au stade expérimental, heureusement pour moi qui y voyais des pièges partout et détestais ce genre d'exercice. Les profs insistaient régulièrement pour que nous fassions preuve d'originalité dans nos écrits, mais je compris bien vite que mon originalité ne correspondait pas vraiment à ce qu'ils attendaient, que j'avais plutôt intérêt à restituer leur cours quasi intégralement.
J'ai dépensé énormément d'énergie intellectuelle pour ne pas perdre du temps à réviser ces examens, pour ne pas sacrifier mes sorties cinéma, mes soirées festives avec les copains, mes sorties avec Janine. Je ne perdais pas une miette des propos des profs lors de leurs visites au lit des malades, de leurs recommandations à potasser tout particulièrement tel ou tel sujet, ce qui me permettait de faire des impasses sur mes révisions, en général sans trop me planter. Je découvris une expérience merveilleuse sur la mémoire réalisée au Japon. On a diffusé à des étudiants des cours magistraux sur magnétophone pendant qu'ils dormaient. Et oh miracle ! Le lendemain ils citaient l'intégralité de ces cours, leur cerveau ayant apparemment tout enregistré pendant leur sommeil. J'ai, bien sûr, tenté de reproduire l'expérience, mais ce fut un fiasco total. Néanmoins je me suis dit que si j'apprenais le matin et non le soir, je retiendrais mieux. Aussi, la semaine avant les épreuves, je me couchai et me levai très tôt. C'était « mon rythme préparatoire aux examens ». Dès l'aube je m'installai à ma table de travail. En commençant par retenir par cœur, et réciter à haute voix jusqu'à ne plus bafouiller, la première phrase d'un polycopié, puis la seconde, puis un paragraphe entier, et enfin les trois quarts de la page. Ensuite je n'avais plus qu'à lire le reste du cours pour l'inscrire dans ma mémoire. Il suffisait que je survole rapidement l'ensemble du polycopié, avant de m’atteler à l'épreuve, pour obtenir une note entre dix et treize. Il se peut qu'il y eut dans ce conditionnement obsessionnel quelque chose de l'ordre de la pensée magique, mais en tout cas ça a fonctionné. Tout au long de ce cursus, je n'ai traîné sur deux ans qu'un seul module, finalement validé à la quatrième tentative : la gynéco-obstétrique. Mais là, sans vouloir entrer dans la théorie du complot, il faut dire que j'entretenais un contentieux assez lourd, sur lequel je ne m'étendrai pas, avec le prof de cette discipline. Cette organisation me satisfaisait. Il m'était bien égal d'occuper un rang modeste dans le bas du tableau des résultats. Mon seul coup d'éclat ayant été un dix-huit en urologie, la question principale concernant, par chance, la colique néphrétique.
Il existait un autre moyen de gagner des points facilement aux examens, pas très glorieux je le concède, qui dépendait de ma position dans les lieux et de l'acuité de mon regard. Les premières épreuves me désavantagèrent. Mon bien joli nom, certes, qui me plaçait partout en tête des listes par ordre alphabétique, se trouvait collé sur une table isolée en bas de l'amphi, face au bureau de l'appariteur chargé de la surveillance des épreuves. Ce qui gênait grandement ma concentration, ma fluidité dans l'écriture et la libération de mes connaissances. Très vite, avec un sourire charmeur, je fis part de cette difficulté aux demoiselles du secrétariat qui attribuaient leur place aux candidats. Compréhensives, elles décidèrent d'alterner le collage des étiquettes dans l'amphi, une fois dans l'ordre alphabétique et la fois suivante dans l'ordre inverse. Mes performances y gagnèrent cinquante pour cent de leur efficacité, grâce à de judicieux coups d'yeux sur les copies situées une rangée, voire deux, au-dessous de la mienne. Et, je validais tous mes modules, sauf un, à la session de juin, sans même avoir recours au rattrapage. Ce dont je ne tire pas de fierté particulière, tout en remerciant infiniment les profs bienveillants, les charmantes secrétaires, et les collègues qui ne planquaient pas égoïstement leurs feuilles sous leurs coudes, lors des examens.
L'âge de ma majorité approchant, la maturité toujours en rade, l'esprit bourré de contradictions, oncle de trois garçons adorables, fiancé à Janine sans trop avoir conscience de l'engrenage infernal dans lequel j'avais mis le doigt, catholique toujours fidèle, mais de plus en plus porté vers la contestation et la transgression, je m'installais tranquillement dans mon statut de carabin. Pendant les deux mois d'été, je travaillais pour améliorer mon pécule, suivais les visites et l'enseignement socratique de trois jeunes chefs de clinique que j'admirais, pour leurs compétences et leurs idées larges, en opposition à celles d'anciens mandarins réactionnaires.
La rentrée suivante, je l'entamai donc, heureux de maîtriser le train-train quotidien des études de Médecine, de m'organiser presque confortablement dans mon travail et mes loisirs, sans me douter le moins du monde qu'elle allait se terminer dans la « chienlit » de mai soixante-huit.
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